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Marion des chênes, amour secret de Ronsard

Un roman de Henri Boillot

(Suite du chapitre VII : Où Ronsard tombe amoureux d’un seul regard et se fait dire un poème de François 1ᵉʳ)

Ronsard, surtout, ne peut parler. Il laisse à son frère de route les politesses de présentation, les compliments au père ; il ne quitte plus les yeux de Marion. Son gobelet de vin odorant de cannelle et de girofle s’est empli une seconde fois bien à propos : il le vide d’un trait, ne sachant plus quoi – du feu, de l’alcool ou de l’apparition – réchauffe l’intérieur de son corps.

* * *

De son côté, Marion jubile intérieurement. Pierre était bien celui qu’elle pensait. Le jeune homme lui rappelle le militaire qui l’approcha l’été dernier lors d’un déplacement avec son père à Vendôme. Un premier prétendant qui l’avait attirée par son regard autant que par ses mots, et dont le feu en elle est à peine éteint. Elle s’est assise à l’invitation de son père sur une petite chaise à tenailles, posant sa lampe sur un coffre placé au long du mur. Mais elle ose à peine répondre, par politesse, aux questions que Joachim lui pose, sentant sur elle le regard pénétrant du «béret à plume». L’heure du souper la libère enfin, lui permettant d’aller donner des ordres en cuisine.

Ronsard, transpercé de toutes les flèches de l’Amour tel un saint Sébastien, reprend enfin la parole, bredouillant presque. Il cherche à faire diversion :

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– Monsieur, croyez-vous que nous pourrons parvenir au Mans dimanche au mitan du jour ? Il nous faut trouver une auberge pour le soir et je crains que les lits ne s’y fassent rares à la veille des obsèques.

– Il y a moins de dix lieues depuis Courdemanche dont nous sommes proches ; vous en couvrirez bien la moitié demain et même – j’y pense – peut-être un peu plus. Vous pourriez monter dans la charrette d’un de mes fermiers – maître Georges – qui porte du poisson vif au château de Lucé. Vous seriez ainsi reposés pour attaquer le chemin du Mans, qu’en dîtes-vous ?

Pierre acquiesce docilement, il n’a pas même compris la fin de la dernière phrase que ses oreilles n’ont pas entendue. Son esprit vagabonde. Joachim, Dieu merci, poursuit la conversation tandis qu’on dresse la table et dispose la vaisselle, plus simplement que pour le repas de Ponssay ce matin. Le service est composé d’une soupe épaisse accompagnée de larges tranches de pain, d’un peu de poisson froid en vinaigrette, de fromage de chèvre frais aux herbes. Le vin chaud, toujours, emplit les gobelets. En mangeant, les hôtes du seigneur de la Chesnuère observent ce qui les entoure et qu’ils n’avaient pas vu depuis leurs chaises. Les murs sont ornés de grandes tentures où figurent des scènes de chasse, et des bancs-coffres s’alignent tout autour de la pièce, qui servent sans doute à ranger de la vaisselle, des tissus, des chandelles. Les fenêtres à meneaux possèdent des verres montés sur des croisillons de plomb formant losanges. Elles n’ont pas été masquées par les volets intérieurs, restés ouverts. Sur le manteau de la cheminée, enfin, se trouve un bel ensemble de hallebardes et d’armes plus petites conservées des temps anciens. Au dehors, la nuit semble là depuis toujours. Un grand-duc hulule dans le grand chêne tout proche.

Marion a juste avalé sa soupe et demandé la permission de monter – permission accordée. Elle salue son père, puis les garçons, privilégiant Ronsard d’un regard de braise. «Elle est mi-ange, mi-démon», pense soudain avec un peu d’effroi le jeune homme de la Possonnière.

Et alors, justement, il se sent la désirer.

