Le Palais de toutes les fêtes
Vendôme fêtera en ce mois de décembre 2023 les 60 ans de l’inauguration du Palais des fêtes.
Il est devenu, en 2002 après rénovation et agrandissement, Le Minotaure. Jean-Claude Marmion, d’abord concierge puis régisseur fut embauché quelques jours avant son inauguration le 6 décembre 1963. Il se souvient, pour Le Petit Vendômois, des débuts tout en tâtonnements et revient dans cette deuxième partie sur quelques anecdotes, parmi tant d’autres, autour des spectacles programmés pendant les trente années au service de ce lieu multiculturel.
Galas de danse
En 1963, existait depuis peu à Vendôme une école de danse classique dont les cours étaient dirigés par mademoiselle Lyane Michèle, formée par les ballets de l’Opéra de Paris, aux côtés de son amie Noëlla Pontois, d’origine vendômoise. L’ouverture du palais des fêtes fut le déclic d’une lignée de «Gala des petits rats vendômois» pendant 25 ans. Outre l’organisation de spectacles de danse de niveau professionnel «L’association des amis de la danse classique de la vallée du Loir»(AADCVL) terminait son année de cours de danse par un spectacle où les élèves pouvaient ainsi se produire sur scène devant leurs parents et en public. Le «Gala des petits rats» eut d’emblée un énorme succès à Vendôme. L’extrême qualité des spectacles, des ballets, des chorégraphies, des décors ont séduit bien des publics pendant ces années grâce entre autre à Monsieur Sylvain. Puis d’autres écoles de danse se sont créées, tel Le Monde de la Danse etc… classique, moderne, folklorique, danses de salon, adultes et enfants, organisant également leur gala annuel. Ces spectacles de danse généraient beaucoup de participants et donc une utilisation intensive des loges, qui, se révélant trop petites pour ces occasions, obligeait à utiliser les salles du rez de chaussée. D’ailleurs durant les années 60, nous n’utilisions pas encore le magnétophone. Il n’était pas rare que les danseuses, au cours de leur évolution, saut de chat, tours piqués, cabrioles, sissonne ou déplacements du groupe d’un corps de ballet fassent sauter un sillon du disque vinyle utilisé à côté, en régie. Je dois dire ici que, très intéressé et aimant les techniques de scène, j’ai assuré les régies éclairages et sonorisations, peint des décors que les responsables d’associations me confiaient avec pour certains, toute liberté de création !
Charles Azibert
Eté 1965, Charles Azibert, artiste peintre parisien à la retraite à Vendôme, loue la salle n°2 pendant une quinzaine pour y exposer ses œuvres figuratives de paysages, de fleurs… Personnellement et jusqu’à ce jour de mes 24 ans, je n’avais jamais vu autant de tableaux, n’ayant jamais été initié aux arts quels qu’ils soient… ! Cette année-là, Monsieur Sylvain avait comme projet de monter le «ballet égyptien». J’avais trouvé le moyen de lui fabriquer un dais, pour le pharaon, et recherché une image de sphinx dans le but de la reproduire sur un grand panneau de bois pour le fond de scène. Le tout avec des éléments de récupération de la construction, tout juste terminée, du palais des fêtes. Pour m’inspirer, j’ai observé de près les tableaux de Monsieur Azibert, pour comprendre comment reproduire mon sphinx. L’artiste remarqua ma curiosité et me mit en main une brosse et une toile vierge sur son chevalet. Il m’initia aux couleurs en tube, au bleu de Prusse, au carmin d’alizarine, au jaune de Naples, au blanc de zinc etc…et j’ai pu peindre le sphinx…Ma prestation de décorateur de théâtre fut de courte durée, car très vite, Monsieur Sylvain a fait appel au talent de Gérard Treton qui a démontré qu’il était, lui, un décorateur ! Mais, cette initiation par Charles Azibert m’est restée et aujourd’hui je brosse encore des tableaux à ma simple mesure !
