Les heurs et malheurs de la statue du Maréchal de Rochambeau
Si ce monument est, aujourd’hui, partie intégrante du paysage urbain du centre-ville, il n’en est pas moins vrai qu’il demande, encore et toujours, des soins attentifs pour sa bonne conservation. Ainsi, courant janvier, sous l’égide du Rotary-Club de Vendôme, les inscriptions du piédestal ont été quelque peu ” rafraîchies “. Une belle initiative, en vérité ! Mais que sait-on au juste de l’histoire mouvementée de cette superbe statue devant laquelle bien des Vendômois passent maintenant sans même la voir, tant elle nous est familière ? C’est ce que nous allons tenter, trop brièvement sans doute, de vous expliquer.
Né à Vendôme le 23 juin 1725 dans l’ancien hôtel de Courtanvaux, rue Poterie (emplacement de la bibliothèque actuelle), le Maréchal de Rochambeau, grand homme de guerre, le vainqueur de Yorktown (19 octobre 1781), décédait en son château de Rochambeau le 12 mai 1807. Il repose au cimetière de Thoré-la-Rochette. Parce qu’enfant du pays, Vendôme lui devait bien l’érection d’un monument à sa gloire. Mais il faudra attendre l’extrême fin du XIXe pour voir ce souhait se réaliser.
1898/99 : le projet
Au lendemain de la guerre de Cuba (1895/1898) qui mit aux prises les États-Unis et l’Espagne, la France dont la presse et l’opinion publique avaient nettement pris parti pour son proche voisin, fut boudée par les Américains qui décidèrent, sous l’influence de l’Allemagne, de boycotter les marchandises de provenance française. La pensée d’un rapprochement entre la France et le peuple dont elle avait assuré l’indépendance, prit alors tout son sens. C’est ainsi, sur le plan local, que M Royau, adjoint au maire, lança l’idée de faire ériger, à Vendôme, sa ville natale, une statue en mémoire du Maréchal de Rochambeau.
Le président de la Société Archéologique approuva le projet et un comité fut, de suite, formé. M le lieutenant-colonel de Sachy et M Le Myre de Vilers acceptèrent la présidence effective et la présidence d’honneur. M Raoul de Saint-Venant (l’auteur du dictionnaire) fut nommé secrétaire ; MM Renault (conservateur du musée) et Fouache, trésoriers ; M Royau, le fondateur, occupa la fonction de secrétaire-adjoint. Les puissants appuis de l’ambassadeur américain, S.E. le général Horace Porter et de M Cambon, son homologue aux États-Unis, furent bientôt acquis.
Mais c’était compter sans la politique de clocher et les adversaires hostiles au projet se manifestèrent rapidement. Ils réussirent même à convaincre le sous-préfet et le préfet, qui d’ailleurs n’assisteront pas à l’inauguration, de l’inutilité d’une telle démarche. Les députés et les sénateurs, quant à eux, se tinrent prudemment à l’écart.
Malgré tout, l’idée poursuivait son chemin ; la souscription marchait bien. M Fernand Hamar, un habile sculpteur vendômois, conçut la maquette. M Boué, architecte, dessina le piédestal. Il ne s’agissait plus que de choisir un emplacement approprié pour dresser la future statue ; ce ne fut pas chose facile. Le rond-point du faubourg Chartrain, en avant du pont, fut rejeté par le conseil municipal, car cela pouvait entraver la circulation (ce qui n’empêcha pas, vingt-deux ans plus tard, d’y ériger le monument aux Morts). Le pont Saint-Georges, la place de la Madeleine, la place d’Armes (place de la République actuelle), le ‘triangle’ de la gare (à l’embranchement du Bd de Trémault avec le faubourg), autant de lieux qui furent, tour à tour, refusés. En octobre 1899, une pétition des commerçants proposant la place Saint-Martin au droit du chevet de l’ancienne église détruite en 1857, l’emporta enfin. Si ce dernier emplacement convenait, il restait toutefois une petite difficulté : le trottoir de la place était droit, sans être parallèle au trottoir opposé et il semblait difficile, sur le plan esthétique, d’y implanter avantageusement le monument ; l’idée d’arrondir l’extrémité ‘est’ de la place sauva, une fois de plus, le projet.
