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Les croisades du père Labbé

A Vendôme, il est connu comme le loup blanc ou comme la bête noire, c’est selon. Logement, banque, consommation, bénévole à l’UFC-Que choisir, Éric Labbé est sur tous les fronts. Portrait d’un engagé ou enragé.

A 61 ans, il porte bien. Le verbe haut et le regard franc. Le bonhomme est depuis janvier à la retraite, mais pas en retraite. Rien d’un religieux, à part son patronyme, Labbé, et sa profession de foi : la défense du bon droit des consommateurs, des locataires et des plus faibles.
Né à Vendôme, de parents originaires de Rahart et Busloup, il y fera sa scolarité. Dernier, «comme à l’école», d’une fratrie de 6 enfants, issu d’un milieu modeste, il revendique avec malice son «bac moins 3», soit un B.E.P.C. qui le conduira, dès 16 ans, tout droit à l’usine. Chez Magniez, à Vendôme, spécialisé dans la galvanoplastie et le zingage. D’abord embauché en qualité de «petites mains bureau», la direction, perplexe (à tort, on le verra plus tard) quant à ses qualités de gestionnaire administratif, l’expédie rapidement sur la chaîne de fabrication. Ça sera son premier bain dans le monde de l’entreprise. Et ça reste pour lui un très bon souvenir : «Mes rapports avec les ouvriers étaient excellents.»

Début 1970, malgré ses déboires d’employé de bureau chez Magniez, il intègre «brillamment» l’agence du Crédit Mutuel de Vendôme, à l’époque rue Poterie. Malgré une scolarité en dilettante, il passe avec brio l’examen d’entrée à la banque, constitué d’une dictée et d’un calcul (ô temps béni !), dispensé par le directeur de la Fédération, venu tout spécialement de Châteaudun pour l’occasion. Premier pied de nez, pour une collaboration qui durera vingt ans.

«Un travail alimentaire, qui ne me rendait pas heureux, à ce moment-là, j’avais plus envie de faire la foire avec les copains et de jouer au foot !»

Des coups à boire à la sortie des entraînements aux nuits blanches avant les matchs, un penchant pour la fête et l’amitié qu’il entretiendra au fil des ans. A la banque, il s’ennuie et lutte déjà pour les conditions de travail des salariés ou sur la répartition des primes. Au grand dam de la direction.

«Le métier de banquier, c’est de voler les clients. Moi, ce qui m’intéressait, c’était d’apporter un vrai service.»

Il n’y va pas avec le dos du bénitier. En 1990, à 37 ans, après avoir passé un CAP de banque en interne, il fait un bras d’honneur au Crédit Mutuel, négocie un départ contractuel et s’enfuit avec un petit capital. La messe est dite. Sorte de braquage institutionnel.

«Marchand de cuites» et conseiller municipal

L’avenir s’ouvre enfin et, après quelques mois d’oisiveté revendiquée et de réflexion sur son devenir, il enchaîne les projets et les métiers. Une vie de marin : patron de bar à Savigny-sur-Braye, «marchand de cuites», initiateur d’un festival rock, ouvrier agricole, chauffeur-livreur, directeur de publication, vendeur de magazines anciens, correspondant à la Nouvelle République… il sera même conseiller municipal sur la liste de Daniel Chanet, en 1989. Il en démissionnera au bout de 3 ans. Réfractaire à l’institution, pas formaté pour un modèle de société ou hiérarchie et hypocrisie sont les matrices de la sociabilité…

«C’est toujours et encore la discipline qui me gêne.»

En 2005, tombe le temps de l’engagement. Il sera à l’origine de la création de l’antenne vendômoise de l’association UFC-Que choisir ? D’abord administrateur et trésorier-adjoint, il enfilera plus tard le simple statut de bénévole, loin des querelles intestines qu’il méprise avec superbe et qu’il appréhende avec dédain. Et son combat se prolonge dans ses activités d’administrateur pour les locataires au sein de 3F-Jacques Gabriel, le bailleur social qu’il va bousculer fortement au fil de ses investigations sur les charges et sur le mode de fonctionnement du bailleur HLM, qui avait refusé pendant près d’un an de présenter des justificatifs de charges aux locataires. Exigeant des réponses sur la répartition des charges ou sur leur montant, devant l’inertie de Jacques-Gabriel, il se paiera même le culot d’une assignation à titre individuel et remportera son procès. Porter plus loin ses combats, le bonhomme le fera aussi sur le blog de Mediapart ou sur des sites d’infos alternatifs.

Aujourd’hui, un autre dossier s’ouvre pour lui, la fusion de Jacques Gabriel avec IVL, un autre bailleur, le prive de son statut de représentant des locataires (voir encadré). Importe peu. Entêté, procédurier, rebelle, révolté, énervé, militant mâtiné de provocateur, il entame un chantier à la mesure de ses engagements et le fait savoir. C’est que dans ses années d’investigations et de luttes contre les abus pratiqués au détriment des locataires les moins informés, Éric Labbé s’est constitué un solide bagage de connaissances juridiques, qu’il compte bien faire valoir à la nouvelle fusion qui gère désormais le parc social.

«Je quitte mes fonctions d’administrateur contraint et forcé, mais j’envisage, du fait de la nouvelle législation, des actions de groupe en direct avec les locataires.»

Le bailleur est prévenu. Il va y avoir du sang sur les murs.

Affaire en cours

Le rapprochement, le 30 juin dernier, des bailleurs Jacques-Gabriel et Immobilière Val-de-Loire (IVL) a donné naissance à un gros bébé, pesant 11 500 logements sur la balance HLM.
Mais le mariage a entraîné quelques dégâts collatéraux, puisque les représentants des locataires de Jacques-Gabriel ont dû boucler leurs valises.
Pourtant, les locataires de «feu» Jacques-Gabriel ont voté pour leurs représentants le 4 décembre 2014, pour une durée de 4 ans, sans aucune information préalable sur une prochaine fusion, enclenchée pourtant depuis de nombreux mois.
Ces mêmes représentants de locataires avaient recueilli plus de 800 voix, mais ont cependant été éjectés au profit des trois représentants d’IVL, qui, eux, ont seulement engrangé 288 voix.

Jean-Michel Véry

Journaliste à Politis, à Europe 1, au Petit Vendomois, rédacteur "tourisme" à Néoplanète, pigiste au Figaro et à l'Optimun.

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