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Azincourt, 1415, le comte de Vendôme est encore retenu en captivité

Comme son grand-père Jean VI qui fut prisonnier à Poitiers en 1356 1, le comte Louis de Bourbon devait, lui-aussi, se retrouver captif à la bataille d’Azincourt, 59 ans plus tard.  Mais, si sa détention s’avéra beaucoup plus longue que celle de son aïeul, c’est bien parce qu’il fût dans l’impossibilité de payer la totalité de sa rançon et ce, malgré de très nombreuses tentatives pour la recouvrer. Au vu de certaines recherches antérieures tombées dans l’oubli et jamais exploitées, essayons de comprendre comment et pourquoi cette détention fut, justement, si longue et interrogeons-nous sur les conséquences qui en découlèrent.

Le comte de Vendôme

Deuxième enfant de Jean de Bourbon-La Marche et de Catherine de Vendôme, elle-même fille de Jean VI et de Jeanne de Ponthieu, Louis de Bourbon était présentement comte de Vendôme de 1393 à 1446, succédant ainsi à sa mère et à son grand-père. Né vers 1376, il avait pour frères et sœurs : Jacques, comte de La Marche – Jean, seigneur de Carency, Anne, duchesse de Bavière – Marie et Charlotte.

En 1403, au cours d’une expédition conduite en Pays de Galle par son frère aîné Jacques, il était armé chevalier.
Localement, en 1406, il rattachait la baronnie de Mondoubleau au comté de Vendôme.
Nommé grand chambellan de France, en 1409, puis conseiller juge et grand réformateur du royaume, l’année suivante, il s’attacha au parti des Armagnacs.

Le 21 décembre 1414, il épousait Blanche de Roucy, fille d’Hugues II, comte de Roucy et de Blanche de Coucy.
Début juin 1415, Louis était envoyé comme ambassadeur en Angleterre pour obtenir la neutralité du roi Henri V (21 mars 1413-31 août 1422). Un sauf-conduit, signé par ce dernier à Westminster le 6, nous indique que Louis, grand maître de la Maison et conseiller du roi de France, était accompagné d’une nombreuse délégation, soit une centaine de personnes. Mais ayant échoué, il reçut bientôt la mission d’arrêter les Anglais au passage de la Somme. Ce sera alors l’inévitable et désastreux affrontement d’Azincourt, aucune nouvelle négociation n’ayant abouti.

La bataille

Le 14 août (1415) Henri V d’Angleterre débarquait en Normandie ; le 22 septembre les Anglais prenaient Harfleur. Mais, refusant de marcher sur Paris jugeant la saison peu propice, Henri V préféra regagner Calais (alors ville anglaise) pour se rembarquer vers son pays.

C’est alors que le Grand Conseil de France réuni à Rouen le 12 octobre (1415) décidait de contrer l’armée anglaise et le vendredi 25 suivant ce fut le choc près d’Azincourt, dans la clairière entre les bois du dit village et ceux de Tramecourt (Pas-de Calais).

Quoique supérieure en nombre, la chevalerie française, on le sait, fut mise en déroute avant d’être véritablement massacrée. Si l’état du terrain rendu impraticable par une pluie incessante défavorisa grandement les très nombreux chevaliers en armures avant même de rencontrer l’ennemi, l’efficacité des archers anglais devait faire le reste.

Un grand nombre de chevaliers et d’hommes d’armes français furent ainsi tués, blessés ou  prisonniers. Mais de peur d’être pris à revers et d’un possible soulèvement des captifs toujours plus  nombreux, voire des blessés toujours plus encombrants, Henri V ordonna bientôt leur massacre. Un ordre très discuté dans les rangs anglais, supprimant d’autant toute possibilité de rançon.

À en croire certaines sources, les Français perdirent environ 6 000 chevaliers dont le connétable Charles d’Albret, cousin du roi de France, de très nombreux seigneurs (dont quatre princes du sang), plusieurs ducs et comtes. En revanche, près d’une centaine d’autres grands seigneurs et un millier de chevaliers furent réellement faits prisonniers. Louis de Bourbon, notre comte de Vendôme, capturé par John Cornwall, un chevalier anglais, fut de ceux-là.

