Lorsque Vendôme perpétue le souvenir de Ronsard (1ère partie)
Voici tout juste 140 ans, la ville de Vendôme inaugurait une statue consacrée à Ronsard. Ce fut à n’en pas douter un événement majeur en cette seconde moitié du XIXe siècle. Depuis, d’autres heureuses initiatives, qu’elles fussent communales ou privées, commémorèrent sa mémoire. Ainsi, outre cette statue en pied du poète, enlevée comme on sait durant la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui de retour, une rue, deux bustes, un lycée, un parc lui sont toujours dédiés… Sans parler d’un ancien cinéma. Voyons maintenant comment et pourquoi toutes ces décisions furent prises et menées à bien.
1872 : Une statue digne du grand poète.
Fin 1866, M Yrvoy, statuaire, né le 25 novembre 1824 à Vendôme et pour lors directeur de l’école de sculpture de Grenoble, faisait part, à M Martellière, maire de la ville, de son intention d’ériger une statue, en marbre ou en bronze, du poète Ronsard. Si les élus étaient d’accord pour voter la somme nécessaire, son travail, lui, serait gratuit. Une proposition bien alléchante, d’abord ajournée faute d’argent, mais qui fut bientôt adoptée par le conseil municipal du 21 mai 1867. Un décret en date du 5 octobre devait d’ailleurs approuver, à la fois, cette séance et la souscription publique qui serait lancée à cet effet. Une commission se constitua dès le mois de novembre suivant et s’occupa de réunir à la liste des élus et fonctionnaires de Vendôme et du département, «les noms d’hommes illustres dans les lettres, les sciences et les arts».
Sur demande du sculpteur, la commission décida de placer la statue dans le jardin précédant le nouveau musée (bibliothèque actuelle), rue Poterie. Le 30 novembre 1869, le projet du monument ayant été soumis au Conseil général des Bâtiments civils, celui-ci donnait son aval à la seule condition toutefois de simplifier les sculptures du piédestal pour des raisons esthétiques mais aussi d’économie. Conformément à cet accord, un nouveau projet du piédestal fut donc proposé au Conseil qui dans ses séances des 26 et 27 avril 1870 fut d’avis que «le projet et devis du monument pouvaient maintenant recevoir l’approbation de M le ministre des Beaux-Arts».
L’exécution du piédestal, en pierre de Breuil (près de Poitiers) fut confiée à MM Bioret et Crinière, entrepreneurs, sous la surveillance de l’architecte de la ville, M Marganne. Une subvention de 3 000 francs fut accordée par le ministre qui refusa cependant de fournir gracieusement le bronze, comme demandé.
Au mois de juin, 1870, tandis que les entrepreneurs commencèrent la construction du piédestal dont les pierres furent taillées et sculptées par M Picot, M Yrvoy s’engageait de son côté à livrer son modèle au fondeur M Thiébault (de Paris), courant février 1871.
Mais la guerre déclarée à la Prusse allait repousser d’autant la réalisation du projet. L’ennemi entrant le vendredi 16 décembre (1870) dans Vendôme, n’en ressortira définitivement que le 16 mars 1871. Et le socle à demi ébauché ne sera finalement achevé que deux mois après le départ des Prussiens.
Une solennité réussie
L’inauguration de l’œuvre étant de nouveau fixée le 23 juin 1872 afin de coïncider avec la XXXIXe session du Congrès archéologique de France, tenue également à Vendôme cette même année sous les auspices de la Société archéologique locale, la commission inquiète par les retards accumulés pressa vivement M Yrvoy. Mais l’artiste travaillant sans relâche, tomba malade et ne put livrer son modèle au mouleur de Grenoble que fin mars, qui à son tour manquant de plâtre dut en faire venir en urgence de Paris.
De ce fait, le moule n’étant parvenu au fondeur que le 29 avril, ce dernier se trouva dans l’incapacité d’être prêt pour l’inauguration. Aussi proposa-t-il, pour tenir les délais, de faire bronzer le plâtre et de l’envoyer comme tel à Vendôme. Au désespoir du statuaire, la commission se résolut à suivre la proposition de M Thiébault et promit, bien sûr, de garder le secret. Ce qui sera fait.
Le dimanche 23 juin 1872, sous un soleil radieux, la ville, dès le matin, s’apprêta à accueillir ses très nombreux et illustres hôtes. Placées sous la présidence de M le ministre de l’Instruction publique, M Jules Simon, les différentes cérémonies abondamment suivies se déroulèrent, comme prévues, tout au long de cette journée. Après la messe en musique célébrée dans l’église de la Trinité, vint l’heure (14h) du banquet dressé dans le gymnase couvert du lycée. Les invités et les souscripteurs de dernières minutes furent même la cause involontaire d’un léger retard dans le service et l’on dut rajouter quelques tables. Durant tout le repas, la musique municipale se fit entendre. Toasts et discours à n’en plus finir furent portés et prononcés… Et tandis que les applaudissements fusaient encore, vint enfin le temps solennel de l’inauguration.
