Pourquoi la soeur d’Henri IV a-t-elle été inhumée au château de Vendôme ?
Catherine de Bourbon, sœur cadette du roi Henri IV, duchesse de Lorraine (alors hors du royaume de France), calviniste notoire, a bien été enterrée dans la collégiale Saint-Georges du château de Vendôme, malgré une certaine réprobation des chanoines, à cela plusieurs raisons et non des moindres, encore jamais étudiées localement ; voyons lesquelles.
Catherine de Bourbon, cinquième et dernier enfant d’Antoine de Bourbon, duc de Vendôme (1537-1562) et de Jeanne d’Albret, eut pour frères aînés Henri, 1er du nom, titré duc de Beaumont, né au château de la Flèche en 1551 et décédé deux ans plus tard ; Henri, 2e du nom, le futur roi de France, né le 13 décembre 1553 à Pau ; Louis Charles, titré comte de Marle, né en 1555 à Gaillon et mort en 1557 ; une sœur qui ne vécut que quelques jours, Madeleine, née à Nérac en 1556.
Princesse de Navarre, duchesse d’Albret, comtesse d’Armagnac et de Rodez, vicomtesse de Limoges (et de bien d’autres comtés et vicomtés cédés, au fil des années, par son frère), Catherine était née à Paris le 7 février 1559, baptisée au Louvre le 13 suivant et tenue sur les fonds baptismaux par le dauphin de France François (le futur roi de France François II, 1559-1560) et Catherine de Médicis, reine de France.
Investie, en 1578, puis de 1583 à 1587, par son frère Henri alors roi de Navarre, de la lieutenance générale du Béarn, de la Navarre, des comtés de Bigorre et de Foix, Catherine devait jouer un rôle politique important, se faisant appeler Madame, Madame Catherine, Madame, sœur du Roi. On la disait quelque peu disgracieuse et légèrement claudicante.
Mais bien que rêvant de se marier avec son cousin germain Charles de Soissons envers lequel elle vouait un grand amour, à 39 ans, sur recommandation expresse du roi et afin de mieux servir sa politique, le 13 juillet 1598, au château de Montceaux, par contrat, et le 31 janvier 1599, au château de Saint-Germain-en-Laye, en personne, Catherine épousait Son Altesse Henri, duc de Bar, marquis de Pont-à-Mousson, depuis Henri II, duc de Lorraine (Nancy 1563-1624).
Duchesse de Bar, mais restée une calviniste convaincue, s’entourant de partisans de la Réforme, elle vécut en Lorraine jusqu’à son décès à 45 ans survenu le 13 février 1604, à Nancy, sans postérité.
Alors pourquoi son corps fut-il rapatrié à Vendôme ?
Par d’atroces maux de ventre, se croyant enceinte, son agonie fut douloureuse et pathétique pour son entourage ; une autopsie fut même pratiquée. Puis sa dépouille fut embaumée et enfermée dans un lourd cercueil de plomb. Quant aux viscères, ils furent mis à part dans un coffret, lui-même en plomb. Du 2 au 22 mars, la bière, jusqu’à son départ pour le Vendômois, fut alors exposée dans la grande galerie du palais ducal à Nancy.
Contre toute attente, en effet, Catherine de Bourbon, huguenote exemplaire, comme sa mère, allait donc être inhumée dans la collégiale Saint-Georges de Vendôme, ville majoritairement catholique, voire ultra catholique puisque se réclamant de la Ligue. Un retour assez surprenant, mais pouvant toutefois s’expliquer…
Avant tout, par décision royale :
Le 17 février, apprenant le décès de sa sœur, le roi «pleura chaudement», son chagrin étant, à n’en pas douter, sincère, mais de courte durée. Roi de France mais aussi duc de Vendôme, Henri, quoi qu’on en dise, avait une certaine estime pour son duché paternel, la terre de ses ancêtres, ne serait-ce, peut-être, que pour en toucher ses revenus. Mais n’avait-il pas également protégé, lors de sa prise du château en novembre 1589, la collégiale de toute profanation. C’est ainsi, que fin février, Henri IV, pourtant conscient du désagrément que cela causerait aux chanoines, ordonnait à l’évêque de Chartres de prévenir, par lettre, le chapitre Saint-Georges de «souffrir cela, sans toutefois y assister et sans chanter». Dans le même temps, il dépêchait à Nancy, Charles de Choiseul, marquis de Praslin, gentilhomme champenois, pour «exposer les intentions de Sa Majesté ordonnant que les restes de sa sœur fussent transportés à Vendôme auprès de ceux de Jeanne d’Albret».
Mais aussi par amour filial… :
On le sait, Catherine de Bourbon avait été toujours très proche de sa mère Jeanne d’Albret jusqu’à même, comme elle, «épouser la Réforme», ce qui avait provoqué, d’ailleurs, quelques difficultés lors de l’inhumation de Jeanne en la collégiale. Huguenote sans concession, notamment pour sa ville de Vendôme, Jeanne avait toujours espéré être ensevelie en Béarn, dans la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption de Lescar (aujourd’hui, Pyrénées Atlantiques), nécropole des rois de Navarre. Mais au grand désespoir et mécontentement des chanoines, elle fut inhumée, le 1er ou 2 juillet 1572, elle l’hérétique, auprès de son époux, Antoine de Bourbon et de son fils aîné Henri (1er du nom, duc de Beaumont), dans le caveau des Bourbon situé dans le sanctuaire de la collégiale, en avant du maître-autel. Un enterrement d’ailleurs discuté par les Historiens quant à sa date exacte et à la présence ou non du roi et de sa sœur aux obsèques de leur mère. Localement, aucun document, pas même les chanoines, il est vrai, passablement vexés, n’attestent un tel accompagnement.
