Que sais-je ?
A l’heure où la toute nouvelle pièce de Luigi Pirandello «six personnages en quête d’auteur» connaissait le succès, six universitaires français unissaient leurs forces et concrétisaient leurs conceptions en créant, le 17 décembre 1921, à Paris, les «Presses Universitaires de France»… en quête d’auteurs. Nous reviendrons ultérieurement sur cet événement, aujourd’hui nous allons mettre l’accent sur une autre création, celle de la collection «Que-sais-je ?», chez le même éditeur et qui fut, dès le premier numéro, en 1941, imprimé à Vendôme.
Comment en sommes nous arrivés là ?
En 1925, l’Imprimerie Launay, qui édite «Le Carillon, mais produit essentiellement des revuEn 1925 ; l’Imprimerie Launay, qui édite «Le Carillon», l’hebdomadaire du Vendômois, et produit essentiellement des revues techniques et des livres, décide de combler un retard qui s’aggravait en faisant l’acquisition de 2 fondeuses «Monotype», et de 3 claviers du même constructeur. L’enthousiasme de M. François Launay avait été perçu par le vendeur et la facilité de mise en œuvre démontrée. Mais, une fois installés, les difficultés étaient telles que pas un signe ne fut produit dans les deux mois qui suivirent et il fallut se rendre à l’évidence, une formation spécifique, délivrée par le constructeur, était indispensable. Mesdemoiselles Bury, Poncelet, et Duvigneau partaient à Paris et 2 fondeurs, MM. Le Bolloch et Pierrard se familiariseront avec ce remarquable automate de composition.
François Launay venait de comprendre qu’il était indispensable de doter le service de composition d’un professionnel avisé. Et c’est chez «Les Orphelins-Apprentis d’Auteuil», à la solide renommée (c’est là qu’exerçait, pour l’avoir beaucoup développé, le Bienheureux aujourd’hui, Père Brottier, natif de La-Ferté-Saint-Cyr) que Marcel Eloffe avait appris le métier, et de la plus belle manière. Il arrive donc à Vendôme, avec son épouse, elle aussi employée, et se révèle un remarquable organisateur (il avait la réputation d’être «ferme») et le renom de l’atelier qui commence à briller, lui doit beaucoup, car il sut former des seconds qui trouvèrent leur place.
Les éditeurs parisiens remarquent cette qualité. 7 ou 8 «typos» (pour compositeurs-typographes) s’affairent et la technique de composition programmée par bande perforée à 31 canaux est maintenant très maîtrisée.
C’est ainsi que des ouvrages sont imprimés pour l’éditeur «Rieder», sans que l’on puisse aujourd’hui savoir si le «Goncourt» 1928, «Un homme se penche sur son passé» de Constantin-Weyer, est sorti des presses Launay ou Imprimerie des P.U.F. L’essentiel des travaux sont constitués de revues «Cinéopse», «Architectures», «Aciers» (avec de très nombreux tableaux de chiffres), «Les nouvelles médicales».
Entre 1922 et 1928, il semble que l’effectif, tous métiers confondus soit de 80 personnes. En outre, une dizaine d’apprentis sont formés chaque année, et cette option sera toujours privilégiée pour la formation, n’oublions pas que nous sommes en province et que les migrations ne sont pas fréquentes à l’époque. Au milieu et fin des années 60, ce chiffre d’apprentis sera porté à 30 environ, et Monsieur Hamelin, professeur de l’Education Nationale se déplaçait dans l’entreprise pour dispenser ses cours. Jacques Gillard, qui finira sa carrière comme directeur technique, entre en 1926.
Et parallèlement à ces travaux d’édition l’Imprimerie Launay éditait et imprimait «Le Carillon» qui sera l’objet, après la reprise en 1928, de débats, car rien ne devrait distraire la capacité de l’imprimerie réservée au Livre.
La «Machine» génératrice d’électricité, énorme groupe «Winterthur», était surnommée de par son bruit sourd et lent, le «cassse pomme» et était la pièce maîtresse des installations grandes consommatrices d’énergie.
