Quand l’impératrice Marie-Louise et le roi de Rome… (partie 1)
1814, le repli commencé en Allemagne s’accentuant, la France devint alors le champ de bataille où trois cent mille coalisés commandés par Bernadotte, Blücher et Schwartzenberg affrontèrent les quelque cinquante mille soldats de Napoléon. Mais malgré quelques glorieuses victoires françaises, notamment à Champaubert (Marne) , Montmirail (Marne) et Montereau (Seine-et-Marne) sur les Prussiens et les Autrichiens, en janvier et février, cette campagne de France allait s’achever sur une défaite un mois plus tard. Fin mars, en effet, Paris était sur le point de capituler.
Une fuite organisée.
Le 29 mars (1814), au matin, les détonations des canons qui se faisaient déjà entendre depuis l’avant-veille, se rapprochèrent encore plus menaçantes. L’ennemi arrivant par la plaine Saint-Denis était maintenant aux portes de la capitale. S’étant préparé à cette éventualité, l’empereur avait été formel : arrivés à cette extrémité, l’impératrice, le roi de Rome et la cour devaient impérativement quitter le palais des Tuileries et se diriger sur Tours, puis finalement sur Blois où serait établi le siège du gouvernement. Si nous connaissons l’énergique résistance que Marie-Louise opposa à cet ordre, son fils tout juste âgé de trois ans, ne fut pas en reste en se cramponnant, nous dit-on, aux rideaux des salons.
Mais la raison d’état l’emportant, Marie-Louise céda et le départ fut ordonné.
Le cortège qui se dirigeait vers Blois à travers la Beauce, composé d’une dizaine de berlines vertes aux armes de l’Empire escortées par 1 200 chasseurs et grenadiers environ, comprenait, entre autres, l’impératrice, son fils, le petit roi de Rome (accompagné de ses pages), Madame Mère Letizia Bonaparte, la princesse de Westphalie (l’épouse de Jérôme, Catherine de Wurtemberg), Joseph, le roi d’Espagne, l’archichancelier Cambacérès, le Conseil de Régence et un assez grand nombre d’officiers et de dames d’honneur attachés à la cour impériale. Cinq ou six fourgons chargés du trésor impérial (costumes du sacre, bijoux de la couronne, vaisselles et barils d’or ), protégés par des lanciers, complétait cet important équipage.
Dans la même journée, les ministres quittèrent, à leur tour, Paris ainsi que plusieurs hauts personnages de l’état
Au soir, tous s’arrêtèrent à Rambouillet ; le 30 à Chartres, le 31 à Châteaudun et le 1er avril à Vendôme, empruntant ainsi la route impériale n° 10 que Napoléon avait déjà suivie par trois fois, allant ou revenant d’Espagne en 1808 et 1809 et qu’il reprendrait encore le 30 juin 1815 pour gagner Rochefort et de là l’île de Sainte-Hélène.
à Vendôme, l’hôtel de Prunelé.
Le 1er avril, vers 5 heures et demie du soir, «par le Grand Faubourg, le cortège fit donc son entrée dans Vendôme . En ville, les passants étonnés, cherchaient à reconnaître les acteurs de ce spectacle. Bientôt de porte en porte, la nouvelle courut à travers la vieille cité. On s’interrogeait. On essayait de savoir en questionnant quelques cavaliers de l’escorte : les réponses étaient vagues, réticentes, laissant prévoir tout le sérieux de la situation…»
« L’impératrice s’apercevant de la froideur de la foule silencieuse et commençant à douter pour sa sécurité, s’inquiéta de l’endroit où elle allait passer la nuit ». En apprenant que la marquise de Soisy lui laissait son hôtel, elle fut, semble-t-il, quelque peu rassurée.
Les carrosses s’arrêtèrent sur la petite place Saint-Martin, en avant de l’église du même nom. Celui de Marie-Louise, en suivant une belle allée de tilleuls, vint se ranger à l’entrée de la cour d’honneur de l’hôtel. Les illustres voyageurs et leur suite immédiate furent accueillis par Madame de Soisy en personne.
Cette magnifique maison bourgeoise n’est autre que la sous-préfecture actuelle, le grand salon d’apparat occidental en moins. La cour d’honneur (aujourd’hui la seconde cour privée) était alors accessible par une large allée ombragée enserrée entre de grands bâtiments ; Le parc ou jardin situé au-delà du bras du Loir (ou canal du Grand Tournois), vers l’ouest, était déjà de même disposition et d’égale surface que maintenant.
Hôtel de Prunelé
Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, cet hôtel particulier*, sans doute du XVIIIe siècle, avait appartenu à une famille Lenoir et c’est en 1764 que Jean-René Le Tessier de la Bersière, conseiller du roi, receveur des tailles de la ville et élection de Vendôme, en devint propriétaire.
L’hôtel restera chez les de la Bersière jusqu’au 15 ventôse, an VIII (6 mars 1800), date à laquelle Jérôme-Laurent éon de la Baronnie, marquis de Soisy, une des plus grosses fortunes du Vendômois durant la Révolution, l’acquit. à la mort de ce celui-ci, Marie-Charlotte de Prunelé, marquise de Soisy, son épouse, héritant du domaine, lui donnera son nom de jeune fille : hôtel de Prunelé.
M. Milliat, sous-préfet de Vendôme de 1932 à 1936, qui s’est beaucoup intéressé à la venue de l’impératrice en ce lieu, l’imagine entourée de Madame de Montebello et de sa fidèle dame d’atours, Madame de Lurçay, toutes trois se promenant, avant le dîner, dans le vaste jardin, tandis que l’Aiglon surveillé par Madame de Montesquiou, «maman Quiou», lance des cailloux dans le canal depuis le petit pont qui l’enjambe. Dans la salle à manger, il imagine encore le roi de Rome patouillant dans la magnifique vasque en coquille de la gracieuse fontaine de pierre. Puis, alors que tout repose, il évoque Marie-Louise, seule dans ses appartements, au premier étage, écrivant à l’empereur, lui confiant son angoisse et la pénibilité du voyage.
Tableau Roi de Rome
Sans doute, l’impératrice a-t-elle bien écrit ce soir-là à Napoléon comme elle le fera également le lendemain soir à Blois. Car, si ces deux lettres sont perdues, la réponse de l’empereur est connue : «Ma bonne Louise, j’ai reçu tes lettres des 1er et 2 avril. J’espère que le repos que tu as pris à Blois t’aura réparé et remis de tes fatigues. Ta santé m’alarme beaucoup. Tu as tant de peine que je crains que tu ne puisses y suffire. C’est une partie de mes maux. Tâche cependant de prendre courage et de te bien porter. Donne un baiser à mon fils et ne doute jamais de mes sentiments».
De leur côté, Madame Mère fut logée chez M Le Moine de la Godelinière, lieutenant particulier du bailliage de Vendôme et Cambacérès, chez le chevalier de Marescot, rue Poterie. Le roi Joseph fut hébergé au collège de l’Oratoire (mairie actuelle) où, Las Cases, qui accompagnera l’empereur déchu à Sainte-Hélène, fut élève et où devait s’arrêter en 1815, venant de Chartres, ironie de l’Histoire, Blücher, l’un des vainqueurs de Waterloo.
Références : Histoire de France – Robert Milliat, vers l’exil – Touchard-Lafosse, histoire de Blois et de son territoire – Dossier personnel.
Iconographie : collection particulière
Article paru dans Le Petit Vendômois de septembre 2012