«Le Loir et Cher» de Michel Delpech
Ce tube de l’été a 45 ans cette année. Il fait partie du patrimoine «immatériel» des Loir-et-Chériens !
J’entendis pour la première fois le «Le Loir et Cher» diffusé par un transistor en cueillant le cassis sur les hauts de Marçon (Sarthe) en juillet 77. L’une de mes camarades venait de là, juste de l’autre côté de la limite départementale. Elle se trémoussait joyeusement sur la musique entraînante et connaissait déjà les paroles par cœur, du cheval et du hibou au poste d’essence. C’est que la chanson tournait en boucle sur les radios où elle devait décrocher la 5e place quelques jours plus tard.
Composé en 30 minutes
A l’époque, pourtant, les habitants du «41» goûtent moyennement la plaisanterie, voyant à la télé leur presque-compatriote chausser des bottes de caoutchouc neuves sur fond de champ labouré. «Une nouvelle chanson rurale aux relents déjà écolos, avec moustache bien franchouillarde» ironisera Le Figaro en 2011 !
En somme, on reproche au refrain de traîner les Loir-et-Chériens dans la boue, sans vouloir entendre toutes les amabilités de Michel Delpech pour la Sologne de ses oncles, tantes et cousins. Eux seuls diront : «il a fait une chanson pour nous !». L’ingratitude se prolonge jusqu’aux années 2000, avant que les tournées du chanteur ne le ramènent à Blois et à Vendôme avec tous les honneurs.
Dans son autobiographie publiée en 2011(*), il explique la naissance de la chanson : les deux premiers vers et l’idée de «marcher dans la boue» qui lui viennent naturellement, et qu’il confie à Michel Pelay son compositeur. Delpech voudrait un son rock’n roll sur une de ces belles mélodies dont raffole son public ; «entre la bourrée et le rock’n roll» s’amusera-t-il plus tard. Le musicien aligne les notes en trente minutes chrono. «Quelque chose de faussement blues sur un rock, dans une coloration mineure – c’est à dire un peu triste – et des accords parfaits en arpège dans les couplets» observe Fabrice Chopin, lui-même chanteur en vallée du Loir.
500 000 disques vendus
Pourtant, après coup, Delpech n’est plus très chaud. Il enregistre tout de même le 45 tours chez Barclay. Très vite, «le Loir et Cher» devient l’un des tubes de l’été, repris sous les chaumières par les orchestres des bals de campagne. Les ventes atteignent 500 000 exemplaires. Et les paroles ? «C’est un peu le retour du fils prodigue. En même temps que la fable du Rat des villes et du Rat des champs, ce type de chanson doit avoir quelque chose de fondamental qui puisse faire écho en chacun d’entre nous… Cela évoque véritablement le fin fond de la France. Finalement, chaque département s’y est retrouvé !»
Delpech y clame aussi sincèrement son amour pour les membres de sa famille, tout en n’ayant «pas grand-chose à leur dire». La faute au succès ? «La notoriété nous pousse hors de nos racines à une vitesse folle, d’où l’envie de se retremper dans une rivière familière : ces paroles sont le reflet de ce que je ressentais par rapport à eux. Ils étaient partagés entre la compréhension et, en même temps, blessés de ma furtivité. Le silence qui accompagnait mes départs en disait long.» avoue-t-il encore
Parti avant Mick Jagger
«Le Loir et Cher reste comme un cadeau intemporel» assurera Maurice Leroy, encore président du Conseil général à la mort du chanteur le 2 janvier 2016, saluant «une chanson simple, belle, authentique». Le Département n’a pas voulu oublier, inaugurant en ses murs un Espace Michel-Delpech deux ans plus tard. Vrai que «Chez Laurette» et les inoubliables oies sauvages du «Chasseur» puisent aussi leur inspiration dans la Sologne familiale.
Mais ce sera son dernier vrai succès. Quant au «Chanteur», le destin l’a fait mentir : il est parti rejoindre (Sainte) Cécile avant Mick Jagger, toujours bien vivant dans son château de Pocé-sur-Cissé près d’Amboise… Et qui a fêté ses 79 ans le 26 juillet dernier.
(*) La jeunesse passe trop lentement (Plon)