“Mignonne, allons voir si la rose…”
De Ronsard à Françoise Hardy, le mythe de la beauté qui se fane a perduré. « L’ode à Cassandre » mis en musique a fait long feu… Et ce n’est peut-être pas fini.
C’est l’incipit le plus célèbre de la poésie française ou peu s’en faut. Le premier vers de cette ode tiré du Premier livre des Amours du poète Vendômois est déclamé chaque jour quelque part dans le monde, détourné pour un titre de presse, chanté même dans une occasion quelconque.
Pierre de Ronsard l’a composé un jour pour honorer Cassandre Salviati, très jeune beauté de père italien croisée lors d’un bal de la cour au château de Blois. Elle a quinze ou seize ans, lui vingt ans tout juste, leurs échanges resteront platoniques. Le thème qu’il développe dans cette ode et qu’on lui attribue depuis est récurent dans la littérature, d’autant plus quand elle s’inspire de la poésie antique (ce qui est le cas chez Ronsard). C’est celui de la jeunesse et de la beauté comparée à la plus belle des fleurs des jardins qui – davantage qu’une autre – vit et meurt en très peu de temps. Ausone, enseignant latiniste du IVe siècle du côté de Bordeaux laissa le premier un texte comparable qui a pu inspirer le «poète des roses». Celui-ci se termine par cette phrase :
Jeune fille, cueille la rose, pendant que sa fleur est nouvelle et que nouvelle est ta jeunesse, et souviens-toi que ton âge est passager comme elle.
Ronsard, qui signe parfois de l’anagramme imparfait Rose de Pindare (du nom du poète grec) et dont le père a fait sculpter des «ronces ard…entes» sur la cheminée de la Possonnière est un amoureux des roses. On les retrouve constamment dans ses vers quand il parle des belles et de l’amour, jusqu’à ce sonnet Sur la mort de Marie (Les Amours, 1560) où le thème de la mort revient avec la rose :
La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur;
Mais battue, ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.
Du temps même de Ronsard, Guillaume Costeley, puis Jean de Castro composent chacun de leur coté une partition pour l’Ode à Cassandre. Écrites pour des chants polyphoniques à la mode Renaissance, elles ont traversé les siècles et sont toujours reprises. Au XVIe siècle, toujours, le compositeur Jehan Chardavoine met le poème en musique dans le premier recueil de chansons populaires publié en France… Une gloire pour la postérité de Ronsard, déjà !
Un bond de trois siècles et voici venir Richard Wagner. Alors que son couple vit à Paris et Meudon de 1839 à 1841, le romantique allemand découvre les vers de Ronsard et leur compose un lied (chant) pour une voix et piano. La grande pianiste Cécile Chaminade fera de même une cinquantaine d’années plus tard.
On est bien peu de choses…
De nos jours, la source ne s’est pas tarie. Les Ménestriers, groupe de tradition médiévale, chantent le poème dans un album paru en 1971, suivi une dizaine d’années plus tard de… Dorothée ! La chanteuse et animatrice de Récré A2 interprète alors une adaptation de son compositeur et parolier Gérard Salesses sur la partition Renaissance de Chardavoine.
Mais une seule artiste contemporaine a fait mouche en reprenant les belles images de l’ode ronsardienne : Françoise Hardy. La délicate et mélancolique beauté des années Yé-yé avait senti en Cécile Caulier, parolière aujourd’hui disparu, le talent à traduire ce thème-là. Elle en fit «Mon amie la rose» où
Baptisée de rosée
Je me suis épanouie
Heureuse et amoureuse
Aux rayons du soleil
Me suis fermée la nuit
Me suis réveillée vieille
(…)
Tous connaissent le refrain presque susurré de ce petit bijou de la chanson française :
On est bien peu de choses et mon amie la rose me l’a dit ce matin.
La chanson, sortie en 1964, n’a pas pris une ride… Tout comme l’Ode à Cassandre. Il y a fort à parier que Ronsard aurait apprécié ce très élégant détournement de son œuvre ! Et puisque roses il y a, offrons à Françoise Hardy celles du fameux Ronsard créé vingt ans après cette chanson pour le 400e anniversaire de la mort du poète. Douces et délicates, d’un rose très léger, elles lui ressemblent…
Hervé Vaupuy