Comment filmer la maltraitance ordinaire ?
Le Montoirien et réalisateur Pierre Mobèche, avec son association Valoris’Action, bien connu dans le monde du handicap, vient de terminer un projet pour la mutuelle AG2R La Mondiale, une série de cinq courts métrages sur le thème de «Comment lutter contre la maltraitance ordinaire ?» filmés à l’Hospitalet à Montoire. L’un d’eux «La disparition d’Anna» a été sélectionné pour le Festival Regards Croisés les 6 et 7 novembre à Saint Malo (35).
Au tout départ de cette nouvelle aventure de Pierre Mobèche qui connait bien le festival pour avoir remporté par 3 fois le grand prix du jury pour ses films, il y a la mutuelle AG2R La Mondiale. En effet, elle cherchait par ces films à sensibiliser lors de formations, les professionnels de santé sur la maltraitance ordinaire, ce sentiment que le patient dans un établissement ressent d’être un peu abandonné, mal ou pas renseigné et d’avoir été insuffisamment écouté, un sentiment que l’on a tous vécu. «Ces courts métrages ont tous été réalisés en collaboration avec les résidents de l’Hospitalet, répartis en amont en groupes de travail sur le thème « C’est quoi la maltraitance ?», car on ne désirait pas uniquement un point de vue de «sachant» qu’ont parfois les institutions» détaille le réalisateur.
[Sa parole est uniquement son regard]
De ces groupes de réflexion gérés exclusivement par l’établissement de santé sans que Pierre intervienne, cinq thèmes ont été retenus comme les mauvais gestes, les mauvaises paroles ou l’intimité. Le réalisateur se plonge, à partir de ces exemples concrets, dans l’écriture des scénarios qui, après quelques corrections, sont acceptés. A l’exemple du film de 6mn «La disparition d’Anna», retenu au Festival Regards Croisés et tourné en une seule journée, Anna de son vrai prénom Magaly, est une patiente sur son fauteuil roulant qui ne parle pas, sa parole est uniquement son regard. «En réalité, Magaly parle très peu malgré des capacités intellectuelles. Dans le film, c’est quelqu’un qui est maltraité, pas physiquement bien sûr mais juste parce que l’on ne fait pas attention à elle. Il y a une scène par exemple où les aides-soignantes parlent de leurs vacances sans faire attention à elle qui est sur les toilettes. On s’aperçoit que les gestes des professionnels de santé sont plus que mécaniques. Ce n’est pas volontaire, ce sont de petites choses, pas de grande maltraitance, mais mis bout à bout, c’est pesant» explique Pierre Mobèche. La disparition d’Anna, ce n’est pas une disparition physique, aucun inspecteur de police pour enquêter mais une disparition progressive de sa personnalité, son individualité, Anna devient peu à peu comme un objet. Un film miroir pour les professionnels pour qu’ils puissent, à travers ces images, prendre du recul.
[Si ce film a été retenu, c’est grâce à sa prestation]
Au Festival Regards Croisés en ce début novembre, Anna sera présente avec Pierre Mobèche également dans le lieu emblématique du Palais du Grand Large à Saint Malo, face à la mer. « Le film c’est bien évidemment, mais ce sont ces moments qui vont être magiques. En fauteuil roulant, il n’est pas simple de se déplacer jusque là-bas, ce sera une véritable aventure individuelle pour elle. L’attention des spectateurs, en tant qu’actrice, sera portée sur elle, elle va recevoir beaucoup d’amour et si ce film a été retenu c’est réellement grâce à sa prestation. Elle sera également accompagnée de la personne qui joue le rôle de l’aide-soignante, fraîchement à la retraite et de personnels volontaires de l’Hospitalet ». Pierre Mobèche ne se déplace pas pour le prix mais pour l’ambiance et voir Magaly vivre ces moments fantastiques. «Ce sont toujours des beaux souvenirs surtout quand tu arrives à faire réfléchir les gens à travers des images et un scénario, quand tu les touches au plus profond d’eux-mêmes» conclut le réalisateur. La magie du cinéma.