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Un chevalier anglais comte de Vendôme

Comme nous le laissions entendre(1) en relatant la détention du comte Louis de Bourbon comme faisant suite à la bataille d’Azincourt (1415), la nomination d’un noble anglais à la tête du comté de Vendôme peut surprendre et nous interroger. Passé sous silence par les érudits du XIXe siècle, à l’exception du marquis de Rochambeau(2), voire par la plupart des historiens du siècle dernier, cet épisode de notre histoire locale fut, en effet, complètement occulté et le plus souvent, semble-t-il, volontairement oublié. Si le manque de sources historiques fut parfois évoqué, ce qui est vrai pour les rapports avec le Vendômois, la documentation concernant le personnage pourtant existe pour qui veut bien s’y intéresser. Essayons de le démontrer.

Un succinct rappel des faits

Retenu prisonnier en Angleterre depuis le 25 octobre 1415, date du désastre d’Azincourt, le comte de Vendôme, Louis de Bourbon (1393-1446), était renvoyé en France, en juillet 1424, sur parole, pour réunir le reste de son exorbitante rançon (100 000 écus d’or). Il en profitait d’ailleurs pour se remarier avec Jeanne de Laval le 24 août…à Rennes. Mais, ne parvenant pas à trouver l’argent, il retournait, en septembre, en Angleterre se constituer à nouveau prisonnier. Il y restera encore trois longues années. C’est précisément dans ce temps compris entre fin 1424 et 1427 que le comté fut attribué, pour le sûr, au chevalier anglais Robert (de) Wilugbhy (ou Willougbhy).

Une mainmise anglaise

Ainsi, le 20 septembre 1424, par lettres patentes confirmées le 21 octobre 1425, le nouveau roi d’Angleterre, Henri VI (1422-1461), tout juste âgé de deux ans, par l’intermédiaire de son régent de France, le duc de Bedford, investissait le capitaine Wilugbhy du comté de Vendôme pour bons et loyaux services. Un acte (partiellement remis ici en Français) scellé en lacs de soie et cire verte en fait foi :

«Henry (VI), par la grâce de Dieu, roi de France et d’Angleterre…Et par les lettres patentes de son très cher et aimé oncle Jean de Lancastre, régent du royaume de France, le duc de Bedford, d’Anjou et d’Alençon, comte du Maine, de Richemond et de Cancale…Donne et cède par ces présentes, à messire Robert de Wilugbhy, chevalier et conseiller de monseigneur le roi…Le comté, terre, seigneurie et justice de Vendôme avec les rentes et revenus, cens et autres droits appartenant audit comté, ainsi que les dépendances et tous les biens qui appartenaient à Louis de Bourbon, jadis comte de Vendôme, rebelle et désobéissant au roi, son ennemi et adversaire ; lequel comté de Vendôme est acquis et confisqué pour rébellion et désobéissance dudit Louis de Bourbon… Ainsi Robert de Wilugbhy pourra en jouir, lui et ses héritiers mâles légitimés, issus en ligne directe, perpétuellement… ».

On ne peut être plus clair. Si Louis de Bourbon considéré comme rebelle et toujours maintenu prisonnier sur l’honneur était maintenant déchu officiellement de tous ses droits sur le comté de Vendôme, l’Anglais pouvait dès lors, lui ou ses descendants, en jouir éternellement. Cette ingérence, comme on le voit, pouvait avoir de très longues et graves conséquences sur notre Vendômois.

Mais qui est donc ce Robert de Wilugbhy ?

Né en 1385, il était le fils de William Wilugbhy, 5e baron Wilugbhy, et de Lucy, fille de Roger le Strange, lui-même 5e baron de Strange. À la mort de son père, en 1409, il héritait du titre de baron Wilugbhy d’Eresby, 6e du nom, et d’un vaste domaine dans le Lincolnshire.

