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Quand les rues anciennes de Vendôme étaient débaptisées.

Le Conseil municipal de Vendôme attribua, il y a peu en 2009, avec juste raison mais non sans quelques réticences, le nom de l’ancien maire Daniel Chanet à certains des grands bâtiments publics dont il fut l’administrateur, et c’est tant mieux. Car, contrairement au temps passé, les élus d’alors, certes, plus ou moins sollicités par le contexte politique, n’avaient pas hésité à changer les noms des rues de la vieille ville pour satisfaire aux exigences passagères de la Révolution ou pour plaire aux instances gouvernementales après la Première Guerre mondiale, voire pour commémorer la mort d’un grand Général. Qu’en fut-il exactement ?

 

En l’an II (1793-1794) de l’ère Républicaine
Ainsi donc, à la demande de la Société populaire du district de Vendôme, le Conseil municipal résolut, le 16 ventose an II (6 mars 1794) d’imposer à la plupart des rues de la ville des noms «plus révolutionnaires» et surtout de supprimer ceux qui rappelaient le fanatisme. Il adopta, de ce fait, les noms proposés par la dite Société. Ces nouvelles dénominations furent alors gravées dans la pierre et plus commodément peintes à l’huile sur des planchettes. Dans le même temps, les 1168 maisons intra muros furent numérotées d’une façon concentrique et continue, celles des faubourgs étant pour l’heure exclues.

 

La rue du Change, l’une des plus anciennes rues de Vendôme, devenait par cette décision insensée la rue Rue Poterie des Sans Culottes. La rue Poterie, s’appelait maintenant : la rue Brutus et la maison commune (porte Saint-Georges) : la porte… Brutus ; la rue au Bled (au Blé) : la rue de l’Humanité. La rue Renarderie se changea en rue Charlier (Joseph, – 1747-1793 – maire de Lyon, guillotiné, déclaré «martyr de la Révolution» avec Marat). La Grande rue joignant alors la rue Poterie : rue Guillaume Tell ; la rue de la Volaille (aujourd’hui rue Saulnerie) : rue Jean-Jacques Rousseau. La rue Saint-Jacques était dénommée la rue des Arts ; la rue des Béguines : la rue des Droits de l’Homme ; la rue Guesnault : rue Voltaire et la rue du pont Saint-Bié : rue de l’Espérance.

 

Les places publiques subirent le même changement. La petite place Saint-Martin, en avant de l’église de même vocable devint : la place de la Révolution. La place du marché : place de la Liberté, en l’honneur de l’arbre de la Liberté qui venait d’y être planté pour remplacer celui du pont Chartrain, inauguré le 6 mai 1792 et renversé par les volontaires de Paris le 28 mai 1793. La place de l’Abbaye, successivement rebaptisée place d’Armes, puis de la République (en 1913), prit le nom de place de la Réunion.

 

Quant aux rues des faubourgs, elles ne furent pas oubliées pour autant. Le faubourg Chartrain s’appela le faubourg Marat. Les Arrières-Fossés ou le Mail (auj. Mail Leclerc) devinrent le quai Lepelletier, (dit de Saint-Fargeau – 1760-1793 – ce dernier, président du Parlement de Paris, député de la noblesse, fut aussi élu à la Convention de l’Yonne qui vota la mort du roi ; assassiné, il fut considéré comme «le premier martyr de la Révolution»). La rue des Écuelles (auj. rue Bretonnerie) fut transformée en rue de la Gamelle (pourquoi se creuser la tête !). La rue de la Marre (ou du Bourg Robert) : rue de Pomone (déesse romaine des fruits et des jardins). La rue des Quatre-Huis (orthographe de l’époque) : rue des Quatre Saisons ; la rue de la Grève : rue de la Fontaine ; la rue du faubourg Saint-Lubin : rue de la Montagne ; la rue Ferme : rue du Rempart et enfin, la rue du faubourg Saint-Bienheuré : faubourg de l’Union.
Heureusement, ce premier changement fut pour les Vendômois mécontents de courte durée et l’on revint bientôt à la dénomination originelle. Pourtant quatre ans plus tard, les élus récidivaient avec beaucoup plus de fermeté.

 

 

En l’an VI (1797-1798)
Cette fois-ci, à la faveur d’une recrudescence de ferveur républicaine et à la venue d’un gouvernement plus ombrageux, quelques noms, soit disant toujours plus révolutionnaires, furent encore imposés aux rues, alors que d’autres furent repris de l’an II, maintenus ou échangés, malgré la forte déception des habitants.
Pour parfaire ces changements d’appellations et n’oublier aucune rue, la ville fut alors divisée en deux sections et quatre arrondissements. La section nord comprenait la partie de la commune dévolue à la paroisse de la Madeleine, tandis que la section sud s’inscrivait dans les limites de la nouvelle paroisse de la Trinité.