On rappelle que cet ensemble industriel, qui allait encore se développer en centre ville, était opérationnel sur une parcelle de 2031 m2, mitoyenne de la Sous-préfecture, du Lycée Ronsard et qu’un agrandissement fut même réalisé sur la moitié de la largeur du bras du Loir !
Nous évoquerons ultérieurement cette problématique immobilière qui fut à l’ordre du jour du Premier Conseil d’Administration de septembre 1928 de la toute jeune «Imprimerie des P.U.F».
A l’heure où des changements se préparaient, que se passait-il dans le monde graphique ?
Oeuvraient, essentiellement en Province : Emmanuel Grévin à Lagny, Durand à Chartres, Hérissey à Evreux, Firmin-Didot au Mesnil-sur-l’Estrée, Crété à Corbeil, Floch à Mayenne, l’Imprimerie Alençonnaise à Alençon, Protat à Macon (remarquablement équipé pour les langues étrangères) tous fournisseurs de «Rieder», «Ernest Leroux», «Alcan», et les jeunes «Presses Universitaires de France» qui publiaient leurs premiers volumes.
A Paris, dès l’origine, et fidèle en cela à l’idéal coopératif (intégration verticale d’un maximum de fonctions), les toutes jeunes «P.U.F.» avaient fait l’acquisition de matériels de composition Monotype qui furent placés chez l’Imprimeur Louis Bellenand, à Fontenay-aux-Roses (cette curieuse pratique fut en partie active dans les années qui suivirent avec l’imprimerie vendômoise).
Le risque était bien sûr lié au bon fonctionnement de l’imprimeur. Et malheureusement la gestion de Bellenand fut si chaotique que les P.U.F. dûrent reprendre leur bien. Procès, tentative d’accord (confié à Paul Ramadier, coopérateur de le première heure) et finalement accord pour un déménagement et stockage en attendant de trouver une destination.
C’est le service commercial Monotype qui indique le récent investissement en 1925 de l’imprimerie Launay. Les différentes parties se connaissent et François Launay, en excellent négociateur qu’il était, saisit cette occasion, pour assurer la pérennité de son affaire, et rapidement cède son Imprimerie en août 1928 aux P.U.F. dont l’enseigne devient «Imprimerie des P.U.F.».
L’année suivante, «Ernest Leroux», «Alcan», «Rieder» et les jeunes «Presses Universitaires de France» ces quatre éditeurs allaient trouver des formules croisées de mutualisation pour finalement se regrouper le 31 décembre 1929 sous le sigle unique des «Presses Universitaires de France», dirigées par la suite par M. Paul Angoulvent, entré en 1934 dans un contexte très périlleux. Il sera l’initiateur du Quadrige d’Apollon, symbole des 4 entités.
La crise économique et financière des années trente affectait largement deux des sociétés d’édition ainsi que la Banque des coopératives (actionnaire des P.U.F.) qui faisait faillite. C’est dans ce contexte, que les banques et notamment un ami fidèle d’HEC, propose à M. Paul Angoulvent, conservateur au Musée du Louvre, et auteur d’ouvrages faisant autorité sur la «Chalcographie du Louvre», d’entrer aux PUF, avec pour mission de redresser la situation. Gaston Défossé qui sera Directeur Général de la BNP, accompagne son ami et restera très impliqué dans la vie de la Maison.
Il faudra donc, après la consolidation et fusion des quatre sociétés, trouver une ligne éditoriale et des projets rapides à mettre en œuvre, car il y a grande urgence et la pression des banques ne faiblit pas.
C’est ainsi que naît la collection «Que sais-je ?»
Paul Angoulvent avait croisé chez un éditeur d’art parisien un dessinateur (on ne disait pas encore graphiste) connu et il lui confie la création de la marque (Le Quadrige) et la maquette de couverture de cette nouvelle collection.