Il apparaît pour la première fois en 1408 en compagnie d’un représentant de l’Université de Paris prononçant un discours devant le roi de France (Charles VI) contre le pape Benoît XIII. Puis, en 1412, nous le retrouvons en Guyenne débutant dans l’armée anglaise. En 1415, il débarquait avec Henri V à Harfleur et participait, dans les années qui suivirent, à plusieurs campagnes militaires en France dont Azincourt le 25 octobre 1415. Deux ans plus tard (1417), il était encore présent au siège de Caen, avant d’être fait, la même année, chevalier de la Jarretière. En 1419, il obtenait déjà, en récompense de ses services, la lieutenance de la ville et du château de Rouen et, en 1420, il accompagnait Henri V pour le couronnement de la reine Catherine de Valois, son épouse. En juillet 1423, il se distinguait à la bataille de Cravant-sur-Yonne, ville tenant pour le duc de Bourgogne et assiégée par le connétable d’Écosse. En 1423, il retournait en Angleterre pour lever de nouveaux contingents d’hommes en armes. Le 8 août 1424, il était devant Ivry (Eure) en compagnie du duc de Bedford et le 17 suivant, à la bataille de Verneuil, il capturait le duc Jean d’Alençon conjointement avec un certain John Fastolf, autre chevalier anglais. Enfin, en septembre 1424, nous le savons, il était nommé, en lieu et place de Louis de Bourbon à la tête de notre comté.

Robert Wilugbhy comte de Vendôme

Le rôle exact que tint Wilugbhy envers le Vendômois, comme nous le disions, n’est pas connu. Vint-il seulement dans sa nouvelle seigneurie ? Nous l’ignorons. Ce dernier continuera cependant à servir Henri VI d’Angleterre et le régent Bedford avec le même dévouement ; ceux-ci, d’ailleurs, lui rendront bien.
C’est ainsi que, le 26 mai 1425, le roi d’Angleterre abandonnait à «Robert, comte de Vendôme, seigneur de Wilugbhy», toujours pour bons et loyaux services, l’hôtel de Bohème avec jardins et dépendances, situé rue de Nesle à Paris, à savoir l’ancien hôtel de Soissons ayant appartenu au duc d’Orléans.
Plus important, le 25 mai1427, par de nouvelles lettres patentes, Bedford lui assurait maintenant, outre le comté de Vendôme, tous les fiefs et arrières-fiefs qui avaient appartenu à Louis de Bourbon. Assurément, les Anglais voyaient loin.

Mais, c’était sans compter sur la libération1 inopinée, voire quasi inexpliquée, du Bourbon. Car, à partir de 1427 (donc après le mois de mai), nous voyons Louis de Bourbon reprendre ses activités de comte et de chevalier, en fondant, cette même année, le couvent des Augustins à Montoire. Tout comme, en 1428, il accomplissait sa procession1 du Lazare ; en mai 1429, il assiégeait Orléans aux côtés de Jeanne d’Arc, en juin, il prenait Jargeau, en juillet, il assistait au sacre de Charles VII, puis participait à la victoire de Patay avant de prendre Chartres. En 1430, il était encore présent à Compiègne lorsque Jeanne d’Arc fut livrée aux Anglais…

Pourtant, malgré le retour de Louis de Bourbon et selon des lettres patentes du 4 octobre 1430, curieusement, Wilugbhy était toujours titré comte de Vendôme et recevait cette fois du régent Bedford le comté de Beaumont-sur-Oise ainsi que les terres d’Asnières et de Luzarches, avec « les cens, rentes, maisons, revenus, héritages, forfaiture, fiefs, arrières-fiefs, caves, moulins, bois, forêts, forteresse, seigneurie, justice, possessions et dépendances ».

Bien plus, le 15 décembre 1431, dans une lettre de rémission (de grâce) datée d’Argentan, Wilugbhy s’intitulait encore «comte de Vendôme et de Beaumont (sur-Oise), de Mondoubleau et de Beaumesnil (seigneurie reçue déjà pour récompense avant 1422) et lieutenant du duc de Bedford…».
Il y a là, manifestement, de 1427 à 1431, une logique qui nous échappe. C’est peut-être pour cela que ce chevalier et capitaine anglais ne fut pratiquement jamais étudié, ni répertorié, exception faite par le marquis de Rochambeau (cf. sources bibliographiques), comme un possible ou réel comte de Vendôme.