VIII – La lettre mystérieuse

Où Marion reçoit une invitation bien à propos à l’heure du départ de Pierre et de Joachim

Il fait encore nuit sur le domaine de la Chesnuère mais, déjà, une lueur a circulé dans la cour du château. Pierre se redresse et s’adosse à la paroi du lit clos d’étoffes qui l’accueille dans la salle d’hôtes. Il ne sait plus s’il a rêvé dans son sommeil ou si l’incroyable s’est réellement produit. Il se voit prendre l’air à la fenêtre alors que la maison est silencieuse et que les flammes du foyer se font plus discrètes. Et puis, à l’étage de l’aile du bâtiment qui se trouve sur sa droite : une autre fenêtre qui s’ouvre sans bruit, des formes gracieuses se détachant sur la clarté diffuse d’une chandelle. Marion ne l’a pas aperçu tout de suite ; elle semble vêtue d’une chemise légère, largement ouverte sur ses seins. Son regard finit par s’orienter en contrebas, vers lui. De son poste d’observation, Ronsard ne voit pas les détails, il cherche à deviner le blanc des yeux, la chevelure presque sauvage. Il a cru distinguer un signe discret de la main mais – oui – c’était un rêve éveillé car il ne dormait pas encore… C’est impossible. Il n’a pu trouver le sommeil avant que la lune n’apparaisse au-dessus de la cime des arbres.
Alors qu’il tente d’éclaircir ses idées encore troublées de cette vision et de celle de l’apparition de la veille, des bruits de vaisselle remuée tintent, lointains, du fond des cuisines. Pierre comprend qu’il est temps de se lever, qu’il vaut mieux être debout lorsque paraîtra le maître des lieux. Une fois ses vêtements passés, attachés, boutonnés, il sort de la pièce pour se débarbouiller au-dessus d’une bassine d’eau. Le liquide, presque glacial, le réveille tout à fait.

– Veux-tu que je te dise une chanson royale  ?…

Comme souvent, Ronsard a sursauté, n’ayant pas entendu les bruits de pas qui s’approchaient. Joachim semble tout frais et de belle humeur. Il a dormi à l’étage, c’est-a-dire non loin de Marion. «J’en suis déjà jaloux» pense-t-il en analysant la pensée qui vient de le traverser. Il sourit quand même à son ami et l’entraîne vers la grande salle pour entendre l’œuvre ainsi déclamée :

Douce, plaisante, heureuse et agréable nuit,
Plus belle que le jour, pour mon heureux déduit,
Tant plus chère je t’ai estimée.
Etoile aux larcins d’amour si bien apprise
Qui, cachant ta clarté, servit à l’entreprise,
Tant que l’obscurité lors ne nous fût ôtée ;
Plaisant sommeil qui deux seuls amants réserva,
Tous autres oppressants afin que, bras à bras
Invisibles fussions sous d’amour la franchise ;

Pierre monte aussitôt sur ses ergots.

– Que me chantes-tu là ? Que vas-tu t’imaginer ? réplique-t-il d’un trait.
– Mais rien du tout ! Je dis les mots du roi François, rien de plus… Ce sont des vers de Sa Majesté !

Et de poursuivre…

Et toi bénigne porte, en te voulant ouvrir
Qui rendit si bas son pour non me découvrir,
A peine que j’ouis quand tu te desserras ;
Ô penser incertain, d’heureuse vérité,
Quand m’amie embrassais j’eus la félicité
Sa bouche de la mienne, ne m’assurant, couvrir ;
Ô bienheureuse main, qui me servit de guide ;
Ô paisible marcher, qui tant me fut en aide ;
Ô chambre, qui me fut cause de sûreté ;
[…]

Visiblement mis en joie par l’effet de sa petite aubade, Joachim devine qu’il a touché juste. S’il n’a pu passer à l’acte, le jeune Ronsard a bien dû y penser toute la nuit ! Ces vers du vainqueur de Marignan lui ont tant plu qu’il les a appris pour les resservir à l’occasion. Celle-ci était trop belle, d’autant plus que cette chanson du roi circule peu : elle n’existe qu’en manuscrit à la cour et chez quelques proches de sa majesté !

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