Michel Bouchaud faisait ainsi son entrée aux PUF. Et, dans ce présent article, c’est la première fois que l’on présente ci-contre aux lecteurs ce document qui est remarquablement conservé. Il suffira aux amateurs curieux de rapprocher cette épreuve d’un ancien titre pour voir à quel point la maquette était précise. Autre différence : il s’agit «De l’atome à l’étoile», titre sans doute choisi car préfacé par un prix Nobel, mais il ne fallait pas oublier Maurice Caullery, un des fondateurs des P.U.F. (et futur Président de l’Académie des sciences) et sans doute le père du nom de cette Maison à nulle autre pareille.
La feuille de mise en vente du 1er mai 1941 présente les premiers titres, et l’annonce des suivants. Il est décidé, que compte-tenu des équipements, les volumes seront fabriqués à Vendôme, en typographie au plomb, les compositions conservées pour les réimpressions.
La collection «Que-sais-je ?» est unique par ses caractéristiques techniques et typographiques qui imposent que tous les volumes aient 128 pages. Il y a eu malheureusement trop d’exceptions à 112 pages, 120 pages, ou même 136 pages. Des dérogations économiquement désastreuses, car 4 cahiers de 32 pages donnent bien 128 pages. A ce sujet, il a fallu attendre le milieu des années 1970 pour abandonner les 8 cahiers de 16 pages pour passer à 4×32 pages.
La composition est longtemps effectuée en Bodoni c. 10 de chez Monotype (135-11 c.10 pour les spécialistes) sur 18 douzes (l’unité de mesure adoptée avant le mètre de M. Arago). Un «QSJ ?» standard comportait, à l’origine 240 000 signes (ou blancs), et la composition de cet ensemble pesait environ 240 kilos, soit environ 1 gramme le signe. Retenez bien ces chiffres car quand nous aborderons les premières «mises en vente», nous mesurerons l’ampleur de l’organisation mise en place, d’autant que nombre de titres furent réimprimés dans l’année.
Il faut dire que le génie rodait et il suffit de lire le «Référendum que-sais-je ?» pour mesurer la hardiesse du propos et la confiance. Nous sommes en 1941 et la crise du papier s’installe, s’accentue en 1942, pour ne pas fléchir. Sans parler de l’immobilisation de matière, plomb, antimoine et étain, constitutifs de l’alliage utilisé pour fondre les caractères.
L’impression typo était réalisée sur une machine dite à «retiration», impression de la feuille recto et verso en un seul passage du papier, au format 74×94 cms, jusqu’à l’arrivée très tardive d’une rotative offset à feuilles en 1983. Avec ce nouvel équipement, les 128 pages étaient imprimées sur une seule feuille. Et l’ensemble Place Saint-Martin, jusqu’en 1963-64, avec la production à diriger vers la distribution !
Non content de cette création (qui perdure plus de 80 ans après), Paul Angoulvent confiait à François Perroux, Directeur, à Robert Delavignette et Jacques Madaule, la direction d’une collection grand public de petits volumes de 64 pages reliées par piqûre à cheval, avec même typographie, même format 11,5×17,6 cm que «QSJ ?». Le nombre de titres, sans que l’on puisse trouver une table complète, semble n’avoir pas atteint les 100 titres. Initialement, on trouve le chiffre de 600 titres à publier dans «Que-sais-je ?» On mesure le succès et les traductions dépassent les 50 langues. Et loin d’être figée dans sa production imprimée, en l’an 2000 on recensait déjà plus de 1000 titres numérisés.
Une seule construction porte aujourd’hui la marque «Presses Universitaires de France». Elle se situe à Vendôme, boulevard de l’Industrie, son architecture suggérant son contenu de l’époque : Le Livre. Et le bâtiment jumeau, aujourd’hui «Espace Culturel, le bien nommé, contenait l’intégralité du stock de la collection «Que-sais-je ?».
«Que-sais-je ?» et «Presses Universitaires de France» sont des marques du groupe d’édition «Humensis», et ces fleurons de l’édition française étaient bien présents à Blois, aux récents «Rendez-vous de l’Histoire».
Ah quel travail ! C’était le thème des Rendez-vous et ce fut sans doute une expression courante entendue dans les ateliers de cette maison à nulle autre pareille.