Robert Wilugbhy, homme de guerre

Mais si, après 1431, son titre de comte de Vendôme n’apparait plus, Robert de Wilugbhy n’en continuait pas moins une brillante carrière militaire. Ainsi, en juillet 1433, lieutenant en Basse-Normandie, il accompagnait avec 1 200 hommes, Pierre de Luxembourg, comte de Saint-Pol (ou Saint-Paul), au siège de Saint-Valéry. Le 15 octobre suivant, il tenait campagne aux environs de Villers-Carbonnel (Somme) à la tête d’un contingent anglais en soutient au dit comte de Saint-Pol et de son oncle Jean de Luxembourg. En 1434, Saint-Valéry ayant été reprise par les Français, Wilugbhy amenait 500 Anglais en soutien au comte d’Étampes pour la reconquête de la ville. En 1435, il était également investi du commandement de la ville de Paris ; mais celle-ci bientôt réduite à l’obéissance de Charles VII, plusieurs seigneurs anglais dont Wilugbhy ne voulant pas évacuer la place, s’enfermèrent dans la Bastille d’où ils en furent chassés en avril 1436. Après une dernière campagne en France (1437), un sauf-conduit lui permettra de gagner Rouen et de là l’Angleterre (1438). Dès lors, nous perdons sa trace.

Sans confirmation, Wilugbhy serait ensuite parti en pèlerinage en Terre Sainte pour n’en revenir qu’un 1443. Et, le 25 juillet 1452, il décédait sans descendance mâle ; c’est son gendre Richard Welles (exécuté en 1470 pour trahison) qui devait lui succéder dans ses terres et dans ses titres.

Robert (de) Wilugbhy, en premières noces, avait épousé Élisabeth décédée en 1438, fille de Johan Montacute, 3e comte de Salisbury, qui lui donna une fille : Joan qui épousera, avant 1446, Richard Welles, 7e baron Wilugbhy d’Eresby (1452) et 7e baron Welles (1467). En secondes noces, il se remariait, après 1438, à Maud Stanhop, une jeune héritière, morte en 1497, sans enfant.
Bien que titré 23e comte de Vendôme par le marquis de Rochambeau, ce dernier  concluait son article se rapportant à Robert (de) Wilugbhy par ces mots :

«La vie active qu’il avait menée en France lui avait laissé peu de loisir ; aussi ne s’occupa-t-il jamais de son comté de Vendôme, si ce n’est…Vous le devinez, pour en toucher les revenus. Il y a laissé si peu de souvenir que les historiens de cette ville ne l’ont pas connu ; du moins leur silence à son endroit le fait supposer. Louis de Bourbon y a laissé des traces bien plus sérieuses, et le souvenir de ses pieuses et nombreuses fondations lui a survécu jusqu’à la Révolution ».

Note 1 : Le Petit Vendômois n° 324, mars 2016.
Note 2 : Achille de Rochambeau (1836-1897), érudit, correspondant du Ministère des Lettres, Sciences et Beaux-Arts, membre éminent de la Société archéologique du Vendômois.

Sources :
Marquis de Rochambeau, notice sur Robert de Wilugbhy, 23e comte de Vendôme, Bulletin de la Société archéologique du Vendômois, 1871, p. 107.
(Pièces justificatives, Archives nationales, section historique, registre JJ, 173, cote 263 – registre JJ, 173, cote 552 – registre JJ, 173, cote 657 – registre JJ, 175, cote 15).
G.L. Harris, Willougbhy, Robert III, sixth Baron Willougbhy (1385-1452), Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, édition en ligne,  janvier 2008 – Wikipédia.

Recherches et étude personnelles.
Iconographie : Extrait du tableau généalogique des Bourbons, in Généalogie de la Maison royale de Bourbon, Charles Bernard, Paris, 1644, Archives nationales, Paris, in « 1594, le sacre d’Henri IV à Chartres, musée des Beaux-Arts Chartres, 30 juin-31 octobre 1994 ».

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