La Ballade à la lune d’Alfred de Musset à Cogners
En pays calaisien, le clocher de l’église de Cogners pourrait bien être celui du fameux poème de l’enfant terrible de la poésie du début du XIXe siècle dont le père était vendômois.
Du beau château de Courtanvaux (Bessé-sur-Braye), une petite route mène vers le nord à travers collines et vallons arborés pour atteindre le minuscule village de Cogners tout proche. « Ma chère vallée ! Mes noyers, mes sentiers verts, ma petite fontaine ! » a écrit Alfred de Musset dans une de ses pièces, se souvenant du parc du château de Cogners qui appartenait alors à son oncle et parrain.
Le marquis de Cogners, Louis-Alexandre de Musset, était historien. Il reçut souvent Alfred et son frère Paul en vacances jusqu’à la fin de leur adolescence, le premier ayant même failli blesser le second d’une balle de carabine perdue ! Il faut dire que Cogners n’est pas si loin de la terre natale de leur père, Victor-Donatien de Musset-Pathay, qui vit le jour à Lunay avant de faire carrière comme haut-fonctionnaire à Paris.
T’étais-tu… Cognée ?
Cette fontaine qu’évoque le poète et dramaturge est sans doute la même sur la margelle de laquelle il vient «ici s’asseoir [pour] voir dans la nuit brune» :
[…]
Sur le clocher jauni
La lune
Comme un point sur un i.
La ballade de cent trente-six vers fait partie des Contes d’Espagne et d’Italie – son premier poème publié en 1830 alors qu’il n’a que dix-neuf ans – et dont le premier quatrain est devenu si célèbre.
Explication : l’astre, lorsqu’il se lève à l’est, se place régulièrement « sur » l’aiguille du clocher d’ardoises si on le regarde depuis cette fontaine – disparue depuis et qui se trouvait en contrebas de la terrasse du château, déjà dans le pré situé à l’ouest. Comme s’il jouait au bilboquet !
Et puis, ce n’est pas tout. Il y a ces vers étranges qui pourraient nommer le village sans en avoir l’air, plus loin après le fameux quatrain en incipit :
Qui t’avait éborgnée,
L’autre nuit ? T’étais-tu
Cognée
À quelque arbre pointu ?
Cette allusion masquée ne serait pas surprenante car ce long poème déroulé alterne entre un romantisme bucolique marqué de références antiques et un ton malicieux, humoristique, voire parodique des auteurs contemporains d’Alfred, parmi lesquels Victor Hugo dont il moquera volontiers le classicisme. Par exemple ces deux quatrains très crus décrivant une scène intime sous l’œil de la lune juste avant la chute de l’œuvre :
Au pudique hyménée
La vierge qui se croit
Menée,
Grelotte en son lit froid,
Mais monsieur tout en flamme
Commence à rudoyer
Madame,
Qui commence à crier.
[…]
… Où l’on voit que la ballade n’est pas si romantique que cela et que, déjà, pointe l’humeur coquine du futur amant passionné de George Sand !
Enfin, les Sarthois s’amuseront d’apprendre que le jeune Alfred a mis la dernière main aux Contes d’Espagne et d’Italie dans l’enceinte de la préfecture de la Sarthe dont son oncle maternel Guyot-Desherbiers était le secrétaire général. Il y séjourna de temps à autre une fois devenu adulte, les « pataches » parisiennes desservant plus facilement Le Mans que Cogners. Et les deux hommes raffolaient, paraît-il, des parties de billard…
À l’entrée du petit cimetière de Cogners se trouve le carré Musset où quelques rosiers veillent les tombes de la famille, parmi lesquelles celle du marquis de Musset-Cogners comme on l’appelait. Alfred, lui, repose au Père-Lachaise à Paris. Il avait souhaité dans son épitaphe un saule au « feuillage éploré » (pleureur, donc) sans doute pour se rappeler cette belle campagne.