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Quand S. M. l’Empereur Napoléon passait par Vendôme

Alors que les attaches ancestrales de l’Impératrice Joséphine avec le Vendômois ou la venue, en l’hôtel de Soisy (l’actuelle sous-préfecture), de Marie-Louise et du petit roi de Rome (le 1er avril 1814), ont déjà été évoquées publiquement le 2 décembre 2004 (date du bi-centenaire du sacre de Napoléon)*, il n’est peut-être pas inutile de rappeler, maintenant, les quatre passages de l’Empereur à Vendôme, événements plus ou moins connus, certes, mais d’une façon trop souvent approximative, voire erronée.

 

La petite étude qui va suivre, concernant du moins les trois premiers passages, se réfère à deux témoins privilégiés : Jean Clément, charpentier, sapeur de la première compagnie de pompiers de la ville, présent ces jours-là et Duchemin de la Chesnaye, fils, l’un des commandants de la garde d’honneur à cheval qui eut pour mission de protéger la voiture de l’Empereur dans la traversée de Vendôme.

 

Dès septembre 1807, les premières troupes se dirigeant sur l’Espagne commencèrent à passer. Jusqu’en mai 1808, leur nombre fut estimé, par Jean Clément, à cinquante mille hommes.

 

 

Porte Saint Georges Le premier passage de Napoléon : dimanche 14 août 1808, 2 heures du matin

Ce passage à Vendôme était, en fait, préparé depuis un certain temps déjà. De retour de Bayonne, non loin des confins de l’Espagne où la guerre sévissait, Napoléon, accompagné de Joséphine, après s’être arrêté plusieurs jours à Toulouse et à Bordeaux, arrivait à Blois, en passant par Nantes et Tours, dans l’après-midi du samedi 13 août.

 

Quinze jours auparavant, M Lefèvre, sous-préfet et M Antoine Bûcheron-Boisrichard, maire de Vendôme, avaient créé une garde d’honneur à cheval composée d’habitants connus pour leur probité, mais qui durent fournir, à leurs frais, leurs propres uniformes. On prévit même de sabler les rues avec douze cents poinçons de sable et d’illuminer la ville. Les habitants de Montoire, Saint-Calais, Mondoubleau et autres lieux vinrent en foule.

 

Reçu par le préfet Corbigny en l’hôtel de la préfecture, le cortège impérial repartit de Blois peu après le souper. Vers onze heures du soir, dans Vendôme, voitures et courriers se firent toujours plus nombreux. À une heure du matin (le 14, donc), on signala l’approche de l’Empereur comme imminente, aussi les corps constitués, portant les clés de la ville sur un plat d’argent, se portèrent-ils à sa rencontre. Vers deux heures, une décharge d’artillerie et les cloches de la ville annoncèrent enfin l’arrivée de sa Majesté. Son carrosse, attelé de huit chevaux blancs, dévala bientôt le tertre du chemin de Blois (l’actuelle rue du Roi Henri passant par le hameau du Temple, alors la seule vraie route de Blois) et prit le relais proche de la Montagne Saint-Lubin, en haut du faubourg (1).

 

Pendant qu’on relayait les chevaux de poste des différentes voitures, Napoléon et Joséphine, impatients de se rendre à Paris pour le 15 août, jour de la fête de l’Empereur, reçurent symboliquement les clés de la ville des mains du maire, accompagné du sous-préfet, entourés eux-mêmes des diverses administrations, de la musique, des gardes d’honneur à pied et à cheval et de la garde nationale. Une foule énorme se pressait devant le relais aux cris de ” Vive l’Empereur ! Vive Napoléon ! Vive Joséphine ! “, empêchant presque les voitures de manœuvrer.

 

Puis, le carrosse impérial, suivi par la Gendarmerie, fut escorté par la garde d’honneur à cheval commandée par MM de Fontenay et Duchemin de la Chesnaye, fils, caracolant chacun à une des portières et par la garde d’honneur à pied, commandée par le sieur Barré, mais bientôt distancée. Sur le parcours, tous les habitants avaient reçu l’ordre d’illuminer les façades de leurs maisons ; mais les illuminations de l’hôtel de ville (Porte Saint-Georges), de la sous-préfecture (aile ouest de l’ancien cloître de la Trinité), des bâtiments du collège de l’Oratoire, sur les deux rues (chapelle Saint-Jacques et début de la rue du même nom), certaines maisons des fonctionnaires publics (rue Guesnault, entre autres), se firent particulièrement remarquer par leurs présentations, leurs emblèmes et leurs inscriptions de circonstance.