1900 : la réalisation
Le 18 janvier 1900, le comité Rochambeau procéda à l’adjudication des travaux du monument. Huit entrepreneurs y prirent part. Furent déclarés adjudicataires : 1er lot, entourage du chantier, battage des pieux, étayage, etc, à M Thoumain, charpentier – Pour les 2e et 3e lots, fouilles, fondations et pose du piédestal taillé et mouluré, réfection du trottoir et caniveaux, à M Portel. Les travaux devant commencer le 26 février pour être achevés dans un délai de six semaines, ne débutèrent, en fait, que le 5 mars, à cause du prolongement de la foire. Une palissade fut construite autour du chantier dans le but d’éviter tout accident.
Le 12 mars les fouilles étaient achevées : … A 1,80 m de profondeur, les terrassiers, en même temps qu’ils arrivaient au niveau de l’eau, découvraient un solide banc de jars… On dut avec beaucoup de peine démolir dans toute la largeur de la fouille et sur 80 cm d’épaisseur, le mur de l’abside de l’ancienne église Saint-Martin… Ce même jour, le comité se transporta au musée (rue Poterie) pour y admirer la maquette de F. Hamar et celle du piédestal, exécutée par M Varennes, sculpteur à Tours. L’ensemble, à la satisfaction de tous, fut jugé du plus bel effet.
Les travaux de maçonnerie commencèrent le 13 mars et se poursuivirent sans discontinuité. Le 22 mars, tandis que F. Hamar était avisé, par son fondeur, que le bronze était terminé, les fondations du piédestal étaient achevées. Parallèlement, des ouvriers procédaient à la taille des pierres du dit piédestal dont la mise en place était prévue la semaine suivante ; d’autres s’activaient à la réfection du trottoir suivant le nouvel alignement proposé. Le 27, sur un chantier orné de drapeaux français et américains et d’écussons aux armes de la République et de la ville, la première pierre était posée. Le 24 avril, le conseil municipal délibérait sur la pose ou non d’une possible grille de protection autour du monument.
Juin 1900 : l’inauguration
En mai 1900, lorsque vinrent les élections municipales, il ne restait plus qu’à arrêter le programme des fêtes d’inauguration. Ainsi la nouvelle municipalité, avec à sa tête M Guillemot, s’occupa activement des derniers préparatifs et l’inauguration fut fixée au lundi 4 juin 1900. En quelques jours la ville va se transformer ; jamais on ne vit à Vendôme, un tel enthousiasme et de semblables décorations. Les réjouissances durèrent trois jours, du samedi au lundi et leur programme, impossible à rapporter ici, remplirait plusieurs colonnes du journal. Ces festivités furent placées sous la présidence de l’ambassadeur Porter : deux tribunes décorées de faisceaux de drapeaux franco-américains et de tentures aux couleurs nationales furent construites de chaque côté du monument. La cérémonie, débutant à 14 heures, fut suivie par une foule énorme ; musique et discours se succédèrent. L’illustre personnage que chacun put enfin admirer est représenté debout, le bras droit tendu dans un geste de commandement. Sa main gauche tient un plan de Yorktown. À ses pieds repose une bouche à feu. Pour clore les cérémonies, en fin d’après-midi, une délégation se rendit au cimetière de Thoré sur la tombe fleurie du Maréchal.
C’est au cours d’un des banquets parisiens qui suivit les fêtes de Vendôme que l’ambassadeur Cambon demanda aux membres présents du comité Rochambeau leur accord pour refaire une réplique de la statue du Maréchal, mais de plus grandes dimensions, destinée, cette fois, aux Américains. C’est ainsi qu’une deuxième statue du maréchal fut inaugurée le 4 juillet 1901 (jour de la fête nationale) à Washington. Une figure allégorique de F. Hamar : À la France débarquant aux Etats-Unis pour y implanter la Liberté, complète l’ornementation de son socle.