Une longue captivité

Emmené en Angleterre, Louis de Bourbon fut enfermé dans la tour de Londres. Considéré comme un personnage de haut rang pour avoir commandé l’une des ailes de la cavalerie française à la défaite d’Azincourt, sa rançon fut fixée à 100 000 écus d’or, une somme exorbitante qu’il ne pourra, d’ailleurs, jamais rembourser totalement, même après sa mort, par son épouse.

Retenu prisonnier, dans un premier temps, de 1415 à 1424, sa détention ne fut peut-être pas aussi pénible qu’on l’imagine. Entouré de plusieurs serviteurs de confiance qui se relayeront auprès de lui et qui joueront un grand rôle dans le recouvrement de sa rançon, Louis devait jouir d’une certaine « liberté ». C’est ainsi qu’il eut une liaison avec une Anglaise, Sybille Bostum qui lui donna un fils : Jean dit le Bâtard de Vendôme que Charles VII légitimera en mai 1449.

En août 1421, Louis de Bourbon devait également apprendre la mort de son épouse Blanche de Roucy décédée sans héritier et inhumée en la collégiale du château de Vendôme. À la suite de quoi, il expédia, en novembre (1421), depuis sa prison, « un titre de fondation de rente de 20 livres pour célébrer chaque année quatre services solennels pour l’âme de Blanche dans l’église Saint-Georges », ainsi que plusieurs autres rentes concernant la Trinité, Chartres, Tours, Le Mans et Épernon.

Une rançon difficile à rassembler

Dès le 15 décembre 1415, signé de Westminster, soit à peine deux mois après sa capture, un premier sauf-conduit était donné à quelques uns de ses serviteurs pour passer en France et régler certaines affaires du comte dont la rançon.
Le 6 janvier 1416, un certain Jean Bénard, homme de confiance, et quelques autres, étaient de nouveau pressentis pour les mêmes raisons que précédemment.

De même, le 1er avril suivant, Jean des Croix, chevalier, un familier  de Louis, était à son tour envoyé en France « dans le comté de Vendôme ». Nul doute qu’il s’agissait ici de réunir au plus vite la rançon quand on sait que la plupart des sommes demandées (certes, beaucoup moins importantes) étaient généralement réunies dans les premières années de détention.

Quoi qu’il en soit, pendant l’année 1417, Louis de Bourbon réussissait néanmoins à remettre au roi d’Angleterre 54 000 écus. Contrairement à ce qu’il fût souvent écrit, cette somme représentant un peu plus de la moitié de la rançon ne fut pas prélevée sur les sujets du comte mais bien empruntée à un certain Jehan Victor, marchand de Florence. En réalité, cet emprunt portait sur 60 000 écus, le prisonnier se réservant au passage 6 000 écus pour ses besoins personnels. Un acte daté de mars 1417 passé en la cour royale d’Angleterre devant témoins et non des moindres, comme Charles d’Artois, comte d’Eu, Arthur de Bretagne et nobles hommes chevaliers et écuyers anglais, en fait foi.

Cela ne suffisant pas, le 25 octobre 1418, toujours de Westminster, un sauf-conduit était encore délivré au dit Jean des Croix «…Pour aller dans le pays de France pour la rançon du susdit comte ». Louis de Bourbon était maintenant prisonnier depuis trois ans (jour pour jour). Jean des Croix, proche et zélé compagnon, était ainsi renvoyé outre Manche en compagnie de plusieurs autres serviteurs afin de réunir le complément de la somme exigée. Et le 7 décembre ce même Jean des Croix, parti une quarantaine de jours plus tôt, revenait en Angleterre porteur de 2 000 écus. Un bien faible acompte.
Durant les années 1418/1419, mais à des dates non indiquées, plusieurs serviteurs furent encore envoyés en France ou rappelés auprès du comte de Vendôme toujours détenu. L’un d’eux fut même renvoyé «…Pour aller en ville de Vendôme pour la sépulture du corps de Jean de Ferres, chevalier…», sans doute un personnage local que Louis de Bourbon tenait en grande estime pour se faire ainsi représenter.

