Un certain sieur François-Jean Pasquier
Alors qu’il est question, pour la fin de l’année 2022, de conforter ponctuellement les tours et murailles du château de Vendôme, il serait peut-être intéressant de connaître les raisons exactes de son délabrement. Outre sa prise en 1589 par Henri IV, son abandon à partir du rattachement du duché à la couronne de France (1724), le vandalisme et les vols exercés nuitamment durant la période révolutionnaire, les récents effondrements des années 2001/2002, le principal responsable reste, sans conteste, un dénommé Pasquier (1), l’un de ses propriétaires occasionnels. Mais qui était-il donc pour avoir agi de la sorte ?
Une vente des plus difficiles
Pour bien comprendre l’intérêt du sieur Pasquier à vouloir araser le château, il faut, en effet, remonter à la vente de ce dernier. Un devis d’estimation des lieux, comprenant 30 articles, avait donc été dressé, en 1790, à la demande du Directoire du district de la ville, par René Barbier, charpentier à Vendôme, paroisse de Saint-Bienheuré et par Michel Gauthier, maçon, paroisse de la Madeleine.
Ainsi, dès le 5 janvier 1791, Gabriel Pinson, marchand, demeurant paroisse de la Madeleine, devait en proposer, le premier, 13 000 livres, sous condition, toutefois, de pouvoir enlever très rapidement les pavés de la rampe. Et le 12 janvier suivant, le Directoire délibérant, fut favorable à cette proposition. Mais c’était sans compter sur les habitants consternés qui s’opposèrent immédiatement à cette vente et à ce que la rampe devenant impraticable empêcherait toute liaison avec le hameau du Temple. Une pétition recueillant de nombreuses signatures fut même lancée… Mais resta sans effet puisque le 15 du mois il fut procédé à une nouvelle adjudication du château et de ses abords, à savoir «la Montagne».
Et ce fut, cette fois-ci, le citoyen Jean Fournier, brave ouvrier agricole de la paroisse de Crucheray, logeant à la ferme de Pinsay (ou Pincé, aujourd’hui disparue) qui en fit l’acquisition pour 14 400 livres. Mais bientôt reconnu insolvable, car «pris de boisson» au moment de cet achat, il fut poursuivi en justice et n’eut d’autre recours que de fuir et de se cacher… en vain, puisque sa femme, à son tour, fut également inquiétée.
Qu’à cela ne tienne, le 11 juin 1791, le château, par précaution, divisé maintenant en six lots différents, fut pour la troisième fois mis en vente et adjugé à la folle enchère à plusieurs acquéreurs de bonne moralité :
Le 1er lot, composé d’une cave située au bas du coteau fut adjugée au sieur Dehargne (élu municipal) – Le 2e lot comprenant la Capitainerie et le magasin à poudre, revint à François Pasquier (notre personnage en question), se disant alors entrepreneur de travaux publics (on comprend déjà mieux ses intentions), pour 800 livres – Dans le 3e lot, les tours de défense et murailles, les souterrains, la rampe dans toute son étendue protégée encore par ses trois portes monumentales, la collégiale, ses annexes et sa terrasse, furent acquis pour 5 000 livres par Jean-François Morinet, Lubin Drouin, perruquier, Charles Brisset, marchand boisselier et Pasquier l’aîné (encore notre personnage) – Le 4e lot réduit à un clos de vigne au Temple fut dévolu à Morinet (déjà cité) pour 1 325 livres – Le 5e lot, avec ses ferrures, ses plombs, l’ensemble des charpentes et des ardoises fut attribué, pour 1 250 livres, à Nicolas Fontaine, maître fripier, Mathurin Asseau, pâtissier, et Charles Brissé – Quant au 6e lot concernant 30 boisselées (environ 1 ha et demi) de terrains appelés «la Montagne», avec ses fossés, buttes, garennes et broussailles, il fut partagé, pour 2 000 livres, entre Morinet, Brissé et Pasquier père (toujours notre personnage) ; soit pour le tout : 11 400 livres.
Ainsi le citoyen François-Jean Pasquier venait d’acquérir la totalité du 2e lot et en partage les 3e et 6e lots, sur les six proposés.
François-Jean Pasquier
Souvent prénommé François, voire seulement Jean, les documents ajoutent parfois, comme nous venons de le voir, «Pasquier l’aîné» ou «Pasquier père», sans doute pour le différencier de ses enfants comme c’était alors l’usage.
Né le 1er juin 1756 à la Ville-aux-Clercs, ses parents, Jean Pasquier et sa mère née Madeleine Ballu étaient de condition modeste.
Sa profession déclarée était arpenteur, voire géomètre du quartier de la Petite Chapelle (à supposer Saint-Pierre-la-Motte), ou encore entrepreneur de travaux publics comme il se plaisait à le dire.
Marié en premières noces avec Madeleine Javary, il eut deux enfants : Pierre et Madeleine-Victoire.
Pierre, né à Vendôme décédera faubourg Saint-Lubin le 6 janvier 1841. On le dit également veuf de Marie Lubineau. Arquebusier (armurier) de profession, il demeura successivement au n°84 (numérotation d’alors) de la rue de l’Écrevisse (contournant par le nord l’ancienne église Saint-Martin) et au n°163 de la Grande Rue (celle d’avant 1940, rejoignant alors la rue Poterie).
Madeleine-Victoire était mariée à François-Jacques Jacquinet, vitrier à Vendôme, ayant magasin à l’angle de la rue Saint-Bié et de la place d’Armes (de la République). C’est lui qui fit construire la maison actuelle (en 1829) de la Capitainerie du château.
