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Philippe de Vendôme, dit le Grand Prieur

Surnommé également le Chevalier de Vendôme, Philippe, bâtard légitimé des Bourbon-Vendôme, est avant tout, pour nous Vendômois, un ecclésiastique, voire, côté moins connu, un militaire, et selon Raoul de Saint-Venant, notre dernier duc officiel du duché de Vendôme avant son rattachement à la couronne. Mais pour les chroniqueurs contemporains et pour le mémorialiste Saint-Simon en particulier, qui, il est vrai, le détestait, Philippe fut sans aucun doute un grand libertin. De ce personnage complexe, aux multiples aspects trompeurs, sans toutefois détenir l’unique vérité, voyons ce qu’il en est.

Homme d’église et homme de guerre…

Philippe naquit en l’Hôtel de Vendôme, à Paris, le 23 août 1655. Son père, Louis II de Bourbon (1612-1669) fut duc de Vendôme de 1665 à 1669 ; sa mère Laure Mancini (1636-1657) était l’une des cinq nièces de Mazarin.
Petit-fils de César de Vendôme, il eut pour frère aîné : Louis-Joseph, duc de Mercœur, dit le Grand Vendôme (1654-1712), lui aussi duc de Vendôme de 1669 à 1712, époux de Marie-Anne de Bourbon (sans postérité) et un frère cadet souvent ignoré : Jules-César qui ne vécut que trois ans (1657-1660).

Philippe fut baptisé en la Sainte Chapelle du château de Vincennes, tenu par Monsieur (Philippe de France, duc d’Orléans, frère de Louis XIV) et par la princesse de Conti.

Pourvu de l’abbaye de la Trinité dès l’âge de sept ans, il en deviendra le 42e abbé en titre, soit le 10e abbé commendataire, de 1661 à 1725. Il fut également abbé de Saint-Honorat à Lérins, Saint-Victor à Marseille, Saint-Vigo à Cérisy, Notre-Dame d’Ivry, Saint-Mansuy de Toul…

Précoce pour toucher les revenus de ces différentes abbayes sans jamais les fréquenter, Philippe, malgré son jeune âge (14 ans), allait aussi accompagner, en 1669, son oncle, François duc de Beaufort, à l’expédition de Candie contre les Turcs.

Puis en 1672, comme son frère aîné Louis-Joseph, grand général du roi, il suivit Louis XIV en Hollande et s’y distingua. Désormais son parcours allait souvent croiser celui de son frère.

En 1678, nommé grand prieur de l’ordre de Malte, à la suite d’Henri d’Estampes-Valençay, nous le retrouvons, en effet, dans la plupart des campagnes militaires, aux côtés de Louis-Joseph. Véritable homme de guerre malgré ses états religieux, Philippe servit en Flandre comme colonel et se comporta avec éclat à Fleurus (1690).

Fait maréchal de camp l’année suivante (1691), il participa avec gloire aux sièges de Mons et de Namur ; ce qui lui vaudra, deux ans plus tard (1693), d’accéder au grade de lieutenant-général  ; le 4 octobre de la même année, commandant une aile de l’armée du roi en Piémont, Philippe fut dangereusement blessé à la cuisse lors de la bataille de la Marsaille (en Piémont).

En 1695, il reçut l’ordre de commander en Provence à la place de son frère qui partait en Catalogne.

En 1696, il servit de nouveau en Piémont jusqu’à la paix conclue à Turin avec le duc de Savoie avant de passer en Catalogne rejoindre Louis-Joseph et de délivrer, tous deux, Barcelone.

…Mais aussi libertin en diable

Car bien qu’ecclésiastique mais soldat avant tout semble-t-il, il entretint, nous dit-on, de nombreuses femmes. Comme, notamment, en 1670, à 15 ans, Philippe aurait déjà eu pour maîtresse, la chanteuse et danseuse renommée de l’Académie royale de musique, Françoise Moreau, pour laquelle il acheta le pavillon Vendôme, à Clichy. Ou comme en 1676, il aurait aussi séduite une des maîtresses du roi, Marie-Élisabeth marquise de Ludres.

Revenu vivre à Paris en 1680 pour quelques années, Philippe, en reprenant possession de sa «petite république» du Temple, s’entoura dès lors d’une société d’hommes d’esprit, de plaisir et de libertinage, «tous les beaux esprits de la Société du Temple, cercle littéraire, philosophique et libertin». Ce fut ainsi qu’il protégea l’abbé mondain Chaulieu et le peintre Jean Raoux, entre autres, (voir portrait ci-contre).

Et en 1683, alors qu’il était parti en Angleterre, il devait encore séduire la maîtresse du roi Charles II, Louise de Kéroualle, duchesse de Portsmouth.

En 1697, il fit rénover le même pavillon Vendôme, toujours habité par Françoise Moreau. Et c’est à partir de 1699, sous la conduite de l’architecte Hardouin-Mansart, que Jean-Baptiste Poultier devait en sculpter les frontons et les mascarons, tandis que le peintre Claude III Audran peignit les plafonds du salon tout en réalisant les dorures de certains décors. D’autres salles meublées de luxe furent décorées par les peintres Desportes et Blin de Fontenay.