1942, 1944 : les années difficiles
Au grand désespoir des Vendômois, le mardi après-midi 27 janvier 1942, la statue fut déposée sur ordre de l’occupant nazi au titre de la récupération des métaux non ferreux pour alimenter leur effort de guerre. L’opération fut réalisée par une entreprise blésoise (Normand) à l’aide d’un palan et de multiples cordages. Peu nombreux furent les témoins qui assistèrent à cet enlèvement. Pourtant quelques photos furent prises clandestinement, immortalisant la pénible scène. Le lendemain, la statue en pied du poète Ronsard, inaugurée en 1872 dans le jardin du musée, rue Poterie, subissait le même sort.
Le samedi 12 août 1944, au matin, un buste en plâtre de Rochambeau en provenance des réserves du musée fut déposé, par deux employés communaux, sur le socle resté vide depuis deux longues années. Symbole de la liberté retrouvée, toutes les cérémonies patriotiques et prises d’armes qui suivirent la libération de la ville, se rassemblèrent devant ce monument aux dimensions alors quelque peu disproportionnées.
1974 : Maréchal…. Vous revoilà
En octobre 1951, le projet de remplacer la statue à la mémoire du Maréchal prit corps, sans effet immédiat, hélas. Il faudra finalement attendre trente deux ans pour que le piédestal désespérément vide reçoive enfin une nouvelle statue. La générosité des membres américains de la Société des Cincinnati, permit la refonte d’une réplique exacte de celle inaugurée en 1900, de 760 kg, en bronze et qui fut inaugurée le mercredi 5 juin 1974, à 11 heures 30, place Saint-Martin. Sa réalisation fut rendue possible grâce au moulage en plâtre exécuté par l’artiste décorateur Perrin de Blois, en janvier 1942, donc peu de temps avant son enlèvement, à la demande de la ville de Vendôme et conservé par la suite dans les caves du pavillon de l’aile Gaston d’Orléans du château de Blois.
Transporté à Paris, non sans peine, ce moulage fut confié aux fondeurs Landowski, père et fils. Petite anecdote : Le plâtre de Blois n’ayant plus son bras droit, on dut avoir recours au moule du même bras de la statue à l’identique érigée dans les années 1933/34 devant le musée Galliera à Paris, pour compléter l’œuvre de Perrin.
La cérémonie d’inauguration, présidée par S.E. l’ambassadeur des États-Unis, John Irving, entouré de M Ramsey Heyt, président des Cincinnati et des plus hautes personnalités locales, fut à la hauteur de l’événement rehaussé par la musique de la 13e Division Militaire. Les Vendômois, sensibles à ce geste d’amitié à l’égard de leur ville, vinrent en foule.
1987 : urbanisme moderne oblige
Dans le cadre des travaux d’aménagement du centre-ville qui se poursuivirent de mars à juin 1987, un léger déplacement de la statue du Maréchal avait été prévu. Le nouveau plan de circulation et un réaménagement complet de la place Saint-Martin ne permettaient plus, effectivement, de conserver le monument du Maréchal là où il dressait depuis 87 ans. Ainsi, le mercredi 11 mars (1987), après une dépose de 48 heures, la statue retrouvait son socle déplacé de quelques mètres vers le nord. L’opération fut menée à bien par l’entreprise Lefèvre en partenariat avec l’entreprise Minier, pour la grue.
Aujourd’hui, les tribulations de notre brave Maréchal semblent bien terminées. Mais n’oubliez pas, Amis Vendômois, que du haut de ce piédestal, plus d’un siècle, maintenant, vous contemple.
Crédit photographique : Images et Sons en Vendômois (col. Bonin, Dupré, Guimond, Pax, Coispeau et le Petit Vendômois).
Article paru dans Le Petit Vendômois de février et mars 2005