Le Palais de toutes les fêtes
Vendôme fêtera en décembre les 60 ans de l’inauguration du Palais des fêtes, devenu en 2002 après rénovation et création d’un nouveau théâtre, Le Minotaure. Jean-Claude Marmion, d’abord concierge puis régisseur fut embauché quelques jours avant son inauguration le 6 décembre 1963. Il se souvient, pour Le Petit Vendômois, des débuts tout en tâtonnements et revient sur certaines anecdotes autour des spectacles programmés pendant les trente années au service de ce lieu multiculturel.
Architecture moderne et lieu d’exception pour l’époque
C’était, en ces années 1960, la grande vogue des nouveaux édifices baptisés «palais» : des fêtes, des congrès, des sports, des festivals, etc… Gérard Yvon, maire de Vendôme et député de Loir-et-Cher de 1953 à 1970 fut l’initiateur du projet de conception de cet édifice municipal. Le quartier des Rottes venait juste de sortir de terre et ces grandes salles polyvalentes de nouvelle génération n’existaient pas encore, du moins en Loir-et-Cher. La «Pyramide» à Romorantin-Lanthenay fut créée bien après et la «Halle aux grains» à Blois, marché couvert, fut transformée en salle de spectacle qu’en 1985. Je me souviens d’avoir croisé des élus de Blois et de Romorantin-Lanthenay venir le visiter. Gérard Yvon était bien un maire et un homme politique visionnaire !
L’époque, fin des années 50 et début des années 60 était indéniablement propice à la création d’un tel édifice polyvalent c’est-à-dire permettant toutes sortes de manifestations, du bal au théâtre en passant par des expositions ou concerts et même des conférences. Ainsi les comités (d’entreprise ou non), les nouvelles associations constituées grâce à ce nouveau lieu ou les écoles se sont rués sur le calendrier du régisseur pour utiliser cette nouvelle structure. Toute la culture pouvait s’y exprimer en rendant possible dorénavant l’accès aux expressions artistiques pour les Vendômois dans un même lieu.
Ce bâtiment était indéniablement d’avant-garde, architecture correspondante à son époque avec, extérieurement d’excellentes proportions de style cubique mis en valeur par des parterres engazonnés ou fleuris, un bassin avec jets d’eau, le tout préparé et organisé par le chef des jardiniers de la ville. Le palais des fêtes a été construit, à l’est du magnifique square Belot, au commencement des Grands-prés, une «savane» à l’époque, un delta entre la pointe que forment la rivière St Denis et le Loir. L’emplacement choisi alors pour la construction avait servi à la décharge des démolitions et gravas provenant des bâtiments du centre-ville bombardés en juin 1940. Le lieu d’implantation du Palais des fêtes a dans son voisinage, dès sa création, le camping, la baignade, (la piscine n’était alors qu’à l’état d’études, inaugurée en 1965), la caserne militaire du Centre Mobilisateur 30 du Quartier Rochambeau, les établissements de transports et déménagements Raoul, un entrepôt de céréales et quelques belles demeures.
Un aménagement qui s’est amélioré avec le temps
Dans le hall d’entrée, on remarque l’escalier central qui sur un premier palier, repart en deux parties de chaque côté pour accéder au 1er étage. Une grande pièce avec le bar toujours en place aujourd’hui permettait un sas avant de rentrer dans la grande salle de 1 500 m2 de parquet. D’une capacité d’accueil, selon les normes de sécurité en vigueur, de 900 places en mode banquet et de 1100 places assises en mode «spectacle», il n’existait pas vraiment de limites imposées (et surtout vérifiées) car chaque centimètre carré de surface était exploité. On s’est vite aperçu, en municipalité, que les 200 belles chaises acquises au début ne suffiraient pas… 990 fauteuils amovibles, en skaï noir, furent donc achetés en pièces détachées (en kit) quelques jours avant l’inauguration. Nous avons tout juste fini de les assembler avant l’ouverture par travées de 5 unités supportées par un mécanisme de ferrures métallique au sol. Très vite après les premiers spectacles, nous nous sommes aperçus également que ce qui se passait sur scène n’était visible que par les 10 premiers rangs, et encore…! Non seulement une partie du public voyait mal, mais il entendait mal. Les services techniques ont donc inventé «la surélévation» des fauteuils, au dernier tiers du fond de salle. Un double plancher en pente, c’était mieux…néanmoins l’architecte n’avait pas prévu un espace de rangement pour tout ce volume de boiseries démontables (charpente et parquet) et les services municipaux non plus. Je me suis donc débrouillé avec les moyens disponibles, la réserve du rez-de-chaussée, ainsi que les petites salles prévues pour les réunions devenaient dès lors une remise pour les fauteuils encombrants et les madriers. Nous avons pratiqué dans le parquet et dans le béton entre les IPN une ouverture sur une longueur de 3 mètres. Ce trou béant refermé par de solides trappes devenait le passage direct des fauteuils, descendus ou remontés avec des grosses cordes et à bras d’homme au début puis par une chèvre construite par les services techniques. Cette machine évitait certes beaucoup de pénibilités, néanmoins il restait beaucoup de temps de travail, suffisamment pour désespérer les chefs d’équipes des services techniques de la ville qui voyaient d’un très mauvais œil ces corvées au palais des fêtes qui revenaient bien trop souvent. Cela a duré 20 ans, jusqu’au jour où j’ai pu argumenter à Monsieur Lasneau, maire de Vendôme de 1971 à 1989, de remplacer les 990 fauteuils par 900 chaises, éléments facilement empilables et rattachables entre elles. Des chaises certes peu confortables, mais surtout bien moins encombrantes plus légères à déplacer et aux multiples emplois. Cette décision n’a pas plu à tout le monde, évidement, mais Monsieur le maire a eu le dernier mot !
