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Les Grands Greniers de l’Abbaye de la Trinité

Si la salle nord des anciens Greniers du monastère bénédictin de l’abbaye cardinalice de la Trinité, restaurée et gérée par l’association Résurgence, est visuellement bien connue des Vendômois qui la fréquentent à divers titres, en revanche, l’histoire détaillée du grand bâtiment dont elle dépendait, s’étendant du nord au sud sur plus de cent mètres, n’est peut-être pas aussi facile à percevoir. Voici ce que nous en savons.

abbaye de la trinite fin xie xiie siecles 330 Leur origine…

La construction de ces Grands Greniers semble remonter à la fin du XIe, et sans doute tout au long du XIIe siècle, et pourrait être attribuée, du moins en partie, à l’initiative de Geoffroy de Vendôme, 5e abbé de la Trinité qui officia de 1093 à 1132.

Les quelques chartes de l’abbaye parvenues jusqu’à nous, datées de la seconde moitié du XIe siècle nous apprennent, en effet, que nous étions ici en limite orientale de la paroisse Saint-Martin, non loin de la porte d’entrée du monastère nouvellement créé. Et qu’il y avait là un moulin, appelé moulin du cloître ou moulin Saint-Martin situé sur le canal de l’abbaye, aujourd’hui canal du Ponceau coulant alors, sur l’ensemble de son cours, à « ciel ouvert » et maintenant, en grande partie canalisé en souterrain. Un moulin qui avait était donné avec le canal, à l’abbaye naissante, en 1033, par le comte de Vendôme Geoffroy Martel (1032-1050) et son épouse Agnès de Poitiers, fondateurs de la Trinité, en même temps que les terrains où seront construits les bâtiments conventuels.
On peut ainsi placer ce moulin, selon toute vraisemblance, côté du Cours actuel de l’Abbaye, face ou à l’emplacement de la maison n°5 de la place de la République sous laquelle, d’ailleurs, s’écoule toujours ce canal du Ponceau.

Ce moulin détruit après 1103, suite à d’incessants conflits entre l’abbé Geoffroy et le comte de Vendôme Geoffroy de Preuilly (1085-1102), allait ainsi disparaître pour faire place à une nouvelle construction, à savoir nos futurs greniers.

Leur construction…

Selon Gaël Simon, Docteur en archéologie, l’hypothèse d’une construction en plusieurs campagnes, sans doute trois, n’est pas à exclure avec, tout d’abord, l’élévation en moellons de calcaire et ses fenêtres géminées caractéristiques de la fin du XIe, d’un premier bâtiment d’une quarantaine de mètres de longueur, compris entre la première chapelle romane Notre-Dame de Pitié et le porche d’entrée (auj. rue de l’Abbaye) et qui serait ainsi la partie la plus ancienne (n° 1 sur le plan).

Puis viendrait la construction, vers le sud, au-delà du porche jusqu’au canal du Ponceau, d’un deuxième bâtiment s’étendant sur une cinquantaine de mètres (n° 2), d’un style architectural légèrement différent, quoique, de nos jours, en partie fortement remanié, crépi et modernisé, doté, autrefois, d’une série de fenêtres romanes appartenant au XIIe siècle.

Enfin, un troisième bâtiment (n° 3) très légèrement infléchi vers l’est, ici à partir du n° 5 de la place de la République, donc depuis le canal du Ponceau, y compris l’actuelle rue des Poilus, terminait l’ensemble, côté sud, par un large pignon plat. Pignon, qui plus tard se trouvera être dans l’alignement du mur de clôture qui rejoignait la tour du colombier des moines et qui séparait le monastère de son vaste jardin s’étendant jusqu’au Loir. Bâtiment alors d’une vingtaine de mètres de long, d’un style encore différent pourvu des rares ouvertures, à linteau droit, encore plus tardives.

Jusqu’au premier tiers du XIXe siècle, tous ces greniers étaient d’un seul tenant, recouverts d’une même toiture, comme le montre la vue cavalière ci jointe de l’abbaye de la Trinité du XVIIe siècle.