Rappelé en 1702, Philippe de Vendôme servit encore en Allemagne comme lieutenant-général avant de rejoindre l’Italie, de nouveau sous les ordres de son frère et fut chargé du commandement en chef du Milanais.

Mais son «inaction» à la bataille de Cassano, en 1705, selon certains auteurs, lui vaudra la disgrâce du roi de France(1). C’est pourquoi, cette même année (1705), Philippe de Vendôme quitta l’armée, pour vivre, à Gênes, avec sa cousine, Marie-Charlotte de la Porte de la Meilleraye, avant de revenir définitivement quartier du Temple à Paris.

Un titre ducal contesté

En 1712, Philippe de Vendôme, âgé de 57 ans, bien que considéré par Raoul de Saint-Venant 7e duc de Vendôme à la mort de son frère Louis-Joseph, ne reçut jamais, apparemment, ce titre, car la succession du vainqueur d’Espagne, par la donation entre vifs de son contrat de mariage avec Marie Anne de Bourbon (Mlle d’Enghien), devait passer toute entière aux héritiers de cette dernière, eu égard à l’état ecclésiastique de Philippe, son beau-frère, censé n’avoir aucune descendance. Mais l’acte de l’érection du duché de Vendôme en faveur de César portant qu’il était donné à lui et à ses descendants en ligne directe, cette clause ouvrit le droit de réversion(2) à la couronne. C’est ainsi que Louis XIV, qui n’aimait guère le Grand Prieur, jugeant qu’il n’était guère habilité à succéder à son frère et à posséder des fiefs laïcs, appliqua sans réserve ce droit et s’empara du duché de Vendôme. Ainsi, dès le 6 décembre 1712, un arrêt du grand Conseil ordonnait aux receveurs du domaine d’en percevoir les revenus. Enfin, Louis XV fera, à Versailles, le 4 janvier 1724, une déclaration officielle pour réunir définitivement le duché de Vendôme au domaine royal.

D’ailleurs, pas plus que son Frère Louis-Joseph de Bourbon, Philippe ne vint en Vendômois ; du moins aucun document local ne l’atteste. Sous son administration, la charge de capitaine du château fut même momentanément supprimée de 1717 à 1722.

La déchéance

La vieillesse de Philippe s’écoula obscure et méprisée, dans une vie de débauche. Il finit sa vie avec les quelques drôles dépravés qui lui restaient de la vieille Société du Temple. « On le voyait déambuler dans le faubourg Saint-Germain, le nez plein de tabac, suivi de cinq à six chiens (avec qui il dormait), et dans un tel état de crasse que les passants s’écartaient pour éviter d’avoir à le frôler… A cause de cette saleté il avait été convenu de ne jamais lui frapper dans la main et de ne pas se mettre à table à côté de lui… », devait écrire un chroniqueur.

Vers 1717/18, s’étant mis un jour en tête de se marier, à condition que Rome le relevât de ses vœux, trois partis se présentèrent successivement, mais aucun, bien évidemment, ne donna suite ; Selon Saint-Simon : «Personne ne voulut d’un vieil ivrogne de soixante quatre à soixante cinq ans (en réalité 62 à 63 ans), pourri de vérole, vivant de rapines sans autres fonds de bien que le portefeuille qu’il s’était fait… et dès lors fort entamé».

Homme d’église, mais pour subvenir à sa vie de débauche, il s’était déjà démis, en effet, d’un certain nombre de ses bénéfices, comme il le fera, en 1719, pour sa charge du Grand Prieur de France ; homme de guerre, la vie également dissolue de son frère Louis-Joseph qu’il fréquenta souvent bien malgré lui, mais à qui il ne cessa d’obéir, avait eu sans aucun doute une néfaste influence sur sa faible personnalité. « C’était la déchéance d’un homme qui eut toute sa vie la rancœur de n’être qu’un cadet, c’est-à-dire quelqu’un qui, quoiqu’il fasse de grand ou d’héroïque, ne serait jamais que le second ».

Le 24 janvier 1727, Philippe de Vendôme rendait l’âme en son Hôtel de la rue de Varennes à Paris. Il avait 72 ans et bien vécu. Selon un contemporain, «il s’enterra lui-même bien des années avant qu’il ne mourut».
Avec son décès, s’éteignait la Maison de Vendôme.

Note 1 : Pour d’autres auteurs, obligeant les impériaux à abandonner les places qu’ils occupaient entre le lac de Garde et l’Adige, au même moment, Philippe de Vendôme ne pouvait donc pas combattre à Cassano.
Note 2 : Réversion : Droit de retour en vertu duquel les biens dont une personne a disposé en faveur d’une autre lui reviennent quand cette dernière meurt sans enfants.
Références bibliographiques :
Jean-Paul Desprat, Les bâtards d’Henri IV, l’épopée des Vendôme, 1594-1727, Paris, Perrin, 1994.
Jean-Claude Pasquier, Le château de Vendôme, une histoire douce-amère, Vendôme, éditions du Cherche-Lune, 2000, 2012.
Recherches et étude personnelles, dossier personnages illustres.
Iconographie :
Portrait de Philippe de Vendôme, grand prieur de France, peinture à l’huile de Jean Raoux, musée du Louvre, département des peintures, (domaine public),
via Google images.

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