« L’Homme au tracteur »
L’histoire commence en 1937 avec la mise en scène d’Yves Le Borgne et se termine vers 1967 avec l’évocation de ses deux fils. À travers ces «travailleurs de la terre» de Kerminig, un hameau situé «quelque part en Bretagne», dans la région de Locarn, non loin de Carhaix, nous vivons une trentaine d’années de mutation économique et sociale. Son service militaire terminé, Yves se marie à vingt-trois ans avec Fine, fille de fermiers fiers de leurs conditions. Le jeune époux doit laisser sa femme enceinte pour combattre six longues années, au cours desquelles il subit le sort de «prisonnier de guerre». La paix revenue, le jeune couple force l’admiration de l’entourage par leur détermination à exploiter au mieux la ferme familiale. Pour améliorer les rendements, Yves se laisse tenter par l’achat d’un tracteur de haute performance, un Pony Massey Harris 812. Avec sa femme, leurs trois enfants et sa belle-mère, non seulement ils mangent à leur faim mais ils peuvent bénéficier de conditions de vie plus confortables.
Mais l’arrivée du rotovateur et d’autres engins plus puissants, mieux adaptés à la diversification que son vieux tracteur, oblige Yves Le Borgne à abandonner le travail de la terre et à se faire embaucher comme ouvrier spécialisé dans «l’usine de petits pois». La fin des Trente Glorieuses pousse ses congénères et les jeunes à l’exode. Les fils de l’homme au tracteur reviendront tels de «nouveaux étrangers en leur village d’origine» et ne pourront plus entrer dans la ferme familiale transformée en maison blanche habitée par une famille anglaise.
L’auteur réussit à capter l’intérêt du lecteur tout au long des ces 316 pages par la variété des tons adoptés, par la richesse des précisions ethnographiques et des réminiscences d’un passé qui nous reste proche. Il parvient à nous faire participer aux travaux agricoles, notamment lors de la moisson et la fenaison, grâce à des détails techniques instructifs. Nous vivons avec les personnages les principaux événements de leur existence, tels l’accouchement à domicile ou les obsèques, avec les rituels de l’époque, mais aussi avec l’évocation d’émotions qui demeurent universelles. La flore est également omniprésente. «L’Homme au tracteur» s’avère donc singulier, tant sur le plan de la forme que du fond, nous remettant en mémoire toute une époque de notre proche passé, avec une certaine nostalgie teintée.
Annick Le Bourlot