Véritable nécropole des Bourbon-Vendôme, la collégiale Saint-Georges du château ne pouvait, également, faire mieux que de suivre cette tradition. Accueillant, dès le XIe siècle, la plupart des seigneurs du comté vendômois, l’église devint, au XIVe siècle, à l’avènement, par alliance, des Bourbon-la-Marche dans la Maison de Vendôme, le lieu privilégié de leurs inhumations et ce jusqu’à l’accession à la couronne du premier roi Bourbon : Henri IV, avec exception, toutefois, pour son fils légitimé César de Vendôme.
Alors quoi de plus normal, pour Catherine, de rejoindre, dans ledit caveau, ses parents et ses ancêtres directs (depuis 1371), d’autant plus qu’enfant, accompagnée de sa mère, elle était déjà venue au château. Mais pour le chapitre, l’inhumation d’une seconde protestante en leur église, ça devait faire, effectivement, beaucoup.
Le retour de sa dépouille
Concernant les funérailles, le marquis de Praslin avait eu aussi pour mission de «contacter la comtesse de Vaudémont et la princesse Catherine de Lorraine (les Belles-Sœurs de Catherine de Bourbon), ainsi que les principaux serviteurs et servantes de Madame, notamment Mlle de Rohan et Dame de Panjas» (ses plus fidèles et intimes servantes) et de leur ordonner, au nom du roi, «d’accompagner jusqu’à Vendôme le corps de la duchesse et de tenir la main (de représenter la maison, ici de Lorraine), afin que les honneurs dus aux princesses de sa qualité lui soient rendus par les chemins».
Le cortège funèbre prit donc la route de France lundi 22 mars 1604. En tête venaient «avec les gardes, 60 gentilshommes vêtus de deuil, parmi lesquels ceux de M de Bar (Henri II de Lorraine, l’époux de Catherine). Puis, suivait le char funèbre tiré par six chevaux caparaçonnés de velours noir, escorté de six Suisses de Charles III (duc de Lorraine, père de M de Bar), les quatre baillis de Lorraine portant les coins du drap». Se remarquait ensuite «le carrosse de M le comte de Chaligny (de la famille de Lorraine), accompagnant la Maison de feu Madame la duchesse, et les nombreux seigneurs du pays». Enfin, «dans trois lourds chariots attelés chacun de quatre chevaux, s’entassaient les dames de service et femmes de chambre, alors que les hommes caracolaient, de compagnie, sur leurs montures».
Si le début du mois de mars avait été «doux et chaudelet», maintenant, il faisait grand froid. Le convoi arriva au château de Bar-le-Duc sous la neige, le lendemain 23 mars.
À Vitry-le-François, première ville du royaume de France, en sortant de la Lorraine, le lieutenant général en Champagne, Monsieur de Dinteville, représentant le duc de Nevers, gouverneur de la province, reçut le corps de Catherine au nom du roi.
Enfin, à Vendôme, la descente du cercueil dans le caveau des Bourbon dut se dérouler sans grand cérémonial (contrairement à ce qu’affirment certaines études), du moins, sans la présence du chapitre, si l’on en croit nos braves chanoines et comme l’avait d’ailleurs préconisé le roi, car pour eux, c’était bien l’hérétique, toujours un peu compromettante, qu’on accueillait.
La cérémonie à peine terminée, tous s’en retournèrent en Lorraine. À noter, que si l’étiquette fut soigneusement observée du côté de la belle-famille de Catherine, pas un seul représentant de la Maison de France ne fut, du moins à ma connaissance, présent ce jour-là ; le roi, lui-même, malgré ses ordres, ne s’était point soucié d’aller enterrer sa petite sœur(1).
Note (1) : Son épitaphe, dans le caveau de la collégiale Saint-Georges, était ainsi conçue :
Icy repose le corps de tres haulte et tres puissante princesse Madame Catherine de Bourbon sœur unique du roy Henry quatriesme, fille de deffunct Antoine de Bourbon et de Jehanne d’Albret, roy de Navarre et duc de Vendosmoy, laquelle Catherine fust femme de tres hault et tres puissant prince Monseigneur Henry de Lorraine, duc de Bar, marquis de Pont-à-Mousson, filz aisne de Monseigneur Charles duc de Lorraine et de Louise de France son espouze, fille de Henry second du nom et roy de France et de Catherine de Medicis, laquelle Catherine de Bourbon deceda à Nancy le treize fevrier 1604.
Épitaphe suivie d’un quatrain quelque peu postérieur :
Je naquis à Paris, à Pau je fus régente
Sœur unique du roy, en Lorraine contente.
Pensant avoir conceu, je mourus à Nancy :
Mon cœur y est encore et mon corps est icy.
Références bibliographiques :
«Calendrier historique et chronologique de l’église collégiale de Saint-Georges de Vendôme», par le chanoine du Bellay, d’après la copie manuscrite déposée à la Société archéologique du Vendômois et le manuscrit n°328 du Fonds ancien (toujours fermé) de la bibliothèque de Vendôme.
Raymond Ritter, La sœur d’Henri IV, Catherine de Bourbon (1559-1604), éditeur Libraire Jean Touzot, 2 vol., Paris, 1986.
P. Van Kerrebrouck, La Maison de Bourbon (1256-1987), Villeneuve d’Ascq, 1987.
Recherches et étude personnelles. Dossiers sur les Bourbon-Vendôme et le château de Vendôme.
Référence iconographique :
Catherine de Bourbon, par Amélie Cordelier de la Noue, XIXe siècle, huile sur toile, Musée National du château de Pau, Inv. DP 53.2.32, extrait du catalogue du Musée des Beaux-Arts de Chartres, juin 1994, exposition : 1594, le sacre d’Henri IV à Chartres.