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Marion des chênes, amour secret de Ronsard

(Suite du chapitre XII : Où se préfigure peut-être une première « brigade »)

«Tu coucheras ici, dans l’atelier», lui ordonna Denizot, trop content de le garder pour lui. «Et toi, Jacques, ne peux-tu cacher l’Angevin dans un recoin de ton palais épiscopal pour une nuit ?»

L’affaire fut conclue et les deux couples de garçons se séparèrent, ayant avalé la soupe épaisse et chaude d’un porteur de rue.

XIII – Une nymphe vendômoise

Où Pierre vit un rêve éveillé…

Des bruits de pas ont retenti dans la petite cour sur laquelle la nuit est tombée. Pierre et Nicolas ont d’abord pensé que c’étaient les autres qui revenaient sur leurs pas, car quelques minutes seulement ont passé depuis leur départ. Puis on a marché tout près et l’on s’est éloigné. «Je vais voir», dit Pierre, laissant le peintre faire un peu de rangement dans l’atelier. Il ne voit rien, n’entend rien, et s’avance alors jusqu’au bout du petit passage. Une main l’agrippe soudain, le tenant fermement. La voix est jeune :

– La bonne aventure, monsieur… Je vous dis la bonne aventure ? S’il vous plaît monseigneur, je vois beaucoup de bonnes choses pour les heures et les jours qui viennent !

Ronsard a rapidement repris ses esprits. Il a d’abord tenté de se dégager puis, tirant la bohémienne dans la vague lueur de la rue, il s’est ravisé, observant qu’elle n’avait pas l’air méchant et, même, qu’elle semble une femme bien faite. Elle retourne brusquement son poignet pour observer sa main droite. Mais que pourrait-elle voir  ?

– Je sais que tu fais des vers et que tu aimes déjà, lance-t-elle – et l’attirant plus près encore-, il me faut entrer chez toi pour lire tes lignes à la chandelle. Il fait trop noir ici !

À ce moment, Pierre ne sait pas encore pourquoi il est si troublé, même si la voix jeune et claire lui rappelle vaguement quelqu’un. En approchant son visage de celui de la diseuse qui porte un foulard, il a bien remarqué ses yeux de braise ; mais toutes les bohémiennes ont le feu en elle ! Est-ce l’odeur, alors ? Elle sent plutôt bon justement, quelque chose qui rappelle les roses, sans, toutefois, atténuer ce petit parfum naturel de femme, indescriptible. Il a du mal à comprendre ce qui lui arrive  : une inconnue lui prend les mains, une bohémienne qu’il lui suffirait de chasser d’un mot et, pourtant, il ne bouge pas, écoutant d’étranges sensations monter en lui. «Viens ! répète-t-elle, emmène-moi jusqu’à ton logis ! »

Embarrassé, Ronsard s’apprête à tout expliquer à Nicolas qui vient de transformer l’atelier en chambre à coucher. Mais il est poussé vers l’intérieur par celle qui d’un geste, arrache son foulard en éclatant de rire. «Là, tu vois, c’est moi, n’aie pas peur, je voulais tant te retrouver aujourd’hui !» dit-elle en plaquant ses mains fines sur ses joues.

La ravisseuse est devenue la ravissante. Pierre ferme les yeux et, d’emblée, revoit la grande allée bordée d’arbres, le château dans l’obscurité, la belle à sa fenêtre. Il frémit, il revoit… Marion des chênes !