bataille-Azincourt-2

En 1420 et 1421, pas moins de quatre laissez-passer (à notre connaissance), toujours non datés,  étaient encore délivrés à différents serviteurs du comte.
Depuis 1418, en effet, les envois d’émissaires pour recouvrer la rançon se multipliaient. Henri V, manifestement, s’impatientait à tel point que le 31 octobre 1421 un sauf-conduit était donné à «Guillaume Forces, serviteur du comte, prisonnier du roi, pour aller au-delà de la mer en l’audience du roi…». On peut penser qu’il s’agit là du roi de France Charles VI (1380-1422) susceptible d’intervenir dans le paiement de la rançon et surtout d’en accélérer le versement.
En 1422 et 1423, ne pouvant toujours pas obtenir satisfaction, après un nouvel envoi infructueux de serviteurs, le duc de Bedford, maintenant régent d’Angleterre (le tout jeune Henri VI venant de succéder à son père Henri V), le 28 novembre 1423, adressait de Westminster, au nom du roi, un sauf-conduit «au comte Louis de Bourbon pour aller en France…». Là où ses serviteurs avaient toujours échoué  ces dernières années, le comte, en personne, ne pouvait que réussir à rassembler l’argent.

Curieusement et nous ignorons pourquoi, Louis ne revint pas en France en cette fin d’année 1423 et le régent se vit dans l’obligation, le 15 juillet 1424, de signer à nouveau, toujours au nom du roi depuis Westminster, un second sauf-conduit au «comte de Vendôme pour aller en son pays pour sa rançon».

L’histoire n’est pas toujours simple

En cette seconde moitié de l’année 1424, Louis de Bourbon revenait donc en France. Vint-il en Vendômois ? Nous l’ignorons encore. Toujours est-il que, dès le 24 août 1424, pendant qu’il essayait de négocier sa rançon, Louis épousait, en secondes noces, Jeanne de Laval, fille de Jean de Montfort, sire de Laval et d’Anne, dame de Laval et de Vitré, par contrat et par traité… à Rennes. De cette union naîtront deux enfants : Jean, futur comte de Vendôme de 1446 à1477 connu sous le nom de Jean VIII et Catherine.

Mais, à partir de cette fin d’année 1424 tout se complique. Pour certains auteurs Louis était maintenant définitivement libéré, rançon entièrement payée ou non. Pour d’autres, il devait sa délivrance quasi miraculeuse suite à un vœu dit « vœu de Lazare » qu’il aurait formulé lors de sa détention. On peut donc penser qu’après son second mariage, il avait repris ses occupations à la tête du comté. Pourtant rien n’est aussi sûr.

Comme nous l’avons indiqué, son retour en France permis par le régent d’Angleterre n’avait pour seul but que de réunir la rançon. Sans doute libéré temporairement sur parole et n’ayant pu trouver la somme manquante, Louis, homme d’honneur, se vit alors dans l’obligation de retourner à Londres pour se constituer à nouveau prisonnier. Ce qui expliquerait la nomination d’un noble anglais, par le duc de Bedford, à la tête du comté de Vendôme, précisément de la fin 1424 à 1427… Mais ceci est une autre histoire… Que nous analyserons d’ailleurs prochainement.

Tout porte donc à croire que Louis de Bourbon serait bien reparti en Angleterre juste après son mariage, puisque dès le 20 octobre 1424, un énième sauf-conduit avait été encore délivré « à Pierre Gonzelles et autres serviteurs du comte de Vendôme pour venir en Angleterre ».

C’est  peut-être aussi, durant cette seconde détention, que le comte de Vendôme fit, selon la tradition, ce fameux vœu de Lazare, à savoir échanger sa liberté contre une procession, le vendredi d’avant la Passion, consistant à faire porter par un criminel (gracié pour la circonstance) ou par le comte lui-même un cierge de 33 livres (en l’honneur des 33 ans du Christ sur terre) et remis ensuite à l’abbaye de la Trinité.

Quant à sa soudaine et définitive libération vraisemblablement en 1427, puisque le 20 avril 1428 il accomplissait personnellement son vœu, elle pourrait davantage s’expliquer par un arrangement pécuniaire avec son « capteur » et gardien John Cornwall  que par une intervention  divine.

Note 1 : Le Petit Vendômois, n° 322, janvier 2015.
Sources :
R. de Saint-Venant, Louis de Bourbon et sa rançon, Bulletin de la Société archéologique du Vendômois, 1909.
Charles Métais, Études et documents, t. IV, 1891-1894, bibliothèque de la SAV.
Valérie Toureille, Le drame d’Azincourt, Histoire d’une étrange défaite, Albin Michel, 2015.
Recherches et étude personnelles.
Iconographie : dessin anonyme représentant la bataille d’Azincourt, Tout l’Univers, Hachette.

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