Il était près de six heures (18h) lorsque le cortège officiel escorté par les sapeurs pompiers et la fanfare du 10e chasseurs arriva sur les lieux. Depuis longtemps les estrades et les chaises avaient été prises d’assaut. Puis arriva l’instant tant attendu. Alors que l’Orphéon entonnait le chœur populaire de «l’Ancien Carillon de Vendôme», et que le voile enveloppant «la statue» tombait, l’œuvre du sculpteur Yrvoy apparaissait dans toute sa magnificence, saluée par une foule enthousiaste, émerveillée et réellement conquise.
Ce qui s’ensuivit.
Dès le lendemain de la cérémonie, le moule de plâtre bronzé fut descendu de son piédestal au grand étonnement des Vendômois. Certains sceptiques pensèrent même que la « statue » ne reviendrait pas de si tôt. Mais le subterfuge éventé, chacun fut pleinement rassuré.
Le modèle du statuaire, soigneusement emballé reprit ainsi le chemin de Paris. Là, M Yrvoy, perfectionniste, sur les conseils de ses éminents amis et maîtres apporta quelques légères retouches à son œuvre. Puis il la livra enfin au fondeur.
Malgré cette absence qui n’altérait en rien les qualités de l’œuvre présentée lors de l’inauguration, les éloges ne tardèrent pas à se répandre.
Pour La Renaissance littéraire et artistique du 29 juin, «la statue est très belle et le statuaire a reçu de justes et unanimes félicitations. M Yrvoy a fait œuvre de maître.»
Le 20 juillet suivant, la Chronique des Arts publiait à son tour : « Son front est intelligent, l’attitude est élégante et son costume est bien celui de la Cour du troisième des Valois… réduit à ses éléments typiques : le justaucorps à collet, les braies tailladées, les chausses collantes et les souliers. La robe, la bonne robe fourrée des jours de froid, jetée sur les épaules du poète, sert à étoffer quelque peu sa silhouette. Son bras droit est seul passé dans la large manche de ce vêtement de dessus, qui recouvre l’extrémité de l’épaule, retombe par derrière, puis est relevé par la main gauche qui tient en même temps un papier déplié… La statue forme ainsi un ensemble fort satisfaisant. Les Vendômois ont partagé leurs applaudissements entre le poète et le statuaire. C’était justice ; car ils s’honoraient dans leur vieux poète recevant l’apothéose après trois siècles d’injuste oubli et dans leur jeune statuaire, doublement enfant de la ville et par la naissance et par l’éducation primaire.»
Quant au Courrier de l’Isère, il glorifiait comme il se doit le sculpteur grenoblois : «M Yrvoy s’est vraiment inspiré de son sujet ; la pose est ferme et noble sans raideur ; la physionomie vive, intelligente, fière et douce, comme il convenait au poète passionné pour la poésie et pour la gloire ; le costume est riche, bien agencé et vrai… Nous pouvons dire que l’œuvre de M Yrvoy nous représente poétiquement l’ensemble des souvenirs qui composent le caractère et la personne de Ronsard.»
La statue en véritable bronze, parfaitement réussie, arriva à Vendôme le 11 janvier 1873 et fut placée sur son piédestal, dès le lendemain, par M Vivet, charpentier, sous la direction de M Godineau, architecte de la ville. À l’initiative du maire, une médaille commémorative frappée en souvenir de la journée du 23 juin (1872) fut placée sous le socle de la statue par M Yrvoy, menuisier, frère du sculpteur.
Le désenchantement.
La statue de Ronsard devait ainsi trôner 70 ans au centre du jardin du musée. Puis un beau jour de janvier 1942, le mercredi 28 plus précisément, les forces d’occupation exigèrent sa dépose. Au titre de la récupération de métaux non ferreux, les Allemands, après s’être déjà intéressés, la veille, à la statue du maréchal de Rochambeau érigée depuis le 4 juin 1900 sur son socle de la place Saint-Martin, s’en prirent cette fois au poète. L’opération fut réalisée, comme pour le maréchal, par l’entreprise de charpentes et d’escaliers, Normand, venue de Blois. À l’aide d’un palan et de multiples cordages, la lourde statue fut descendue à mains d’homme et couchée dans un chariot en bois… Pour une destination inconnue.
«Ce ne fut pas sans une profonde indignation, une grande tristesse et une amère déception que les Vendômois présents assistèrent, impuissants, à l’enlèvement de leurs deux plus célèbres figures locales.»
Le retour.
Après, de nouveau, 70 années d’absence, le piédestal originel va recevoir, samedi 17 mars, une nouvelle statue. Numérisée à partir du plâtre original conservé dans les sous-sols du château de Blois, sa réalisation à l’identique, après bien des incertitudes et des craintes, voit enfin son aboutissement.
Une heureuse initiative et une très belle réussite que l’on doit à l’association « Ronsard de retour » soutenue par la Société archéologique du Vendômois, Résurgence en Vendômois, les Anciens élèves du lycée Ronsard et du collège du Bellay et les Amis du pays natal de Ronsard.
Jean-Claude Pasquier
Article paru dans Le Petit Vendômois de Mars 2012