Une étrange Saint-Vincent en vallée du Loir
Roi ou reine, couronne de brioche portée sur un brancard, cérémonie du « Cousin », processions dans le village… La fête patronale des vignerons fait vivre une tradition très singulière à Poncé-sur-le-Loir. Un morceau d’anthologie !
Décalée de deux mois en raison du Covid, la Saint-Vincent a bien eu lieu cette année à Poncé commune déléguée de Loir-en-Vallée qui s’étire, en Sarthe, de Ruillé-sur-Loir à La Chapelle-Gaugain. Il était temps et le dauphin de 2020 – Jean de Malherbe – s’impatientait poliment de pouvoir monter sur son trône !
Car ici, chaque année, sont sacrés un roi ou… Une reine (depuis 2017, la première). Monarque qui adoube en même temps son dauphin ou sa dauphine, lequel ou laquelle aura la charge de préparer la fête de l’année suivante. Une responsabilité de taille, qui implique de tout prévoir, depuis l’annonce officielle autour du tonneau marqué de l’année, jusqu’au menu du banquet, aux vins qui seront servis, aux horaires des processions et de la messe, aux «retours» du dimanche, etc.
Saint «Vin-Sang» ?
Ces modalités pratiques ne sont rien, cependant, à côté du statut social qu’on acquiert à Poncé depuis des siècles, en devenant dauphin puis en étant «couronné». Difficile de trouver des archives ou souvenirs remontant au-delà des années 1920, période probable d’une «résurrection» de la tradition. Mais une chose est sûre : la marque royale provient bien d’une célébration née, sinon sous l’ancien régime ou la Restauration, à tout le moins d’une perpétuation volontaire de leurs symboles. Que celle-ci soit nostalgique ou de parodie est une autre affaire !
La fête mêle habilement, du reste, l’imagerie religieuse et laïque ayant trait au vin et aux derniers jours de la vie du Christ, tant il est probable que Vincent ait été choisi comme patron des vignerons en raison de l’association de vin et de sang qui évoque le repas de la Cène et, donc, l’Eucharistie. En procession le samedi matin(*), on gravit la ruelle du Tertre, très pentue, comme une image de la montée du Christ au mont Golgotha.
Le nouveau roi aidé d’un prédécesseur porte le tonnelet de vin, qui sera béni, sur un premier brancard. Un autre suit avec d’anciens rois également. Il est orné d’un drap blanc sur lequel s’amoncellent des dizaines de petites brioches, réductions de la fameuse «grigne», grande couronne que le boulanger du village se faisait jadis une fierté de façonner et de cuire. Celle-ci, en principe, arbore une croûte plissée, hérissée (signification de grigne en vieux français). Ce n’est pas une couronne à se mettre sur la tête en raison de son caractère sacré : elle aussi sera bénie lors de la messe et, du reste, il n’est pas impossible que ses épis dorés figurent les épines de la couronne du Christ !
«Le roi n’est pas son cousin»
En marge de la célébration dans la belle église de Poncé a lieu la photo de groupe des anciens et du nouveau roi, suivie d’une distribution des brioches à la population présente qui se trouve être facilement de cent-cinquante personnes ! A ce moment, la fête devient purement populaire. Une fanfare se joint à la foule pour l’emmener joyeusement dans le bas du bourg, sur la placette Saint-Julien où l’on peut danser avant le «Cousin».
Cette seconde étape de la Saint-Vincent de Poncé revêt un grand mystère quant à son intitulé. Il s’agit d’une première dégustation de vin mais pas n’importe laquelle : celle d’un vin blanc choisi et offert par le roi lui-même, si possible tiré de sa propre cave.
Deux hypothèses crédibles peuvent être avancées. Cousin est un mot contenu dans l’expression bien connue et très ancienne : «Le roi n’est pas son cousin», locution qui sous-entend que le roi de Poncé serait plus heureux que le vrai… Et puis une confrérie de Bourgogne (à Savigny-lès-Beaune) nous rappelle que «toujours, gentilshommes sont cousins», nommant ainsi les vignerons d’autres pays de vin et les célébrités qu’ils intronisent. Le comédien Jacques Bonnaffé qui vécut à Saint-Martin-des-Bois en fit partie. Cousin, ici, pourrait évoquer un temps de fraternisation autour d’un millésime partagé, peut-être inspiré du fait que les nobles de l’ancien régime nommaient ainsi ceux qui se trouvaient dans leurs bonnes grâces.
Au Cousin, quoi qu’il en soit, tout le monde peut se retrouver, Poncéens comme habitants venus d’ailleurs. On allait même jadis à la rencontre de l’étranger de passage : jusque dans les années 1970, il n’était pas rare d’arrêter les voitures dans la rue pour offrir à boire au conducteur ! De nos jours, l’invitation se fait plus simplement dans un lieu choisi par le roi qui peut-être sa maison ou sa cave, l’important étant d’accueillir tout le monde.
Une fois le Cousin célébré sur un répertoire qui mêle les chansons locales et nationales, la suite est plus banale : tournée des caves d’anciens rois, banquet du soir, «retour» du dimanche midi et soupe à l’oignon pour les plus coriaces à la nuit tombante. Les effectifs diminuent progressivement d’une centaine à la moitié, ce qui n’empêche pas le bruit joyeux de se faire à chaque toast porté, souvent en chansons, souvent porté par le roi lui-même.
Parce que… «Depuis ce matin, à Poncé, nous chantons… dit le premier vers d’un des morceaux du répertoire.
Henri Boillot