Fermant à l’ouest le monastère, ils s’étendaient sur une longueur totale de 57 toises vendômoises (toise équivalant alors à 1,98 m), soit environ 113 m, y compris l’actuelle rue des Poilus donnant accès à l’ancien quartier de Cavalerie appelé Quartier Rochambeau en 1886. Leur largeur moyenne était d’environ 11 mètres, hors œuvre, sur 8 m de haut, hauteur comprise du pavé jusqu’à l’entablement, (soit du sol à la corniche de la base du toit).

Leur fonction…

Mais est-on certain que, dès sa construction, la fonction première de ce long et nouveau bâtiment fût majoritairement vouée au rôle de celliers et de greniers ? Rien n’est moins sûr, sachant qu’entre 1080 et 1152, toujours d’après les chartes, les celliers étaient, avant tout, répertoriés dans l’aile occidentale du cloître originel. La partie nord (1), notamment, aurait ainsi pu servir, dans un premier temps, avant d’être des greniers, de lieu d’accueil, voir d’hostellerie pour les laïcs et les familiers du monastère, étant ici dans la partie appelée la « Galilée », réservée exclusivement aux pauvres et aux étrangers de passage qui avaient, ici, entre l’église Notre-Dame de Pitié et le pignon nord des greniers, un accès direct depuis « la rue au Change ». On peut aussi s’interroger sur la présence des fenêtres géminées, magnifiquement ouvragées, qui peuvent paraître surfaites pour éclairer de simples greniers. Alors que le véritable rôle de la porte gerbière ouverte postérieurement (XVIIe siècle ?), peut davantage et plus facilement s’expliquer.

D’ailleurs, au début du XXe siècle, toute cette partie nord que nous appelons aujourd’hui « les Grands Greniers », était répertoriée comme étant le « logis des hôtes ».

Puis l’abbaye, possédant d’immenses biens (forêts, prés, champs, vignes, métairies, moulins) réparties sur une trentaine de prieurés (s’étendant sur plusieurs diocèses, jusqu’en Normandie, en Saintonge et sur l’île d’Oléron), eut alors besoin, progressivement, au cours des siècles, de plus en plus de place pour entreposer et stocker ses récoltes et son vin.

Côté Saint-Martin, le mur aveugle, de 1,30 m d’épaisseur en moyenne, peut-être le mur de clôture et de protection fermant primitivement à l’ouest l’abbaye et sur lequel venait maintenant s’appuyer ce long bâtiment, allait protéger les greniers du vent d’ouest dominant, humide et chaud, nocif à la bonne conservation des céréales, entre autres. Et ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle, au plus tôt, que les abbés permirent à de nombreuses bâtisses et échoppes, la plupart encore non alignées, de s’édifier à l’appui de ce mur, côté ville.

Leur répartition…

Depuis la paroisse Saint-Martin, l’accès au monastère se faisait par un porche voûté (emplacement de l’actuelle rue de l’Abbaye)…. Avec au-dessus le palais (de justice) de l’abbaye. La Trinité avait, en effet, droit de haute et basse justice, relevant de la coutume de Baugé en Anjou, à la fois dans l’enceinte du monastère et dans le Bourg Neuf qui en dépendait, justice rendue alors par un prévôt puis un bailli (officiers laïcs). Ce porche fut acheté par la ville en septembre 1828 pour être abattu avant mai 1830, date de la vente effective des matériaux de démolition. La rue de l’Abbaye ne sera finalement ouverte, quant à elle, qu’en 1860, en même temps que la construction du pont (de l’Abbaye) donnant accès aux Grands-Prés.

Immédiatement passé ce porche, à droite, se trouvait la loge au portier (ou loge du sonneur, celui qui répondait, notamment, à la « cloche » de l’entrée), encore en place en 1811 (suivant le plan cadastral napoléonien). La maison actuelle érigée à l’angle de la rue et du Cours de l’abbaye sera construite, en partie, sur son emplacement, un peu plus tard, au cours du XIXe siècle.

Mais si nous ignorons la répartition fonctionnelle interne de ces greniers jusqu’au XVIIe siècle, à partir de cette période, nous en saurons davantage.

