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Marion des chênes, amour secret de Ronsard

Un roman de Henri Boillot

Qui est cette jeune fille à l’âge “verdelet” que Ronsard décrit à son nouvel ami Jacques Peletier dans le poème “Des beautés qu’il voudrait en s’amie ?” Ce n’est pas Cassandre : il ne l’a pas encore rencontrée…

Ce roman, inspiré d’un épisode de la vie du poète en compagnie de Joachim Du Bellay, nous conte un premier amour au terme d’un voyage initiatique.

(suite du chapitre III : Où l’on visite le nouveau château de Ponsay)

Arrivent plusieurs plats de légumes de saison ou conservés depuis l’automne – courges rissolées, fèves et pois – ainsi que des petites pièces de pâte bouillie qui accompagneront quelques carpes prises dans la douve et leur sauce à la crème. Des œufs durs sont également présentés, assaisonnés à la purée d’olive de Provence.

Pierre et Joachim goûtent fort ce repas de carême qui fait aisément oublier la viande. Ils n’ont qu’un geste à faire pour qu’un serviteur remplisse leur gobelet d’un vin blanc de Ruillé au goût marqué de silex. En claquant sa langue, Pierre poursuit la conversation entamée :

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– Les jardins que nous avons aperçus seront-ils bientôt terminés ? Allez-vous les prolonger jusqu’au Loir ?

– En effet, c’est mon vœu le plus cher. Mais les jardiniers ne vont pas assez vite à mon goût et, surtout, l’hiver a été rude, la terre trop souvent gelée. Nous avons déjà creusé la douve et les canaux pour joindre directement la rivière. Quant aux carreaux de plantes d’apothicaire et d’herbes aromatiques, ils seront bientôt semés et plantés. Mon épouse a choisi des couleurs bien particulières à chaque saison.

– Il me semble que vous avez dû gagner sur le coteau pour étendre ces jardins au levant ? demande Joachim à son tour.

Leur hôte se cale sur sa chaise et se rengorge, visiblement satisfait que son château suscite autant la curiosité.

– Mais oui, bien observé ! Je voudrais bâtir un mur assez long pour faire terrasse et jouir ainsi de la vue. Plus tard, peut-être, je planterai quelques arbres exotiques comme ceux que tente d’acclimater Belon au retour de ses expéditions…

– Belon ?

– Pierre Belon. Un jeune savant dont les recherches sont passionnantes. Il est né dans le Maine mais n’a cessé de voyager. Il est aujourd’hui très en cour chez notre évêque qui lui prête sa terre de Touvoie pour planter tout ce qu’il veut (le curé opine du bonnet). Ainsi les plantes étrangères qu’il rapporte peuvent-elles s’essayer à l’air du pays. L’un des arbres les plus curieux semble n’avoir pour écorce qu’une simple peau tachetée, verdâtre et blanche qui se renouvelle en été. On le nomme en français «platane», j’avoue que j’en verrais bien un profiter dans le bout de ces jardins. Belon dit qu’il peut croître et vivre jusqu’à mille ans et faire des branches grosses comme des troncs !

Le repas distille ainsi ses plaisirs de bouche – mets et conversations – jusqu’à ce que l’abbé reparte à sa cure, un peu honteux d’avoir été heureux à table un vendredi du Saint Carême. Le seigneur de Ponsay et les deux cousins poursuivent la discussion. Le vin va de la cruche aux gobelets, puis descend au gosier. Monsieur de Chambray cligne de l’œil et se penche, tel un complice, vers ses deux invités.

– Je peux vous le dire à présent : il y a jardins et «jardins» (il appuie la seconde prononciation). Le plus aisé à voir est un tout de prés carrés, de massifs ordonnés, de couleurs bien à plat sous les fenêtres. Mais ce qui se cache et prend l’ombre sous l’épais feuillage est bien plus doux à l’esprit et au corps. Les jardins ne sont plus ceux de nos légumes ! Entre prairie et forêt, il y a les galeries de verdure et les bouquets d’arbres pour abriter ce que le château ne peut cacher à mon aise. Il vous faudra revenir en été, jeunes gens, pour comprendre de quoi je parle  ! Les fêtes que je donne attirent ici toutes sortes de jolies dames et de fillettes très curieuses de cette nouvelle façon de jardins. Venez les leur faire visiter !

Pierre et Joachim ouvrent grand leurs yeux et se regardent, interloqués, avant d’éclater de rire. Ni l’un ni l’autre n’avait pressenti une telle paillardise chez leur hôte. Derrière ce discours sans ambages, ils devinent l’existence d’une mode italienne de l’usage des jardins, dont les délices semblent sans détour. Ronsard, déjà, voit revenir l’image des «belles lèvres vermeilles», des «petits tétins» et des «hanches charnues» d’une Grâce peu farouche assise sur un banc de pierre tiédi par le soleil. Il ferme les yeux en vidant son verre de vin clairet. Le souple liquide descend en lui jusqu’au ventre.

IV – La cité des poètes

Où l’on rencontre le peintre et poète Nicolas Denizot et une mystérieuse jeune femme…

En sortant de l’évêché, Jacques se heurte à la foule déjà curieuse du décorum qu’on apporte en l’église cathédrale pour les obsèques. Depuis le 23 janvier où l’on donna une grande messe de Requiem en son honneur, les Manceaux savent qu’on enterrera chez eux le seigneur de Langey. La date a été plusieurs fois reculée pour permettre à la grande famille Du Bellay de prendre ses dispositions, tout comme la noblesse qui vient de loin. A présent, les allées et venues des petits sacristains et des serviteurs sont incessantes. Ils apportent fauteuils et banquettes pour les prélats, tentures de deuil, branches d’aubépine ou de prunus à peine fleuries que rejoindront les narcisses des prés dans leurs vases, rameaux de buis et de lauriers qui prennent un peu d’avance sur le jour des Rameaux. Tout cela donnera au chœur gothique son aspect des grands jours.

Le secrétaire épiscopal verra tout cela plus tard. Pour l’heure, il profite du temps de repos que prend Son Excellence pour courir au vent frais, un rouleau de papier bien serré dans la main. Il traverse la place du cloître Saint-Michel et rejoint la grand’ rue bordée de belles maisons à étages. Il aime celle de Jean de l’Espine, surtout, qu’il a vu bâtir étant enfant ; sa façade est une véritable broderie de reliefs sculptés dans la pierre blanche. Symboles et animaux s’y mêlent autour d’un cercle dans lequel on croit reconnaître Adam et Eve. Mais Jacques connaît le véritable sujet du sculpteur. Son père le lui a dit un jour en revenant d’une visite chez lui : c’est une allégorie de la vie et de la connaissance ! Jean de l’Espine est un humaniste. Il a voulu montrer Bacchus faisant jaillir la source de vin du globe terrestre sous les yeux d’Ariane. Depuis, Jacques a appris que la couronne de diamants de la déesse figure une constellation.

Hâtant le pas, il rejoint le pilier vert, à l’angle de la ruelle de l’Écrevisse. C’est là que se tient la plus vieille librairie du Mans, ouverte à la fin du siècle dernier. Jacques y a donné rendez-vous à son ami Denizot, poète comme lui, mais surtout peintre, dont le talent est apprécié des notables de la ville. Poussant la porte dont le grelot s’anime, il salue le libraire et le jeune homme d’une accolade à chacun.

– Oh Nicolas ! Déjà là… Tu ne t’es pas perdu sur la toile ce matin ?

– Comme tu vois, pas du tout, je n’ai pas peint d’ailleurs, j’ai la tête encombrée.

à suivre…

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