La fausse bohémienne parle comme si Nicolas n’existait pas, elle n’a pas même jeté un œil sur le portrait de son amie Anne dont la peinture est encore fraîche. L’artiste commence à comprendre et improvise, beau joueur : «Je vais dormir chez le libraire, j’ai à travailler tôt demain avec lui sur une gravure» prétexte-t-il, sans pouvoir cacher cependant sa surprise, teintée d’admiration.En un instant, Pierre a retrouvé tout l’émoi ressenti lors de son passage à la Chesnuère. Ses membres se sont échauffés, tandis que dans ses veines coule un autre vin que celui du cabaret. Les battements de son cœur lui rappellent le galop du cheval et l’entraînent vers une destination encore inconnue. Il pense à ce que lui disait Joachim de l’amour sur le chemin entre La Flotte et Poncé. Il voudrait prendre une décision mais c’est encore Marion qui le tire vers le lit, le renverse sur la couette de plumes d’oie avant de le recouvrir de son propre corps. « Laisse-toi faire… Je veux te punir d’être parti samedi sans rien me promettre ! »

Elle commence doucement, pourtant, lui ôtant ses vêtements sans rien arracher, alternant caresses et baisers aux endroits qu’elle dénude. Puis elle se relève, souffle deux chandelles sur trois et se dévêtit à son tour, de quelques gestes rapides et précis que Pierre trouve à peine le temps de détailler comme il l’aurait aimé. Tandis qu’elle s’approche du lit, cependant, il contemple ses jambes, la taille gracieuse, cette poitrine d’un blanc de neige, la chevelure qui baigne ses épaules. Bien sûr, il rêve, bien sûr il va se réveiller !

Le rêve, pourtant, sent délicieusement l’eau de rose et le petit musc du désir… Y a-t-il des rêves odorants ? Et puis il le baise sur les lèvres – les rêves ont-ils une si jolie bouche ? C’est un baiser d’abord très léger, qu’un chaud pétale vient ensuite traverser, aventureux, chaud, humide. Les sens du poète lui ont fait perdre ses rimes et peut-être la raison, pas un seul pouce de son corps ne leur échappe. Plus question de se laisser faire ! décide-t-il en tentant de prendre le dessus. Mais Marion renforce sa pression pour le faire tenir tranquille ; ses yeux dans les siens, elle semble une des nymphes qui peuplent ses songes vendômois. Puis, sans mot dire, elle noie la poitrine et le ventre de Pierre de sa chevelure sauvage…

Ensuite ? Ensuite ils se sont aimés. Le cliquetis des bracelets dorés de la bohémienne accompagnait leurs soupirs, leurs souffles, leurs cris. Elle lui en voulait, c’était vrai, de ne rien avoir tenté pour lui faire savoir ses sentiments. Et, dans son ardeur à l’étreindre, elle mettait plus de violence qu’on est en mesure d’en attendre dans une telle situation. Ses griffes, surtout, laissèrent à Pierre un cuisant souvenir de cette nuit-là. En comptant les marques, il se rappela combien de fois ils s’étaient aimés. Au petit matin, épuisés, le poète et sa diseuse reprirent doucement conscience, tout comme, doucement, ils l’avaient perdue la veille.

– Pourquoi ce déguisement de bohémienne ? questionna-t-il alors.

Marion recoiffait ses cheveux et lui répondit d’un air évasif.

– Oh… Sans doute parce que je voulais être une autre ou bien… T’approcher plus facilement à la nuit ? Ces vêtements, je les ai achetés à une vraie diseuse.

Partagé entre le souvenir encore très vif de l’excitation physique et l’émotion amoureuse qui ne l’avait pas quitté depuis la soirée de la Chesnuère, Ronsard ne sut quoi penser de cette réponse. «Elle semble bien folâtre, et même volage, songea-t-il soudain… La bonne aventure, c’est elle qui la cherchait  ! Mais cela est de son âge, après tout ». En même temps, ses yeux ne pouvaient se détacher du merveilleux spectacle de la belle revêtant de nouveau ses frusques de bohémienne, prête à repartir au bois telle une biche sauvage. Elle bougeait avec grâce, donnant à chaque geste une allure d’invitation. Elle était, plus que la veille encore, appétissante depuis ses petits pieds jusqu’au vermeil de ses joues. Le désir le reprit avec force et, se levant vers Marion, il fit valoir la vigueur de son jeune âge.

***

à suivre

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