Les 100 ans des PUF ! (suite)
«L’avenir, ce n’est pas ce qui va nous arriver, mais ce que nous allons en faire»
Henri Bergson, Prix Nobel de littérature 1927, Edité aux PUF.
Maurice Caullery, dès 1917, écrivait : «L’édition universitaire doit être indépendante des logiques financière et commerciale si elle ne veut pas perdre son âme… le statut de notre nouvelle entreprise ne pourra être que coopératif». C’est au mois d’octobre 1921 qu’est publié le «Manifeste coopératif des intellectuels et universitaires français» et l’on y trouve parmi les responsables M M. Caullery et de futurs co-fondateurs des P.U.F. Il s’agit d’un acte essentiel puisqu’il va se concrétiser, 2 mois après, avec la création, le 17 décembre 1921, des «Presses Universitaires de France».
Maurice Caullery, dans une conversation rapportée par Xavier Léon, précise bien que c’est lui qui donne le nom à la nouvelle coopérative. Se sont joints Pierre-Marcel Lévi que l’on trouve sous le nom de Pierre-Marcel, Edmond Schneider, Charles Marie, Ferdinand Cros et Xavier Léon.
Au mois de février 1922, la reprise d’un fond de commerce permet l’ouverture de la Librairie du 49 boulevard Saint-Michel à Paris.
Le projet coopératif des «PUF» ne pouvait laisser indifférente la profession des imprimeurs et c’est dans leur bulletin du début de l’année 1922 que leur Président, ouvre l’ordre du jour sur la question de cette création. Le bulletin fourmille de détails et tous les noms des intervenants figurent. Sont évoqués successivement «les conditions particulièrement avantageuses, les ouvrages scientifiques, la création d’une imprimerie, les contrats, etc.»
Dès septembre 1934, les services d’«Alcan» et de «Rieder» se regroupent et l’on assiste à des mutualisations croisées.
L’année 1934 voit, chez Rieder, la parution de «Clochemerle» de Gabriel Chevallier, succès considérable (une bouffée pour les finances). La mémoire des «Accroupis de Vendôme» du Clocher Saint-Martin qui observent, muets, la sortie des colis de la nouvelle production, une ode au bon goût !
L’année 1934 aussi est marquée par la faillite de la Banque des coopératives et les difficultés majeures des éditeurs Alcan, Rieder et Leroux. C’est M.Germain-Martin, ministre des finances qui sollicite la BNCI (Banque nationale pour le Commerce et l’Industrie) dont le directeur, M. Alfred Pose, demande une mission d’audit à son ami de promo d’HEC Paul Angoulvent. Ce dernier propose un plan de renflouement. Son activité précédente, à la chalcographie du Louvre démontre son goût pour le patrimoine, goût qui s’exprimera aux PUF avec des créations de collections «L’oeil du connaisseur» «Le lys d’or», «Les neufs muses», l’ouvrage culte de M. Verlet «Le mobilier français du XVIII siècle».
En février 1937, les services commerciaux se réunissent. Il est précisé que ce sont 20 000 titres publiés et 15 000 titres en exploitation qui se trouvent rassemblés. L’oeuvre d’assainissement est menée avec beaucoup de rigueur. En septembre 1939, conséquence de la guerre, les quatre sociétés seront facturées sous la firme unique PUF. Le 29 décembre 1939 la fusion est effective, sous la seule raison sociale «PUF», Société coopérative avec Paul Angoulvent à la direction. C’est Michel Bouchaud, célèbre dessinateur, affichiste, qui crée la marque, le logo. Ce sera le «Quadrige» d’Apollon, symbole des quatre sociétés regroupées. Il est aujourd’hui encore le logo incontournable de la marque et n’a subi aucune modification ! Belle durée !
EDITEUR ET IMPRIMEUR SOUS L’OCCUPATION
Paul Angoulvent est mobilisé et revient en janvier 1940. François Launay va servir la France et notamment lors du siège de Saumur, 19-21 juin 1940.