 

L’escorte à cheval, toujours au son du canon et des acclamations, accompagna l’Empereur jusqu’au bois de Bel Air. Durant tout le trajet, si l’on en croit Duchemin, Napoléon ne cessa de parler avec les deux commandants, s’informant tant sur la population que sur le commerce et autres particularités de la ville.

 

Les huit chevaux attelés à la voiture impériale et la fréquence des relais expliquent la rapidité réellement surprenante des étapes : l’après-midi, Napoléon, rentrait à Saint-Cloud.

Septembre 1808 : “les troupes se succédèrent sous la porte Saint-Georges ; après la garde impériale composée des grenadiers à cheval, ce fut les chasseurs à cheval, puis les dragons et les fusiliers de la garde accompagnés d’une nombreuse artillerie. D’autres troupes en poste passèrent à leur tour, faisant vingt lieues par jour dans des voitures réquisitionnées souvent sur place. Un jour on en compta cent huit”, selon Jean Clément.

 

Le deuxième passage : dimanche 30 octobre 1808, 5 heures ¼ du soir (17h15)

Arrivé à Rambouillet depuis la veille, l’Empereur quittait cette ville à quatre heures du matin, le 30 octobre, pour rejoindre Vendôme douze heures plus tard, sans toutefois se faire annoncer comme pour la première fois. Il était accompagné de maréchal d’Empire Duroc. Napoléon, qui retournait de Paris à Bayonne inspecter ses armées, fut escorté, comme le 14 août précédent, par les gardes d’honneur à cheval et à pied commandées par les mêmes officiers. La garde à cheval accompagna la voiture, dans les mêmes conditions, depuis le Grand Mail (du Tyron, au nord du faubourg Chartrain) jusqu’au haut du faubourg Saint-Lubin. Le canon et les cloches ne cessèrent de se faire entendre ainsi que les acclamations destinées à Napoléon. Mais sur l’invitation de ce dernier, la garde à cheval dut continuer son escorte jusqu’au relais de Plessis-Saint-Amand (Plessis-Fortia), à deux lieues au sud de Vendôme (2).

 

Cette-fois-ci, ni le sous-préfet, ni le maire n’allèrent le saluer n’ayant pas été avisés officiellement, si ce n’est par le maître de poste. Déjà, le 28, M. Lefèvre, le sous-préfet, avait écrit deux lettres au préfet Corbigny, pour lui demander conseils, ne sachant quelle attitude prendre vis-à-vis de l’Empereur qui, manifestement, désirait garder l’incognito. En serviteur zélé de l’État, il s’en remettait à son supérieur, s’excusant presque de ne pouvoir accueillir l’illustre voyageur comme il convenait.

 

Du Plessis Saint-Amand, l’Empereur alla souper dans une auberge de Château-Renault à trois lieues encore plus au sud. Là, il fit venir le maire pour connaître les raisons du mauvais état de la route de Vendôme, lequel répondit que cela provenait de la négligence ou du retard apporté par les ingénieurs du département de Loir-et-Cher, mais qu’après Château-Renault et jusqu’à Tours, la route, par la surveillance du préfet d’Indre-et-Loire, était en bien meilleure condition. Napoléon écrivit sur-le-champ aux administrateurs de Blois pour qu’à son retour de Bayonne la portion de route incriminée fusse sinon achevée, du moins dans un état plus satisfaisant.

 

Le lendemain, Joseph, roi d’Espagne, semblait emprunter le même chemin (Journal de Clément).

Le 1er novembre, Lefèvre rendait compte au préfet du passage de Napoléon tout en regrettant de l’avoir manqué de peu, ayant été averti trop tard de son arrivée : “Je crains, écrivit-il, qu’il n’ait trouvé extraordinaire que ni le maire, ni moi ne lui ayons rendu nos devoirs… Je vous prie de lui faire connaître mon chagrin d’avoir manqué cette favorable occasion de présenter les sentiments et l’amour de mes administrés…”.

 

Le troisième passage : dimanche 22 janvier 1809, 5 heures du soir (17 h)

L’Empereur passa pour la troisième fois à Vendôme revenant de Valladolid qu’il quittait le 17 janvier pour rejoindre Paris par Bayonne et Poitiers, en suivant la route impériale n° 10, dans une voiture à huit chevaux, avec le même maréchal Duroc.