Avec une installation scénique de base au tout début, mais fonctionnelle et un rideau de scène à commandes électriques, quelques anomalies techniques dues sûrement à une absence de conseils professionnels se révèleront tout de suite dès son inauguration. En effet, des portes trop petites et les escaliers «de meunier» pour accéder au plateau étaient handicapants. Egalement, les gros contacteurs pour le fonctionnement des projecteurs du tableau électrique claquaient bruyamment à chaque utilisation, les spectateurs les entendaient de la salle. Ces éléments électriques placés en bas de la scène, dans les coulisses interdisaient toute vision de ce qui se produisait sur scène. Le régisseur travaillait donc «à l’aveugle» guidé par un homme qui agissait comme relais, et qui devait se faire tout petit pour ne pas être bousculé par les passages des artistes. La scène était dotée de 6 loges d’artistes avec leur lavabo, leur miroir horizontal installé au-dessus d’une petite table en bois sans aucun éclairage pour le maquillage, installé à partir de 1965, à l’occasion de la soirée de l’élection de Miss France.
Le plafond de la grande salle dit «suspendu» d’une surface de 1500 m2 était cerné sur tout son périmètre d’un tube au néon en retrait, invisible, donnant l’impression d’un plafond aérien du meilleur effet. D’ailleurs Monsieur le maire, Gérard Yvon, y tenait beaucoup. A tel point qu’il a fallu beaucoup de diplomatie à ses proches pour lui faire admettre l’utilité, en promettant de rien dégrader, d’installer une boule à facettes en son axe central pour le premier bal d’inauguration. Quelques temps après l’inauguration du palais des fêtes, fut fabriquée et posée, par les services techniques de la ville, une barre en acier fixée à la charpente métallique, destinée à recevoir 6 projecteurs supplémentaires de marque «Clémençon» .De chacun 1000 watts indispensables pour éclairer les pièces de théâtre, ces projecteurs devaient être réglés manuellement à chaque utilisation ce qui a engendré l’achat d’un échafaudage attribué pour cette même fonction.
Il a fallu se rendre à l’évidence également que cette salle au volume important avait besoin d’une sono adaptée ce qui n’était pas le cas! Nous sommes bien dans les années 60, les salles de cette importance n’existaient que dans les villes importantes et à Vendôme, la notion de «sonorisation» était toute relative… au regard de ce qui existe aujourd’hui. La municipalité a donc investi dans des colonnes acoustiques supplémentaires qu’il a fallu installer de manière judicieuse, c’est à dire avec un maximum d’efficacité. Réglées au cordeau, pour bien définir les directions du son, les endroits choisis furent les angles de la salle, de chaque côté de la scène, en remplacement de leur place initiale derrière le rideau de scène en velours épais, bien cachées…! Ces colonnes furent aménagées dans un coffrage avec façade en tissu, de la même couleur que le revêtement mural mais le résultat fut médiocre, voire nul car une sonorisation ne se limite pas qu’au matériel apparent ! Les organisateurs des manifestations venaient souvent en régie ou en coulisses pour me demander de dire aux comédiens de parler plus fort… je vous laisse imaginer mon embarras. La sono existante, très «amateur», inadaptée était très vite saturée.
L’utilisation des salles dites polyvalentes fut un succès immédiat. La mise en service, fin 1963, de ce nouveau Palais des fêtes fut le début d’innombrables utilisations, modestes, familiales, quelquefois ambitieuses, commémorations patriotiques, réunions politiques, conférences, congrès, assemblées générales, fêtes privées, noces, banquets, arbres de Noël, revues, concerts, bals, spectacles… Néanmoins, il a fallu faire face aux innombrables heures de travail d’aménagements divers et d’entretien courant. Les ouvriers spécialisés municipaux, maçons, électriciens, peintres, serruriers et menuisiers étaient même convoqués régulièrement pour participer. Des «24h sur 24h» d’utilisation se sont souvent enchaînées. Et de cela, la municipalité d’alors n’y était pas préparée! Les municipalités suivantes encore moins, mais cela est une autre histoire.