Un autre Charles…
Maurice Leroy, le député de notre circonscription fut, un après-midi de 1997, décoré au palais des fêtes, par Charles Pasqua alors ministre de l’intérieur du gouvernement français. Tout était prêt. Pour les discours, le micro fut installé par mes soins, en état de fonctionnement, dûment essayé, testé, vérifié et surveillé par mon œil (de lynx) jusqu’au dernier moment ! A l’heure H, Monsieur le ministre monte en scène. Je suis caché et prêt à tout derrière le «manteau d’arlequin». Toute la salle est en attente et applaudit. Alors il prend la parole: «Mesdames et …» Rien ne passe. Interloqué, Charles Pasqua se retourne un peu, je suis dans son champ de vision, il voit un homme abasourdi qui s’avance vers le micro, il me sourit et me dit en catimini, avec l’accent méridional que tout le monde connaît: «ce n’est rien, pôtit !» Non, bien sûr, ce n’était rien… J’avais bien vu que l’interrupteur du micro avait été touché par sa main en caressant le matériel, en arrivant sur scène pour son discours ! Le tout a duré 30 secondes, peut-être (c’est long, des fois, 30 secondes!) et personne ne l’a vraiment remarqué, tant la cérémonie qui suivit fut intense d’émotions …et de bons mots. Charles Pasqua n’a-t-il pas déclaré, entre autres commentaires que c’était bien la première fois qu’il décorait un «ancien coco» ! Je peux témoigner que personne n’a rigolé. En décembre 2021, Maurice Leroy fut nommé Chevalier de la légion d’honneur mais épinglé, cette fois, par l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, et sans moi aux manettes sono.
Les bals
Dès son inauguration, le Palais des Fêtes a accueilli de nombreux bals populaires les samedis soirs et des thé-dansant certains dimanches après-midi. En 1965, l’élection des Miss France y a même été organisée, une soirée pour laquelle, les services municipaux avaient construit et peint sur panneaux toiles, une porte St Georges en décor de fond de scène, éclairée par des lumières appropriées. Les candidates entraient sur scène depuis le porche, découpé dans le décor et se dirigeaient vers un podium qui prolongeait la scène de quelques mètres en salle au milieu de la piste de danse. Les Miss de toutes les régions françaises étaient représentées, accompagnées de la musique de l’orchestre entassé dans un coin et par les commentaires d’un présentateur stylé sous l’œil implacablement mondain de Madame de Fontenay. Miss France élue, la soirée se terminait par une soirée de gala dansante. La petite anecdote de cette fin de nuit froide d’hiver, est qu’après les mondanités d’usage, Miss France et ses demoiselles d’honneur sont raccompagnées chacune à leur hôtel par des organisateurs empressés, dévoués et galants. Les autres par d’autres moyens, mais certaines ont eu du mal à trouver une voiture pour ne pas rentrer à pieds, en plein hiver, seules, dans une ville qu’elles ne connaissaient pas, complètement oubliées par les officiels… Des volontaires, ceux qui sont encore là ont donc assumé cette tâche, et moi-même ai eu l’honneur de conduire «Mademoiselle Valenciennes» à son hôtel. Elle avait l’air triste, voyant les autres partir, toute seule avec sa valise, dans le hall du palais des fêtes, dans un petit matin glacial et blafard. Elle seule et moi connaissons finalement cette anecdote.
Cette soirée a sûrement donné l’idée au Comité des fêtes de Vendôme de créer, par la suite, l’élection de «Mademoiselle Vendôme» au cours du «Bal des Trois», nom donné à ce gala car l’organisation compliquée et d’ampleur était co-organisée par 3 associations de Vendôme : Le Comité des fêtes, le Syndicat d’initiative, et l’Union commerciale. Pendant des années, sous un thème différent de décor, au mois de novembre, chaque quartier de la ville présentait alors sa candidate. Je me souviens de l’ambiance «Venise» avec le pont du Ri alto en toile de fond, les candidates entraient en scène en gondole (à roulettes) manœuvrée par un gondolier habillé en vénitien qui avait du mal à garder son équilibre. En coulisse, les machinistes et moi-même avons bien rigolé surtout qu’à chaque voyage, il était de rigueur de reprendre du «carburant».