 

Comme les deux fois précédentes, il fut escorté, dans Vendôme, par la garde d’honneur à cheval (et sans doute à pied), ici, depuis le relais du faubourg Saint-Lubin jusqu’au bois de Bel Air. Malgré ce passage voulu discret, les cloches et le canon se firent encore entendre. Au relais, la foule, s’empressant autour de la voiture pour apercevoir celui qu’elle acclamait, fut quelque peu repoussée par la garde. C’est alors que Napoléon, mettant la tête à la portière aurait dit, si l’on s’en rapporte toujours à Jean Clément : ” Laisser approcher, c’est mon peuple qui veut me voir “. Aussitôt, on fit place et sa Majesté salua. Curieusement, Duchemin de la Chesnaye, commandant de la garde à cheval, pourtant bien placé auprès du carrosse impérial, ne fait aucune allusion à cette scène.

 

Si en février 1809, des soldats hollandais se dirigèrent vers le midi, en mars et avril, de très nombreuses troupes repassèrent par Vendôme revenant cette fois d’Espagne, le plus souvent en voitures.

 

“Quand elles arrivaient, on les logeait chez les cabaretiers, puis chez l’habitant ; il fallait leur fournir une livre de pain, une demi-bouteille de vin et une demi-livre de viande ; on avait pour paiement huit sous par homme. Un jour, il passa 280 voitures”.

 

Contrairement à ce qu’il fut parfois écrit, ce n’est pas en 1808 que “l’on refit la voûte de l’Hôtel-de-Ville qui était trop étroite et trop basse” mais bien en juillet 1809. C’est en effet l’ingénieur Odéré, de Montoire, qui entreprit de réunir la porte charretière et la porte piétonnière et de surélever la nouvelle voûte. La décision fut prise parce que les charrettes étaient surchargées, le plus souvent en hauteur et que de nombreux tracas de circulation (avec les diligences notamment, la priorité étant inconnue) étaient déjà bien réels sous la porte. Toutefois, les passages incessants des troupes napoléoniennes des deux années précédentes qui ne bénéficièrent aucunement de cet élargissement de la chaussée, incitèrent, sans aucun doute, les édiles à engager les travaux.

 

Le quatrième passage : 30 juin 1815, vers Rochefort, puis Sainte-Hélène

Ce dernier passage est le moins connu dans le détail, mais aussi, et de loin, le moins glorieux. Nos deux témoins ne sont plus là. Jean Clément est décédé en 1810 et Duchemin n’est plus commandant de la garde d’honneur à cheval qui fut dissoute, semble-t-il, après le passage du 22 janvier 1809.

 

Un certain Henri Houssay rapporte pourtant : “… Napoléon quitta Rambouillet le 30 juin, vers 8 heures. Sa calèche traversa Maintenon, Chartres, poursuivant sa course à travers les grandes plaines de la Beauce… Les rues de Vendôme ne furent plus sablées ni même décorées de feuillages”. Aucune acclamation ne fut perçue.

 

Notre dernier témoin attribue au relais de Vendôme, que seule la tradition situe pour une fois rue de la Grève, l’anecdote suivante : “La maîtresse de poste vint à la portière de la calèche et demanda d’un air effaré aux voyageurs, s’ils venaient de Paris et s’ils avaient des nouvelles de l’empereur ? Elle se troubla soudain et resta muette, la mine désespérée, les yeux remplis de larmes ; elle venait de le reconnaître ! Toujours sans mot dire, elle rentra dans sa maison d’un air accablé”.

 

Mais un autre auteur place ce même incident… au relais de Châteaudun.

 

Assurément, l’Histoire n’est pas simple.

 

(1) Sans mettre en doute les écrits de nos deux témoins directs, il existe donc un relais en haut du faubourg Saint-Lubin mais dont on ignore tout de son histoire et de sa situation exacte. En revanche, nous connaissons parfaitement l’existence, depuis 1740 environ, d’un relais sis aux angles des rues actuelles de la Grève et des Écoles. Alors y aurait-il eu deux relais distincts, voire concurrents dans le faubourg Saint-Lubin ou un seul et même relais, l’un étant l’annexe de l’autre ?

 

(2) Il s’agit là, vraisemblablement, du relais qui existait à l’angle de la Nationale 10 et de la petite route qui conduit au château du Plessis-Fortia, au lieu-dit “la Rose”, un ensemble de constructions qui fut plus tard, une gendarmerie, puis une ferme. Il faut dire que la route Paris-Bayonne d’alors passait par le village de Huisseau-en-Beauce et la montée était rude C’est en 1811, lorsque cette route fut redressée pour prendre son tracé actuel que le relais fut transféré au lieudit “la Poste”, une ferme située entre les Bréviaires et Villethiou.

 

Article paru dans le Petit Vendômois de janvier 2005

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