Le 18 septembre 1940, paraît la «Première liste Otto» (Ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités allemandes). En fait les titres «retirés» étaient fléchés. 1060 titres de l’édition française sont concernés.
J’ai fait l’inventaire des titres concernés pour les quatre éditeurs qui nous intéressent. 87 auteurs sont concernés, dont 53 auteurs juifs pour 108 titres.
Le régime de Vichy recommandait, pour toutes les professions, la création de «Comités d’organisation». C’est ainsi que naît, le 3 mai 1941, le «Comité d’organisation des industries des arts et commerce du livre» dénommé «comité d’organisation du Livre» C.O.L. dirigé pour quelques heures ou quelques jours par P. Angoulvent.
Le dépouillement de registres conservés aux archives de Loir-et-Cher nous apporte de précieux renseignements.
Ainsi, sous la plume de Pierre Angoulvent, le 30 juin 1942 : «Malgré les difficultés de tous ordres, nous tournons encore à 42 heures par semaine à fin juin et la limite prescrite par le Répartiteur de papier du tonnage mensuel que nous sommes autorisés à imprimer nous laisse jusqu’ici un plafond de 13,5 tonnes, ce qui est à peine inférieur à nos besoins.» Et en octobre 1942 : les restrictions sur la force motrice, et les prélèvements de personnel perturbent lourdement l’activité.
Heureusement la collection «Que sais-je ?» trouve son public, 50 titres sortent des presses, les rééditions sont nombreuses, une trentaine de titres, environ 200 000 exemplaires sont produits. La survie est-elle assurée ? Non, les difficultés d’exploitation de l’année 1943 sont lourdes, à Vendôme, François Launay a été déporté en Allemagne.
Néanmoins, dans ces conditions funambulesques, de septembre 1939 à septembre 1944, les PUF publieront 703 titres. Une prouesse jamais révélée. Le 24 juillet 1945, l’effectif vendômois dépasse les 100 salariés.
50 ANS DE DEVELOPPEMENT
S’ouvre dès 1947 ce que l’on peut dénommer «L’âge d’or». De grandes revues, véritables laboratoires des connaissances, voient le jour.
Impossible d’être exhaustif, mais citons le lancement, en 1955, de la collection «Thémis», de la sortie de la grande «Histoire générale des civilisations», maintes fois réimprimée (l’iconographie réalisée par M. Paul Angoulvent).
En 1957, Philippe Garcin (entré en 1951) devient chef des services littéraires, et Pierre Angoulvent chef des services administratifs et financiers. Tous deux constitueront le premier Directoire, en 1968. Le 21 avril 1973, Philippe Garcin décède ; nous l’appelions, affectueusement, avec quelques amis, le «bipède élégant». Il disparaît avec son projet littéraire, qui avait justifié la nomination d’un troisième membre au directoire. En 1974 Michel Prigent intègre la Maison, il sera nommé Président en 1994, jusqu’à sa disparition le 19 mai 2011.
Les «bulletins de nouveautés» (introuvables en 2021), plusieurs milliers de pages, fournissent de précieux renseignements, on y relève notamment l’arrivée en diffusion en juin 1981 des éditions «Actes Sud».
Et en mai-juin 1968 ?
Placés au premières loges , les yeux rougis, nous hébergions les fuyards, souvent cravatés (les jeunes filles avec carrés Hermès), pas une journée de grève à Paris, le service (de grève) était assuré à Vendôme, qui fut l’une des dernières imprimeries à reprendre, après 20 jours d’arrêt. Pourquoi les vitrines des différents sites, boulevard-Saint-Michel, place de la Sorbonne, rue Soufflot, boulevard Saint-Germain, furent toutes épargnées ?
