Edito de Février 2018 : Entre polémique et infamie
Le registre des commémorations 2018 vient tout juste d’être réédité. Une décision prise par le ministère de la Culture, après la controverse sur la présence dans le registre de l’essayiste et homme politique d’extrême-droite d’avant-guerre que fut Charles Maurras (1868-1952). De vives réactions avaient enflé, s’indignant au nom de la nation devant cet anniversaire qui, selon certaines voix, ne devait pas être célébré. Dont acte, mais, est-ce que commémorer, c’est célébrer ? Et donc rendre hommage à un auteur antisémite, frappé d’indignité nationale au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Cela interroge. Car, doit-on alors honorer Saint Louis qui ne cachait pas qu’il était antisémite, islamophobe et homophobe ? Doit-on limiter les commémorations nationales aux heures glorieuses de l’histoire de France ?
L’éditeur Antoine Gallimard avait lui aussi subi des pressions quand il a annoncé la réédition des pamphlets de l’écrivain controversé Louis-Ferdinand Céline. Il a depuis fait marche arrière. Pas de réédition annotée de commentaires éclairant ces écrits sulfureux céliniens, mais cependant tous disponibles sur Internet. Mais alors, comment appréhender la dérive d’un écrivain de cette force qui s’est laissé entraîner dans les bas-fonds de la pensée, semant la mort et le malheur. A l’instar de la réédition de Mein Kampf, ses écrits se voulaient pédagogiques, une édition critique. Un texte annoté, complété d’un ensemble de documents qui donnait à voir comment et pourquoi le livre avait été écrit. Pas d’hommage en soi à l’écrivain, mais un document d’histoire pour dérouler de l’intérieur les rouages de sa collaboration avec les nazis. Ne rien passer du texte sans en livrer un contexte, des comparaisons, des sources pour mieux comprendre. Fournir aux lecteurs du XXIe siècle le maximum d’informations en faisant appel à son intelligence et sa curiosité historique, c’est tout l’objet de ces rééditions. Ces textes, aisément disponibles pour qui veut les lire sur des sites peu recommandables, se révèlent bien plus dangereux quand ils sont livrés bruts aux lecteurs.
Certains pourtant montent le ton. Affirmant que ces rééditions vont réactiver l’antisémitisme. C’est oublier que les racistes ont leurs propres sources et n’attendent pas les éditions critiques pour se repaître d’antisémitisme. Ne pas connaître ses écrits ou les censurer, c’est se priver de comprendre et de percevoir les événements de cette époque honnie, une connaissance historique indispensable, même si elle est à la limite du supportable. Fermer les yeux, cacher ces textes, c’est les voir ressurgir à un moment ou un autre dans un contexte non contrôlé. La censure ou l’autocensure, le retour à l’ordre moral, c’est ne pas accorder de confiance aux individus, aux citoyens, à leur lucidité. Editer Céline avec les documents nécessaires pour décrypter ces infâmes écrits, cela donne le temps de la réflexion. Se souvenir de Maurras ou de Louis-Ferdinand, oui, assurément. Les commémorer ? Evidemment non. Même si étymologiquement commémorer c’est se souvenir. Mais ce verbe apporte une connotation de célébration quand il est associé à une personne. Cette année, nous commémorons la fin de la Première Guerre mondiale. A l’évidence, personne ne se réjouit de cette boucherie, juste la volonté de fédérer autour des marqueurs forts de notre identité collective. En l’occurrence, commémorer Maurras pour l’histoire de la nation, c’est raté.