Un sous-préfet généreux
Comme pouvant faire suite à l’article précédent concernant le « sieur François-Jean Pasquier », l’histoire de ce sous-préfet, hors du commun, mérite bien que l’on s’y intéresse. Bienfaiteur en sauvant le château de Vendôme de la ruine complète, n’inspirant qu’à finir ses jours dans sa ville d’adoption, le vicomte de Beaumont est tombé dans l’oubli. Essayons de le faire revivre.
Armand de Beaumont
Armand de la Bonninière, vicomte de Beaumont, fils d’Anne-Claude de la Bonninière, comte de Beaumont et de Marguerite Le Pellerin de Gauville, était né à Beaumont-la-Ronce (Indre-et-Loire) le 4 mars 1782 et dès l’âge de 3 ans, le 10 avril 1785, il était fait chevalier de minorité de Saint-Jean-de-Jérusalem par le prince Emmanuel de Rohan.
À la Révolution, il émigra avec sa famille et sembla avoir prit part aux insurrections de l’Ouest.
Le 5 septembre 1804 (18 fructidor, An XII) il épousa à Vendôme, en l’église de la Madeleine(1), Catherine-Céleste Lemoine de la Godelinière née à Vendôme le 8 juin 1784, fille de Jacques Lemoine de la Godelinière, lieutenant-général criminel au bailliage de Vendôme et de Marie-Catherine-Françoise Haincque et qui lui donnera huit enfants (quatre garçons tous militaires et quatre filles) : Mathilde-Céleste-Marguerite, née en octobre 1806 et décédée le 10 janvier 1809 – Isabelle-Anne – Armande-Pauline – Fernand (titré comte de Beaumont) – Félix-Anne-Armand – Louis-Stanislas-Xavier – Théobald-Hyppolyte-Vendôme – Louise-Anna (née à Vendôme le 2 octobre 1818, religieuse).
Sous l’Empire, il fut maire de la commune Notre-Dame d’Oé (Indre-et-Loire) et lors de la Première Restauration, il obtint la sous-préfecture de Vendôme par ordonnance royale et dont il prit possession le 24 février 1815, poste qu’il quitta, à peine installé, le 20 mars suivant au retour de Napoléon à Paris (les 100 jours), pour enfin le reprendre à l’abdication de l’empereur, suite au retour de Louis XVIII et ce jusqu’en 1824.
Le 1er septembre 1824, il fut nommé préfet de l’Aude, puis successivement préfet des Hautes-Alpes, le 18 juillet 1827, préfet des Deux-Sèvres, le 3 mars 1828 et préfet d’Indre-et-Loire, en 1828 et 1829. Entre temps, il avait été député de la Dordogne et même nommé Conseiller d’État.
Enfin, il quitta l’Administration le 10 août 1830, après la Révolution de juillet et vécut dorénavant une paisible retraite à Vendôme qu’il affectionnait tant et durant laquelle, dit-on, «sa gracieuse urbanité et la pureté de ses sentiments politiques et religieux lui concilièrent l’estime et l’affection générale».
Vendômois de cœur
Marié à une Vendômoise, nommé quatrième sous-préfet de Vendôme, il n’en fallut pas plus à Armand de Beaumont pour chérir, de suite, la ville et ses concitoyens.
Tout d’abord, il se distingua par sa conduite ferme, noble et adroite, envers les Prussiens qui durant trois mois occupèrent son arrondissement (1815), méritant même l’estime de ces étrangers et la reconnaissance de ses administrés. Ces derniers, d’ailleurs, ne cesseront de conserver un véritable attachement à ce jeune magistrat – âgé alors de 33 ans – toujours fidèle et dévoué serviteur de la royauté. D’ailleurs, en 1816, Louis XVIII, pour services rendus, le nommait chevalier de la Légion d’Honneur.
Et c’est sans doute en témoignage de cet attachement et pour affirmer la reconnaissance de la population que le Conseil municipal de Vendôme demanda, par délibération en date du 30 juin 1816, au roi l’autorisation exceptionnelle de donner à son septième enfant, le nom de la ville. Car, c’est bien la ville qui proposa l’attribution du prénom Vendôme et non le père qui le demanda :
«…Considérant, en effet, que sous l’ancien régime les villes qui avaient à se louer de la bonne administration de leur premier magistrat ne négligeraient point de les inviter à ajouter aux prénoms de leurs enfants celui de la cité dans laquelle ils résidaient.
«Voulant donner à Monsieur le sous-préfet de cet arrondissement un gage de son estime et de sa satisfaction pour la conduite honorable qu’il a tenue dans les moments difficiles à l’époque du séjour des troupes prussiennes. Exprime le vœu que M de Beaumont veuille bien ajouter aux prénoms de son enfant celui de Vendôme. La présente délibération sera transmise à M le Préfet pour recevoir l’approbation de l’autorité supérieure…».
C’est ainsi que le garçon né le 20 août 1816, à Vendôme, allait s’appeler, avec l’accord du Roi : «Théobald-Hyppolyte-Vendôme-Marie de la Bonninière de Beaumont (2).