Beaucoup d’orchestres et de vedettes ont accompagné ces bals et évidement Pier Feeler, et sa formation orchestrale familiale vendômoise, qui a tant animé de soirées. Combien? Lui seul le sait …peut être! Dès 1956, «Pierrot» a dirigé la formation musicale des «Jumping Boys», destinée aux «boum» de notre jeunesse.
Défilés de mode
En 1966, «Martine boutique», boutique de vêtements pour femmes à Vendôme, lance l’organisation d’un défilé de mode au palais des fêtes, repris par Monique Ruas. Pendant plusieurs années, cette experte dans le prêt à porter féminin à Vendôme présente ses collections avec le concours de mannequins professionnels, des marques et le soutien de ses collaborateurs directs. Il y avait deux défilés par an, un en septembre pour les collections d’hiver, l’autre en mars pour les collections d’été. Le maire de l’époque, Monsieur Lasneau, accompagnait toujours Madame Lasneau pour les défilés. C’est lors de l’un d’entre eux que le mannequin vedette, trouva qu’«un des messieurs» du 1er rang ne souriait pas et n’applaudissait pas beaucoup. Sûrement que Monsieur Lasneau avait des soucis majeurs d’ordres municipaux ! Toujours est-il que ce mannequin s’est faite un devoir de le dérider d’œillades et attitudes appropriées … et proportionnées, lors d’une ses présentations. Madame Lasneau était évidemment présente ! Ceux qui ont eu l’opportunité d’observer cette intervention millimétrée, voire intime ont confirmé sa réussite, au vu de la mine réjouie et peut-être reconnaissante du Maire de Vendôme. Néanmoins, derrière notre rideau de scène, en coulisse et en cabine nous n’avons pas vu, mais nous savions ce qui se jouait ! Ces défilés se sont poursuivis une bonne quinzaine d’années, jusqu’en 1990.
Spectacles de variétés
Peu après son inauguration, le palais des fêtes est sollicité par la section locale d’une confédération syndicale ouvrière, afin d’organiser un spectacle de chansons. C’est ainsi que Lény Escudo fut le 1er chanteur à se produire, sur scène avec 2 ou 3 musiciens, un soir, en semaine. Dès la première édition des huit jours de Vendôme, en 1964, Richard Antony était la vedette, en tête d’affiche, du premier spectacle de variétés proposé par le «gala des étoiles», en tournée. C’est ainsi qu’au palais des fêtes de Vendôme, dans les années 60/70/80, plusieurs artistes ont pu se produire sur scène en première partie comme Alex Métayer, les Haricots rouges, Michèle Torr, les Missiles, Jean-Jacques Debout, Patricia Carli, les Bario’s etc… Ces acteurs de «1 ère partie» d’alors sont quelquefois devenus des stars, parfois éphémères avec une seule chanson phare…! Tous ont assuré une prestation avant des artistes reconnus comme Richard Antony, Gilbert Bécaud, Dalida, Claude François, Guy Béart, Hugues Auffray, Barbara… ainsi que notre rocker national Johnny Halliday. Je me souviens que ce soir-là, Johnny, en début de spectacle a dû arrêter de chanter: panne de courant électrique. Plus de projecteurs, plus de sonorisation. C’est moi, en coulisses, qui a vu qu’une des nombreuses cymbales du batteur, montée sur la mince tige métallique tenue sur pied, a chuté à côté de son estrade, le tranchant de l’instrument est tombé juste sur un câble électrique, ce qui a provoqué un court-circuit et un joli flash. Mon témoignage a permis de ne pas chercher la panne. Johnny est stoïquement remonté dans sa loge en attendant que le dépannage soit effectué. Suite à cette intervention il est revenu sur scène et a continué son travail. Moi aussi ! Mais en plein show, Johnny s’écroule sur la scène, ce qui n’étonne personne, au premier abord, cependant au bout d’un moment, les musiciens arrêtent de jouer, on s’aperçoit bien que cela devient anormal…son entourage se précipite auprès de lui et observe un malaise. Le régisseur fait appel à un médecin dans le public, et rallume la salle. Un spectateur arrive précipitamment mais…Johnny se relève le micro toujours en main et continue la chanson, la musique recommence exactement là où elle avait cessé. Les lumières de la salle s’éteignent, les éclairages de scène éclairent à nouveau l’artiste et son orchestre. Tout continue comme si rien ne s’était produit. Les commentaires allèrent bon train à l’issue du spectacle, et après aussi, et encore aujourd’hui !…Mais moi je sais bien que le numéro a fonctionné…comme prévu par Johnny !
