La fée du papier habite près de la forêt
Passionnée par la transformation artisanale de la pâte en feuilles, Nadia Gypteau en fait, comme par magie, des œuvres uniques. La seule papetière de la région aime aussi transmettre son savoir-faire.
Entre l’écriture et le support papier, il n’y a qu’une plume. Celle de Nadia Gypteau est si légère qu’elle imagine de belles histoires pour les enfants, publiées entre autres par Flammarion dans sa mythique collection du Père Castor. Le singe et l’épi de maïs, inspiré d’un conte ancestral de la forêt amazonienne, a été retenu, par exemple, pour trois éditions différentes.
Des stagiaires venu(e)s de loin
Mais la forêt de Nadia, aujourd’hui, c’est celle de Bercé tout près de laquelle elle vit. «J’y trouve mon inspiration et le calme à la fois. Je ne me lasse jamais, quelle que soit la saison» assure-t-elle. C’est, évidemment la proximité des grands arbres et l’environnement vallonné de sa maison à Chahaignes qui lui ont donné l’envie de faire du papier végétal. «Par définition, le papier est fait de fibres de bois ou de chiffon naturel… En faire avec celles des plantes n’est pas si différent !»
Ses stagiaires viennent parfois de l’autre bout de la France pour s’initier. Ils apprécient d’herboriser sur les talus et en lisière des bois pour trouver feuilles, tiges et pétales à leur idée. A La Petite Fabrique de papier (c’est son nom), on regarde, on imagine et on crée par soi-même. Nadia montre les gestes essentiels, fait mettre les mains à la pâte puis, comme une amie complice, se fait plus discrète, prête à aider chacun. En matière de papier végétal, les inclusions de feuilles ou de fleurs forment autant de petits tableaux, tout plein de poésie.
«Ça m’a beaucoup plus d’aller glaner ici et là et d’inventer ce que je pourrais faire de ma cueillette» assure Hélène Vidgrain, artiste anciennement installée à Villedieu. «Je me suis régalée et, en même temps, rendu compte qu’on ne peut faire tout ça qu’avec un professionnel.» De Lille, de Nantes, de Limoges, des Vosges ou de la région parisienne, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à suivre ces stages. Le Vendômois et la vallée du Loir apportent aussi leur lot de participants, trop contents de trouver à leur porte l’une des seules papetières du grand ouest.
«Larme de papetier»
Aménagé sur le site d’une ancienne petite minoterie alimentée par le ruisseau, l’atelier de Nadia baigne dans l’environnement sonore de la chute d’eau et des chants d’oiseaux. Si l’artisanat qu’elle pratique confère à l’art, elle ne s’en est pas moins équipée d’une pile hollandaise d’occasion pour broyer les papiers recyclés et brasser la pâte. «Un outil indispensable qui a longtemps servi au Moulin de Sainte-Suzanne en Mayenne ; il me permet d’avoir de plus grandes quantités à la fois.»
Dans ce lieu bucolique, la papetière égrène les étapes de la fabrication. Elle plonge la forme dans la cuve à pleines mains, ôte la couverte du dessus du tamis, couche la feuille sur la feutrine, presse, fait sécher sur l’étendoir, réalise des gaufrages… Et la fameuse larme de papetier ? «Une goutte d’eau qui s’écrase sur la feuille déjà formée, elle forme un petit cratère et en fait quelque chose d’unique et involontaire !»
Pas de papier sans couleurs. Les plantes tinctoriales ou les épices apportent toute satisfaction à Nadia. Pour le bleu, l’indigo et le pastel des teinturiers ; pour le rouge, la garance des teinturiers ; pour le jaune, le curcuma, etc. Logique quand il s’agit de teindre des œuvres de papier végétal, où l’ortie, la fane de carotte, l’iris et la jonquille, la pelure d’oignon fournissent des fibres très variées. Pleine d’idées, la papetière se renouvelle sans cesse, créant des luminaires transparents, des suspensions qui s’accrochent aux fenêtres, une robe de mariée en papier de lin et de chanvre («L’Effeuillée»), un livre-objet en papier de thé…
«En plus du côté artistique, c’est aussi un moyen très efficace de se faire du bien, de faire le calme en soi.» conclut Nadia.
Hervé Vaupuy