 

Dans la section nord, 1er arrondissement, la rue Poterie devenait maintenant : rue du Peuple souverain. La rue au Blé : rue de la Loi ; la rue des Écuelles : rue de la Frugalité (après la Gamelle) ; la rue de la Marre : rue de l’Agriculture.

 

Les rues Saint-Jacques, des Béguines, des Quatre-Huis, et les Arrières-Fossés conservaient leurs dénominations de l’an II.

 

La rue Frincambault qui longeait alors la muraille occidentale de la ville joignant la rue Saint-Père la Motte à la rue Basse, s’appelait désormais : rue Sidney ( ?).

 

Section nord, 2e arrondissement : la rue du Change, délaissant les Sans Culottes, devenait la rue des Hommes Libres ; le Faubourg Chartrain : le faubourg des Victoires.

 

La rue du Puits (ou du Calvaire) était dénommée à son tour : rue Ronsard. La rue des Jardins (auj. Honoré de Balzac) et celle de l’Islette conservèrent leurs noms d’origine. Les lieux-dits de La Garde et Les Tuileries y échappèrent également.

 

Section sud, 3e arrondissement : la rue Renarderie (ex Charlier) prit le nom de rue de la Fraternité ; la Grande Rue celui de rue Voltaire ; la rue de la Grève : rue du Père de Famille. Le Faubourg Saint-Lubin s’intitula le faubourg d’Arcole (victoire napoléonienne, en Italie, sur les Autrichiens le 15 novembre 1796) ; la rue Ferme : rue de la Paix.

 

La rue Basse fut maintenant appelée rue Basseville (secrétaire de la délégation de Naples, assassiné pour avoir fait respecter la drapeau français), tout comme la rue de la Poissonnerie (auj. moitié de la rue Marie de Luxembourg) devint le rue Duphot (Léonard – 1769-1797 – né à Lyon, militaire attaché à l’ambassade de Joseph Bonaparte à Rome, assassiné le 27 décembre 1797, lors d’une émeute jacobine).

 

La rue de la Volaille et la place du Marché gardèrent leurs noms de l’an II.
Section sud, 4e arrondissement : seules les rues Guesnault et du pont Saint-Bié furent reconverties respectivement en rue Mably (Gabriel – 1709/1785 – philosophe et historien français considéré comme un des précurseurs de la Révolution) et en rue du Travail.

 

La place de l’Abbaye resta place de la Réunion. Petite nuance concernant le Faubourg Saint-Bienheuré : de Faubourg de l’Union, il devenait Faubourg de l’Unionheuré (quel humour !)
Bien plus, cinq petites rues du centre ville ignorées une première fois furent encore rebaptisées pour la circonstance. La rue Parisienne s’appela dès lors : rue Franklin ; la rue du Bourg Neuf : rue Brutus (au détriment de la rue Poterie) ; la rue du Petit Bourg Neuf (auj. Notre-Dame) : rue de la Constitution. La rue de l’Écrevisse contournant par le nord l’église Saint-Martin désaffectée et servant de halle au Blé : rue Guillaume Tell et la rue du Bourg Saint-Martin (au sud de l’église) : la rue de la République.

 

Les hameaux de la Haute et Basse Chappe ainsi que Le Bois la Barbe restèrent en l’état.
De leur côté, les ponts de Vendôme reçurent aussi des «noms que l’on voulait toujours plus révolutionnaires» en vertu du décret du 28 thermidor an II (15 août 1794). Le pont Perrin (rue du Change) fut ainsi dénommé pont de l’Union ; le pont Rondin (rue poterie, proche de la bibliothèque) : pont de l’Indivisibilité. Le pont Saint-Michel fut appelé le pont de Kell (Kehl), en l’honneur de la vaillante défense du dit pont, le 18 vendémiaire an III (9 octobre 1794), par le générai Desaix ; le pont Saint-Bié : pont de Neuwied (sur le Rhin), là où précisément le maréchal Ney repoussa les Autrichiens en 1797 ; le pont Chartrain : pont de Fleurus, victoire de Napoléon sur les Anglo-Hollandais, en 1794 et le pont Saint-Georges : pont Brutus, puis de Lodi, autre victoire napoléonienne, en Italie, sur les Autrichiens en 1796..
Situé Faubourg Marat puis des Victoires (fg Chartrain), le grand cimetière (emplacement du théâtre municipal) s’appela tout naturellement « le champ du repos ».