Sans doute, là encore, pour répondre à cette courtoise intention, le comte Armand de Beaumont, devait faire l’acquisition d’une partie des ruines du château des Bourbon-Vendôme, ainsi que certains terrains environnants, pour les offrir officiellement à la ville le 22 février 1820 afin d’en faire une agréable promenade publique.
Puis, comme il fut déjà dit, fidèle à son serment, il démissionna à l’avènement de la monarchie de juillet(3), et c’est à Vendôme qu’il prit sa retraite. Il habita, une grande maison toujours visible, rue du faubourg Saint-Bienheuré, au n° 73, nommée «le Trocadéro» en l’honneur de la victoire du duc d’Angoulême en Espagne et construite cette même année, en 1823.
Enfin, estimé de tous, Armand de Beaumont mourut le 9 décembre 1859 et fut inhumé, entouré par quelques uns des siens,(4) au cimetière de la Tuilerie.
Un geste des plus louables
Frappé par l’état déplorable du château, le comte de Beaumont jugea donc utile de le soustraire, une bonne fois pour toute, aux derniers démolisseurs. Ainsi, dès le 16 mars 1819, il acheta, de ses propres deniers, à Jeanne Proust, veuve Pasquier(5), pour 1524 livres, les tours, et murailles encore en place composant le front sud-est et sud de la forteresse, tout comme il acquit les fossés et terrains toujours «entre les mains de la venderesse» qui composaient alors la Montagne.
Mais afin de pouvoir les offrir à la ville, une ordonnance royale en date du 17 novembre 1819 autorisant le maire Josse-Boisbercy à accepter cette donation fut nécessaire. En voici la teneure :
…Sur le rapport de notre ministre secrétaire d’Etat au département de l’Intérieur, notre Conseil d’Etat, entendu, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Art. I : Le maire de la ville de Vendôme, département de Loir-et-Cher, est autorisé à accepter, au nom de la ville, l’offre de donation à elle faite par le sieur comte de Beaumont, de l’ancien château de Vendôme et de ses dépendances. Il sera passé acte public de la dite donation.
Art. II : Notre ministre secrétaire d’Etat de l’Intérieur est chargé de l’exécution de la présente ordonnance qui sera insérée au bulletin des lois.
Donné en notre château des Tuileries le 17 novembre de l’an de grâce mil huit cent dix-neuf et de notre règne le cinquième. Signé LOUIS.
Par le roi, le ministre secrétaire d’Etat du département de l’Intérieur, signé le comte DECAZE (6).
Trois mois auparavant, en août 1819, de Beaumont avait également envisagé la restauration partielle de la tour de Poitiers ; la dépense prévue s’élevait alors à 4 000 francs-or, payée moitié par le sous-préfet sur ses propres deniers, moitié par une aide financière. Hélas, aucune suite ne fut donnée et notre tour déjà passablement délabrée à l’époque, resta pratiquement en l’état jusqu’à nos jours.
Note (2) : Militaire, mort prématurément à l’âge de 22 ans, il fut inhumé au cimetière de la Tuilerie (voir ci-dessous note 4).
Note (3) : Pour la petite histoire, en 1838, le gouvernement de Louis-Philippe lui octroyait une pension de 3 232 francs.
Note (4) : Outre sa propre tombe, en un lieu clos par une grille, Armand de Beaumont est entouré de six autres sépultures (2e section, rangées A et B) : rang A : Théobald-Vendôme (son 4e fils, 7e enfant) – Céleste de Beaumont (son épouse) – Isabelle, (sa fille cadette) – rang B : Armand de Beaumont (notre sous-préfet) – Marie-Anne de la Godelinière (belle-sœur du défunt, sœur de Céleste) – Louis (son 3e fils, 6e enfant) – Charles de Geoffre de Chabrignac (son gendre, époux d’Isabelle, fille cadette). Une plaque en fonte sous forme d’un « de profondis » accompagne chacune des tombes.
Note (5) : Se reporter au Petit Vendômois, juin 2022, n° 390.
Note (6) : Ministre favori de Louis XVIII, né à Libourne en 1780, il fut élève au collège de Vendôme de 1790 à 1798… On rapporte « qu’il avait gardé un vif souvenir de son séjour à Vendôme et, en se rendant de Paris à Libourne, il ne manquait jamais de faire ralentir sa chaise de poste afin de mieux voir, en passant (rue du Change), le grand platane (planté en 1759) et de par cet arbre la silhouette du vieux collège… ».
Références bibliographiques :
- Étude sur la descendance du comte Armand de Beaumont, bibliothèque de la Société archéologique du Vendômois.
- Chanoine Henri Gaulandeau, Le comte Armand de Beaumont, sous-préfet de Vendôme de 1815 à 1824, Bulletin SAV, année 1959.
- Armand de Beaumont, Manuscrit 332, Fonds ancien de la bibliothèque de Vendôme.
Jean-Claude Pasquier, Le château de Vendôme, une histoire douce-amère, Éditions du Cherche-Lune Vendôme, 2000 et 2012. - Recherches et étude personnelles sur les hommes illustres du Vendômois.
Iconographie :