La loi du cintre constitutionnalisée
Robert Badinter, véritable défenseur de l’abolition de la peine de mort, vient de nous quitter le 9 février. Alors que sa loi adoptée en 1981 et inscrite en 2007 dans la Constitution sous l’article 66-1, l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) dite loi «Veil» de 1975, avancée majeure en faveur du droit des femmes, vient, elle-aussi, de suivre le même chemin après le vote du Parlement ce 4 mars, ce droit de disposer de son corps et de maîtriser sa fécondité est désormais gravé dans le marbre. L’adoption de ce texte fait de la France le premier pays européen et l’un des premiers au monde à inscrire dans sa constitution la liberté de recourir à l’IVG.
Pour reprendre la genèse de cette avancée indéniable des droits de la femme française, il faut revenir à 2022, où la Cour Suprême américaine a annulé l’arrêt Roe v. Wade qui permettait, au niveau fédéral, aux Américaines d’avorter. Chaque état, dorénavant, pourra légiférer et ainsi prendre différentes mesures comme, par exemple, limiter l’accès aux interruptions volontaires de grossesse. Un énorme scandale pour les droits de la femme et un véritable révélateur qui met en lumière finalement l’extrême fragilité des droits de la femme, jamais acquis pour toujours.
Jusqu’à 1955 en France, l’avortement, quel qu’il soit, était interdit et interrompre une grossesse, avec souvent des instruments de torture, un cintre ou des aiguilles à tricoter, était illégal, peu importe la raison, santé de la mère, viol, pauvreté,… Car depuis l’Antiquité, l’avortement a toujours existé, légal ou pas, mettant en danger les mères.
En 1955, l’avortement thérapeutique est enfin autorisé, le minimum en somme. Mais c’est véritablement au tournant des années 70 que la France, à travers plusieurs manifestations féministes dont le manifeste des 343 Salopes, va évoluer. Le droit à l’avortement, cadre qui légalise l’acte, est adopté le 17 janvier 1975 à l’Assemblée Nationale grâce à la force de conviction de Simone Veil sous des débats houleux, parfois haineux, que l’on ressent lorsque l’on visionne les images d’archives.
S’ensuivent plusieurs dates où la loi évolue comme celle de Roudy en 1982 qui permet le remboursement de l’IVG ou encore en 2001 quand le délai passe de 10 à 12 semaines. En 2013 est voté le remboursement à 100% et enfin en 2022, la loi allonge de 12 à 14 semaines le délai légal de l’avortement. Aujourd’hui plus de 230 000 IVG sont enregistrées en France, un chiffre record mais qui est en baisse pour les 15-19 ans peut-être grâce à la prévention auprès des jeunes qui aurait un effet. Cependant tout est loin d’être rose car si les chiffres parlent d’eux-mêmes, les femmes concernées ont, parfois, des difficultés d’accès à l’avortement, des contraintes qui persistent surtout dans les zones touchées par les déserts médicaux. Car bien que la liberté de recourir à l’IVG est aujourd’hui consolidée pour éviter qu’une majorité, demain, puisse mettre à mal ce droit, l’égalité des chances d’y accéder est encore à confirmer. Le travail est loin d’être fini !