 

Mais nos ancêtres s’adaptèrent très mal à ces changem Rue du Change ents et refusèrent, autant que cela leur fût possible, tous ces noms aussi curieux qu’inhabituels. Pétitions, réclamations, récriminations de toutes sortes, vinrent toutefois à bout de ces nouvelles appellations qui perdurèrent pourtant jusqu’en l’an X (1801-1802 de «l’ère vulgaire»).

 

À la fin et au lendemain de la guerre (1918-1919) :
Sur invitation du gouvernement et par un excès de patriotisme, la municipalité de Vendôme fut, une fois de plus, favorable à débaptiser un certain nombre de rues croyant rendre un réel hommage aux acteurs du drame qui se terminait.

 

Ainsi, sur proposition formulée dès le 19 juin 1918, lors du conseil municipal du 12 octobre suivant, soit un mois avant l’Armistice, les élus, trop zélés, transformèrent, à l’unanimité, la rue Poterie en rue du président Wilson et la rue du Change en rue d’Angleterre, affirmant que ces deux voies essentielles n’avaient assurément rien d’historique.

 

Puis durant la séance du 16 novembre, avec cette fois de nombreuses abstentions et quelques désaccords verbaux, le Mail devenait rue Georges Clemenceau ; le faubourg Chartrain : la rue du Maréchal Foch ; la rue des Quatre-Huyes : rue du maréchal Joffre ; la Grande Rue : rue Albert Ier ; l’avenue des Murs (auj. avenue Ronsard) : l’avenue des Alliés.

 

Et comme cela ne suffisait pas, le 1er février 1919, la rue Saint-Bié, prenait le nom de rue des Poilus ; la rue Renarderie celui de rue Jean Jaurès. Quant au faubourg Saint-Lubin, sur demande expresse d’un seul conseiller, il fut dénommé : rue Vénizélos (homme d’État grec – 1864/1936 – germanophobe, qui obligea la Bulgarie à mettre bas les armes et qui rangea la Crète aux côtés des Alliés en 1917). On ignore ce qu’en pensèrent les habitants non consultés de ce quartier.

 

À la réaction très négative des Vendômois, qui n’eurent de cesse de voir abolir ces nouvelles dénominations, le conseil municipal du moment, dans sa séance du 27 août 1923, devait décider leurs suppressions et revenir, au grand soulagement de la population, aux origines. Cette décision fut approuvée par décret rendu par M le Président de la République (Millerand) à la date du 6 décembre 1923 et par M le Préfet de Loir-et-Cher (A-G Martin), le 19 janvier 1924.

 

Si tout rentra dans l’ordre, certaines appellations furent cependant conservées et attribuées à des voies nouvellement créées comme les rues Jean Jaurès, d’Angleterre et Albert Ier.. La petite rue du Quartier (Rochambeau depuis 1886) s’appela, plus logiquement, la rue des Poilus.

 

La municipalité profita également, cette année-là, pour baptiser d’autres rues ou anciens chemins alors plus ou moins en périphérie de la ville. C’est ainsi que furent cadastrées les rues Le Myre de Vilers (à l’orthographe erronée sur les plaques actuelles), Honoré de Balzac, du Bellay, Maréchal de Rochambeau, des États-Unis (d’Amérique), du 20e Chasseurs (à cheval) et l’avenue Ronsard. La rue d’Italie déjà baptisée comme telle en 1918 gardait ce nom.

 

Le cas de la rue au Blé :
Comme l’histoire n’est qu’un éternel recommencement, à la mort du Général de Gaulle, survenue le 9 novembre 1970, la ville crut bon de lui rendre hommage en lui attribuant une rue. Ainsi, à la seule demande du maire Gérard Yvon (si l’on en croit le compte rendu de la délibération), le conseil municipal, réuni en séance extraordinaire le 23 novembre suivant, adoptait à l’unanimité, cette proposition. Ce fut donc notre rue au Blé, il est vrai «retracée» en 1946 et qui n’avait plus rien à voir avec celle antérieure au 15 juin 1940, mais toujours aussi chargée d’histoire, qui en fit les frais et ce dans la plus grande indifférence, semble-t-il, des défenseurs du patrimoine.

Jean-Claude PASQUIER

Sources : Bulletins de la Société Archéologique du Vendômois – Fonds ancien local de la Bibliothèque du Pays Vendômois – Registres de délibérations des Archives communales.
Iconographie : Images et sons en Vendômois – Collection particulière.

Article dans paru dans notre édition de Janvier 2010

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