Du théâtre d’abord
Le comité des fêtes d’alors, sous la récente présidence de Monsieur Marcel Vérité, était organisateur de séances théâtrales et de spectacles de variétés de niveau national au Palais des fêtes. Il avait la priorité du choix des dates du calendrier et possédait une connaissance incontestable d’organisateurs dans le secteur culturel. Nous avons quelquefois construit des décors sur la scène, je pense en particulier à la création, en 1965, d’un décor de fournil pour la pièce «la femme du boulanger» de Marcel Pagnol. Les Vendômois ont pu applaudir dès les années 60 et 70 sur la scène du palais des fêtes bien des sociétaires de la Comédie française, ou autres artistes ou comédiens, conférenciers de notoriété nationale et internationale. Ces vedettes, je ne les ai pas toutes vues jouer sur scène car j’étais à mon poste de travail dans une régie encore aveugle. Néanmoins, je les ai aperçues et entendues se préparer, piaffer, se jeter en scène, et en ressortir quelquefois exsangues. A cette époque, nombre de tournées arrivaient à Vendôme avec le strict minimum du décor de la pièce de théâtre. Ce qui fait que la ville de Vendôme a fourni un grand nombre de matériel scénique, tel ce salon Louis XV, ou cet ancien fauteuil de style empire venant des réserves de la sous-préfecture. Ce siège qui finalement est resté sur la scène et dans les coulisses pendant 40 ans, pour servir de fauteuil au Père Noël ou siège de repos pour les gens de service en coulisses… ainsi qu’au régisseur.
MAIS AUSSI LES BALS, CONCERTS, EXPOSITIONS, CONFERENCES,…
Dès le départ, les bals populaires ont eu du succès ainsi que les thé-dansants certains après-midi. Sans moyens techniques, les musiciens arrivaient au palais des fêtes avec simplement leurs voitures et leurs instruments. Cependant on est vite passé aux moyens modernes, puis aux années «disco». Avec les avancées techniques incontournables, éclairages, sonos, instruments de musique électrifiés, matériels de plus en plus performants, et pesants, en plein essor à cette époque. Les orchestres avaient dorénavant des camions pour transporter leurs matériels, des techniciens manutentionnaires et parfois des danseuses qui accompagnaient les musiciens. Des orchestres de 1er plan national et vedettes ont animé les nombreuses soirées ou bals de nuits au Palais de Fêtes. Pas de loi Evin, on fumait beaucoup à cette époque, en salle et sur scène. Un bal «des majorettes» a même été sponsorisé pour lancer une nouvelle marque de cigarettes… mentholées ! Les bals étaient «encadrés», si on peut dire, par le comité organisateur et ses bénévoles et souvent trois policiers en tenue, à la porte d’entrée, en plus des contrôleurs de billets et 3 pompiers. La notion de sécurité était toute relative à cette époque au palais des fêtes, comparée aux notions de sécurité d’aujourd’hui. Il fallait faire «salle comble», c’était l’objectif de l’organisateur, une aberration parfois et qui relevait d’une prise de risque insensée ! Mais ça, c’était avant…
Expositions de peinture, sculptures, des chefs d’œuvres des compagnons du Devoir, philatéliques, numismatique et autres, dans les différentes salles du palais des fêtes (petites ou grandes) organisées par les associations ou à titre privé. Expositions exportées à la chapelle Saint Jacques, à partir des années 80. Il faut dire que ce lieu de culte existait bien depuis le XIIe siècle et était relégué au titre de réserve, de «fourre-tout» par la ville. Jusqu’au jour où la municipalité du temps de Monsieur Lasneau, vers le milieu des années 70 la fit nettoyer, électrifier, aménager et rendue à sa juste valeur de monument historique pour y recevoir ces manifestations culturelles qui ont leur place au cœur de la ville.
Le Palais des fêtes a accueilli également des présentations de chefs d’œuvres du compagnonnage, notamment celui de «tourangeau l’ami du trait», un vénérable vendômois. Des expositions philatéliques, numismatiques, nationales ou régionales et des Salons de l’habitat. D’ailleurs le 1er salon, de ce genre, en 1969, fut organisé par FMB, Fermetures Métalliques Boulle, afin de présenter les nouvelles «méthodes et constructions» accompagné d’un congrès de vente, sur plusieurs jours. Les établissements De Dietrich ont pu exposer leurs productions pendant plusieurs jours, dans le domaine particulier des innovations des chauffages, à l’adresse de leur clientèle. La SVA «Société Vendômoise d’Avionique» a tenu aussi en son temps des conférences d’informations concernant l’entreprise Sextant Avionique.
Le palais des fêtes, salle polyvalente, a tenu son rôle dès sa création, accueillant toutes les manifestations de la ville. Chaque Vendômois a son souvenir en son sein…