À 19 ans, Ronsard fait un saut au Mans avec son père. Pas pour en faire un poème, quoique… !
Je n’allais pas manquer l’occasion de faire écho à la date de sortie de notre Petit Vendômois ce mois-ci pour vous raconter ce qui se passa un 5 mars il y a un peu moins de cinq siècles, à une journée de cheval de La Possonnière !
Figurez-vous que notre Ronsard, jeune adulte déjà «demi-sourd» comme il l’a dit lui-même s’est rendu dans la capitale du Haut-Maine, diocèse dont dépendait alors Couture, pour deux événements en un. Les obsèques de Guillaume Langey du Bellay, frère de l’évêque en poste d’une part ; la cérémonie de la «petite tonsure» qu’il devait recevoir de ce même prélat, d’autre part, laquelle lui donnait droit à des revenus écclésiastiques en fonction des cures qu’on lui attribuerait.
Le Perche vendômois berceau des Du Bellay !
Il faut vous dire que le Du Bellay qu’on enterrait alors ce 5 mars était un sacré personnage du royaume, originaire du manoir familial de Glatigny à Souday ! Grand général et diplomate de François 1er puis gouverneur et lieutenant général du Piémont, historien écrivant notamment sur la Gaule antique, il avait pour secrétaire et médecin un certain François Rabelais qui, d’ailleurs, accompagna sa dépouille jusqu’au Mans alors qu’il était mort entre Lyon et Roanne.
Aux obsèques en la cathédrale du Mans, douze nobles de la région portèrent le cercueil ou tinrent les coins du drap mortuaire. Parmi eux : Loys de Ronsard soi-même ! N’oublions pas qu’il était dans les petits papiers des puissants depuis qu’il avait passé quatre ans avec les enfants du roi détenus en Espagne. Plusieurs évêques étaient venus en voisin et 300 prêtres au moins étaient présents. Un magnifique tombeau de marbre blanc et noir était prévu dans le chœur de «la Saint-Julien», sur lequel on graverait plus tard une gracieuse épitaphe de Clément Marot :
Arreste toi lisant
Cy dessousz est gisant
Dont le cueur dollent jay *
Ce renommé Langey
Qui son pareil neut pas
Et duqel au trespas
Gecterent pleurs et larmes
Les lettres et les armes
Joachim du Bellay, l’un de ses neveux d’Anjou y était aussi allé de sa plume en latin, ce qui donne à peu près ceci :
Ci-gît Langey ! Toi qui passes
Plus tu en dis, trop peu tu dis
Le lendemain, 6 mars, Ronsard junior recevait la petite tonsure dans la résidence de campagne de l’évêque, en présence du secrétaire de celui-ci qui n’était autre que le poète Jacques Pelletier du Mans. C’est sans doute ce jour-là que tout s’est joué. J’en veux pour preuve un premier poème envoyé plus tard par notre Vendômois à son aîné du Maine et qui commence ainsi :
Quand je serai si heureux de choisir
Une maîtresse à mon désir,
Mon Peletier je te veux dire
Laquelle je voudrais élire …
Il ne cessa, par la suite, de couvrir d’éloges son ami manceau, tant dans ses lettres que dans ses poèmes, tout comme Nicolas Denisot, de la même ville, qui avait plus de talent comme peintre que comme poéte.
Quant à Rabelais et Joachim du Bellay présents eux-aussi aux obsèques du 5 mars 1543, rien ne prouve hélas qu’ils aient rencontré Pierrot ce jour-là, car il n’était encore que l’ombre de son père… Mais on peut rêver.
En tout cas, quelques mois plus tard était créée la première « brigade » dont faisait partie Pelletier du Mans, et qui annonçait la fameuse Pléiade !
* Dolent = douloureux