Le «hallebardier»…?
C’était moi! Dans je ne sais plus quelle pièce de théâtre, un des figurants n’ayant pu se présenter, le metteur en scène, exceptionnellement présent «en province» ce jour-là me demande si je pouvais remplacer cet acteur, au pied levé, mon allure et ma taille s’approchant de celle de l’absent. J’ai accepté, peut-être de bon cœur, un peu impressionné tout de même. Costumé et dûment grimé, j’ai «fait» du théâtre, enfin une simple apparition pendant deux fois quinze minutes, muet et pratiquement immobile… J’ai bien perçu les dix francs correspondant à mon «cacheton».
Emotion des retrouvailles
Au cours d’un bal des supporters de l’USV au palais des fêtes, un homme dans le public a sollicité, auprès du président organisateur Gérard Marmion, la possibilité de rencontrer «André». Gérard a conduit cet homme dans les coulisses auprès d’André Verchuren et lorsque les deux hommes se sont retrouvés face à face, ils se sont jetés dans les bras l’un de l’autre, en pleurant… Ils ne s’étaient jamais revus depuis leur triste séjour dans ce même camp horrible de déportation allemand ou ils travaillaient ensemble.
Madame de …
La fille de Madame Rosamée Sauvage de Brantes-Henrion apprenait la danse classique au sein de l’école de Lyane Michèle, dans les années 70. Cette enfant, petit rat, participait aux galas annuels de cette époque. Une année, sa tante, la sœur de Madame de Brantes est venue en famille au palais des fêtes admirer sa nièce en tutu, sur scène. Ce jour-là, l’Association AADCVL était en émoi car on savait la présence «au gala» d’une personnalité d’importance nationale et de 1er rang et pourtant, pas de gendarmerie, pas de déploiements de police ni de gardes du corps … du moins apparemment. Un soupçon de supplément de présence de personnalités politiques, peut-être, qui subitement s’intéressaient à la danse classique… Cette dame surprise fut accueillie au palais des fêtes comme il se doit, par la haie d’honneur des petits rats et des personnalités présentes… Très courtoise, elle a été conduite à la place due à son rang. Cette dame était la première dame de France, Madame Anne-Aymone Giscard d’Estaing.
Après 35 ans…
Les nouvelles municipalités sont toujours désireuses de placer le personnel qui leur correspond. Je n’échappe pas à cette chasse et me vois proposer un autre service après 35 ans au sein de ce lieu extraordinaire. Un soir de décembre 1998, à 17h30 et après l’heure de fermeture, c’était la veille de Noël, je réponds à une convocation du secrétaire de mairie. Les bureaux sont fermés, tout est éteint, l’atmosphère est glauque et glaciale dans les couloirs. Il m’offre la possibilité de tenter une «aventure»… Ce qui ressemblait pour moi à la cigarette du condamné. Humilié, j’ai refusé, je n’ai pas compris… Ce soir là, j’ai pleuré, chez moi, en cachette. Puis un midi «ordinaire» je suis sorti du palais des fêtes, seul, sans aucun soutien, amical ou familial, presque honteux, triste, terriblement blessé… Le soir même, mon remplaçant fut reçu au palais des fêtes…joyeusement, parait-il. Mis au placard, J’y ai survécu. Chantal et Bernard ont eu la délicatesse de m’apporter ma chaise de bureau du palais des fêtes. Merci à celles et ceux qui se sont déplacés pour venir me voir pour tenter de me soutenir. Cela n’efface évidemment pas tous ces merveilleux souvenirs que j’ai vécus dans ma fonction au Palais de toutes les fêtes de Vendôme.
Jean-Claude Marmion