Pour une raison qui nous échappe, François-Jean Pasquier se remaria, en deuxièmes noces, à l’âge de 45 ans, avec Marie-Jeanne Proust (29 ans), le 8 thermidor, An IX (lundi 27 juillet 1801) avec laquelle il eut encore trois enfants : Philibert, Emmanuel-Étienne né en 1803 et Augustin. Ce dernier, né en 1804, épousa le 25 octobre 1825 (21 ans) Marie-Madeleine-Pauline Haugou, lingère, âgée de 22 ans. Quant à leur mère Jeanne Proust, elle était née le 13 février 1772 à Morée avec pour parents : Guillaume et Jeanne Geray.
Une lente agonie
Bien que l’ensemble du château fût maintenant aux mains de propriétaires privés (donc susceptible d’être préservé et entretenu), le sort de la collégiale Saint-Georges allait, tout d’abord, préoccuper les élus. Aussi, dès le 22 avril 1792, l’abandon complet de l’église fut-il décrété ; la translation des cendres des Bourbon-Vendôme étant prévue dans la vieille abbaye de la Trinité.
Dès lors tout s’accéléra : le 25 août 1792, devant l’ampleur des spoliations perpétrées envers la collégiale, le Directoire accorda le transfert des tombeaux. En fait, le 20 septembre suivant, le gouvernement réclamant les plombs pour l’armement, suite aux nombreuses dégradations et vols commis, tous ces cercueils furent laissés en place comme pièces à conviction. Quand le 28 mai 1793, le 3e bataillon des Volontaires de Paris, section des Champs-Elysées, parti combattre en Vendée, profanait ces dits tombeaux et dispersait les corps. Enfin, le 24 août (1793), la collégiale était livrée aux démolisseurs.
Puis, faisant suite à de nombreuses tractations entre les nouveaux propriétaires, le 28 janvier 1796 (8 pluviose, An IV), le château fut encore partagé, mais cette fois en deux lots seulement. Ainsi, François Pasquier s’efforçant de racheter les parts des copropriétaires de la première heure, finit-il par obtenir l’un des deux lots, tandis que le second revint conjointement aux citoyens Chaillou et Lepeintre qui, eux-mêmes le revendirent, notamment, à Jean Chéron, couvreur rue des Quatre-Huys (orthographe de l’époque).
Propriétaire à part entière
Par la suite, sans que nous sachions trop comment, François Pasquier, cupide et sans scrupule, de toute évidence animé par le profit, réussissait à devenir le seul propriétaire du château et de ses environs immédiats, se vantant bientôt que la forteresse et la «Montagne» seraient, selon sa propre expression, «livrées à la culture et ensemencées comme il se doit» ; c’est dire sa mentalité !
De sa présence au château, de la récupération et de la vente de pierres et des divers matériaux, rien ne transpira, mais le résultat était là. Vendant en priorité les pierres de parement (donc déjà taillées et prêtes au réemploi), le bâtiment ‘est’ dit de César et l’ensemble des logis, en arrière des tours-pavillons du front nord, face à la ville, disparurent rapidement ; tours et courtines du front sud furent également, en partie, démantelées.
Habita-t-il le fort primitif de la Capitainerie (dont il était propriétaire), comme certains érudits le supposèrent, du moins jusqu’en 1799, date à laquelle cet ancien donjon fut exproprié et abattu l’année suivante pour insécurité ? Peut-être, mais sans confirmation.
Enfin sauvegardé
Car au grand soulagement de la plupart des Vendômois, François-Jean Pasquier mourut le 23 mai 1810 (54 ans). Mais si le château était maintenant sauvé d’une complète destruction, sa veuve, née Marie-Jeanne Proust, aidée par ses beaux-enfants (Pierre et François Jacquinet, époux de Victoire), continuera, un temps, selon ses besoins, à vendre les pierres du château.
Il fallut attendre le 6 novembre 1810 pour que Maître Philippe-Godeffroy Renou, notaire à Vendôme, rachetât à la veuve Pasquier l’emplacement de l’ancienne collégiale Saint-Georges et les ruines contiguës dominant la ville (tour dite des prisons, entre autres). De même, le 6 septembre 1811, Antoine Delalande, propriétaire à Villemardy, allait lui racheter toute la partie comprise entre la tour dite de l’Éperon et les tours du châtelet de l’ancienne entrée orientale.
Enfin, mettant un terme définitif à toute destruction volontaire de la forteresse des Bourbon-Vendôme, le 16 mars 1819, le comte de Beaumont, quatrième sous-préfet de la ville (1815-1824) rachetait à son tour à la veuve Pasquier, pour 1 524 livres, une partie du front sud-est, à partir précisément du châtelet d’entrée, ainsi que la totalité de l’enceinte sud (du moins ce qu’il en restait), les fossés et quelques terrains constituant «la Montagne». Et par ordonnance royale du 17 novembre 1819, il en fit don à la ville en la personne du maire Josse-Boisbercy.
Ce qui n’empêchera pas Marie-Jeanne Pasquier, ses beaux-enfants et ses propres enfants (maintenant majeurs), héritiers, de vendre encore quelques ares de terrains pris sur la promenade de la Montagne et en 1828, à Maître Ulysse Renou, «le plant des Ormeaux», plantation précédant l’actuel parc à l’anglaise.
Orientation bibliographique : Jean-Claude Pasquier, Le château de Vendôme, une histoire douce-amère, éditions du Cherche-Lune, Vendôme, 2012.
Recherches et étude personnelles : Archives départementales, communales, Fonds ancien de la bibliothèque, Généalogie vendômoise, bibliothèque de la Société archéologique du Vendômois.
Iconographie : Vestiges du château vers 1818.