Regard posé en VendômoisActualitésÉconomie et société

Lettre à France de «Monsieur Paul»

Il a traversé mers et océans, de l’Asie à l’Europe. La France est devenue son pays et le français sa langue. A Vendôme, «Monsieur Paul» enseigne le chinois bénévolement, comme une reconnaissance à sa terre d’accueil. Portrait chinois d’un érudit du Vendômois.

Paul On et sa famille ont fui le Cambodge dans les années 1970, sous la dictature de Pol Pot. Échapper au régime sanguinaire des Khmers rouges et appareiller vers un autre destin, quitter l’un des pays les plus pauvres à l’époque pour aspirer enfin à une autre destinée économique. L’itinéraire d’un enfant d’Indochine, d’origine chinoise, abandonnant le Lycée français de Phnom Penh où il a fait sa scolarité, avec au cœur le souvenir de son professeur qui le qualifiait «d’élève très spécial», marqué à jamais par Le Cid et Andromaque. Car sa passion pour la langue française peut confiner à l’obsession d’en maîtriser les subtilités et les mécanismes. Qu’il démonte et remonte comme un horloger.

Posé à Vendôme depuis 1988, «Monsieur Paul», de son prénom francisé au Lycée français, jongle avec les préfixes, les suffixes et les radicaux. S’amuse du mode subjonctif et du conditionnel. Cite Lamartine et Victor Hugo. Tombe d’admiration pour l’avant-gardiste George Sand.

«La subtilité de la langue française, sa finesse, son vocabulaire, le jeu de la concordance des temps, la conjugaison me passionnent.»

«Les verbes ne se conjuguent pas»

Et l’hérédité francophile a fait son œuvre. Pas de hasard si sa fille se prénomme Françoise. Ancienne journaliste sur la chaîne francophone de télévision chinoise CCTV 4, elle officie aujourd’hui à l’ambassade de France à Pékin.

Mais, Paul veut renvoyer l’ascenseur des mots : «La France m’a accueilli, je me dois de transmettre à mon tour.»

En parallèle de ses activités de restaurateur, pêle-mêlant avec bonheur cuisines chinoise, thaïlandaise et vietnamienne, Paul prend de son temps pour transmettre sa langue natale aux Vendômois. Chaque semaine, une dizaine d’élèves, de 9 à 62 ans, se pressent pour assister au cours de chinois qu’il dispense bénévolement. «Les gens imaginent que c’est une langue particulièrement difficile. Pourtant, les verbes ne se conjuguent pas, ils restent à l’infinitif. Pas de notion de conditionnel, par exemple, un “si” antéposé suffit à définir le mode. Ce qui me fait dire que la langue chinoise n’est pas difficile à apprendre.» Et de s’interroger encore et encore sur la complexité du français :

«Pourquoi la fourmi n’a-t-elle pas de masculin, le lion a bien sa lionne ?»

Dans quelques années sonnera l’heure de la retraite. Et un projet d’écriture se dessine, un livre d’apprentissage de la langue chinoise où il compte bien démontrer qu’elle est plus accessible qu’on ne le croit. L’élève du Cambodge est devenu un maître.

Jean-Michel Véry

Journaliste à Politis, à Europe 1, au Petit Vendomois, rédacteur "tourisme" à Néoplanète, pigiste au Figaro et à l'Optimun.

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page