C’est à l’automne 1970 qu’une grève minoritaire (50 personnes sur 230) éclata à Paris. Néanmoins, les lourdes adaptations de l’Université furent pénalisantes pour la production, l’effectif à Vendôme passait de 324 en 1968, à 280 en 1970 et 235 en 1971.
Dès 1966 Paul Angoulvent se préoccupait de l’avenir et préparait les changements d’hommes et de statuts, le Directoire que nous avons présenté était une des pièces du dispositif. La présidence du Conseil de surveillance fut confiée à M. Paul Angoulvent.
La lecture du «Lit de la merveille» de Robert Sabatier, (ancien des PUF), plonge le lecteur dans l’ambiance de l’édition, sans jamais citer les PUF, lecture jubilatoire.
Le 27 juillet 1976 décède, accidentellement, à quelques kilomètres de sa résidence de Méry-sur-Yonne, Paul Angoulvent. L’édition française est en deuil, et les PUF, solidement installées se doivent de poursuivre l’oeuvre initiée.
En 1998, la situation devient critique, et le déséquilibre entre charges et recettes s’accroît. C’est une société à bout de souffle qui se réunit en Assemblée générale extraordinaire le 5 novembre 1999. 56 sociétaires sont présents ou représentés, la décision est prise à l’unanimité d’engager les démarches de transformation de la société, et de la recapitaliser par souscriptions complémentaires.
Par arrêté du 7 mars 2000, «Considérant que la survie de la société coopérative Presses Universitaires de France est en cause, considérant que la recherche de solution dans le cadre de son statut coopératif s’est révélée infructueuse, en conséquence le redressement de la société nécessite la transformation de son statut en société de droit commun.»
Signatures de Mesdames Martine Aubry, et de Catherine Trautmann. La coopérative n’est plus. «Libris», société civile d’auteurs et de quelques cadres est constituée pour être majoritaire dans la nouvelle configuration où figurent Flammarion (Rizzoli), et deux mutuelles d’assurances. Le centre de distribution d’Evry a été fermé. La librairie de la place de la Sorbonne cédée à Gibert et L’imprimerie de Vendôme sur la sellette. L’ensemble des services parisiens seront regroupés au 6 avenue Reille.
L’assemblée générale de l’imprimerie du 5 février 2002 précise les modalités de reprise par le groupe Landais ainsi que le versement du 1er acompte d’un euro. C’est dans le courant de l’année 2003 que la transmission sera accomplie. Mais l’exploitation ne permettant pas la poursuite de l’activité, une nouvelle cession s’impose. Ce sera MD Impressions avec pour projet un changement de technologie et de lieu. Mais la liquidation arrive avant et en avril 2010 les matériels sont dispersés. Lorsqu’il arrive comme Préfet en Loir-et-Cher en septembre 2010, Nicolas Basselier, fils de Roger Basselier ancien directeur-général des PUF, ne verra que les graphes sur la friche de ce que fut l’imprimerie.
A la société d’édition des PUF, l’apport de fonds de dotation de grandes mutuelles d’assurances s’imposait. Au tout début de l’année 2014, le groupe de réassurance SCOR écrit au Président de «Libris», pour lui proposer les moyens financiers. Un accord est trouvé. Le régime de conseil d’administration réapparaît. L’activité éditoriale est plus sélective. La société est radiée au mois de janvier 2017.
Un prix Nobel d’économie, Jean Tirole, confie aux PUF sa précieuse «Economie du bien commun». Plus de 5500 titres sont disponibles ainsi que 1500 «Que sais-je ?» et la possibilité de réimprimer tout titre manquant sur «L’expres Book Machine». Bref, une belle vitalité pour un parcours simplement exceptionnel, à nul autre pareil.
«Plus on sait et plus on est capable d’apprendre» écrivait Alain dans ses «Propos sur le bonheur»… Publié aux PUF.
Bernard Jiquel,
Directeur de l’Imprimerie, 1978-1994,
et Président du Conseil d’Administration, 1994-2001.