Ainsi, la partie sud des Greniers (entre la rue de l’Abbaye et la rue des Poilus) abritait à cette époque : Au rez-de-chaussée, sans en connaître, toutefois, la disposition exacte, plusieurs chambres d’accueil, de nombreuses écuries pour les hôtes de passage, l’hostellerie se situant maintenant, en face, dans le bâtiment conventuel occidental (là où est l’école de musique), des celliers, des bûchers et autres réserves ; au-dessus, des greniers, le plus souvent à deux étages pour engranger, au premier niveau, les différentes céréales cultivées et récoltées par l’abbaye : froment (pain blanc), seigle (pain courant), orge, avoine, sarrasin (ou blé noir, pour engraisser les volailles) et escourgeon (ou orge d’automne) ; au second niveau : les foins et le fourrage. Une prison, sans doute proche du palais de justice de l’abbé, y avait aussi sa place, sans pouvoir, toutefois, la situer exactement.

La partie nord (entre la rue de l’Abbaye et la chapelle Notre-Dame de Pitié) comprenait également : Des celliers, au rez-de-chaussée, surmontés également de vastes greniers à un et deux niveaux. Quant à son pignon nord, à la vue extérieure de la baie à moitié murée, il a sans doute été modifié et pourquoi pas quelque peu raccourci, compte tenu de l’ancienne petite place publique située en avant de la chapelle Notre-Dame.

Sans pouvoir confirmer, cette partie pourrait bien avoir été, dans les derniers temps, exclusivement réservée à l’abbé comme le laisse entendre certains érudits locaux du XIXe siècle.

Puis la Révolution passa par là…

Le 19 avril 1791, Révolution oblige, la métairie des Grands-Prés, l’abbatiale, la maison du sacristain (propriété correspondant au n° 6 de la rue de l’Abbaye), la totalité des « Petits et Grands Greniers », (dénomination n’apparaissant qu’après la venue, en l’abbaye, de la Congrégation des moines de Saint-Maur des Fossés, en 1621), furent vendus comme biens nationaux pour la somme de 130 000 livres.

De même, le 30 janvier 1792, fut encore vendue « une maison sous le porche de l’abbaye où se trouve l’auditoire pour 3 050 livres », confirmant, s’il en était besoin, la présence d’un palais de justice au-dessus du dit porche de l’entrée.

Concernant la partie sud : la ville se rendit donc acquéreur de l’ensemble en 1791. C’est précisément, à partir de cette date, que le la municipalité allait faire ouvrir une nouvelle rue, en rognant l’extrémité sud des Greniers. En effet, par adjudication du 12 janvier 1792 et par décret de la Convention du 25 mars 1793, la commune acquiert « le bâtiment connu sous le nom de Grands Greniers…avec pour projet…de couper ce bâtiment pour établir une communication de la place (alors place d’Armes, aujourd’hui place de la République) à la promenade du Plant (une plantation d’ormeaux fort prisée des Vendômois située dans les Petits-prés, là où s’élève le Grand Manège), l’ouverture de ce passage étant prévue à 4,87 m. Pour la Petite histoire, cette nouvelle voie fut alors baptisée, en 1792 « Rue Neuve » ; en 1873 « rue du quartier de Cavalerie » ; et, en 1923, « Rue des Poilus », appellation attribuée antérieurement, en 1919, à la rue Saint-Bié qui reprit alors son ancienne dénomination.

Quant à la voie passant déjà sous le bâtiment de l’infirmerie de l’abbaye pour accéder à la promenade du Plant, elle vit son porche, sans doute percé dès 1792, élargi et flanqué d’un poste de garde, en 1818, par la Cavalerie.
La ville revendit la quasi-totalité de cette partie sud à divers propriétaires en 1818. Dès lors, particuliers et commerçants percèrent le mur ouest pour s’adjoindre les rez-de-chaussée des greniers et en faire des arrière-boutiques et transformer les étages en réserves et en habitations, chacun y allant de sa propre initiative. Mais les élus allaient toutefois conserver la partie des greniers situés au-dessus de l’actuelle brasserie de la « Comédie » pour la convertir, dès 1798, en théâtre (d’où le nom de la brasserie), puis en salle de bals et ce jusqu’en 1880, date à laquelle cette salle fut fermée pour insécurité et absence de sortie de secours.

Par la suite, d’affreux appentis y seront accolés, côté Cours de l’abbaye, défigurant ce long bâtiment dont on peut encore apercevoir quelques rares vestiges du XIIe siècle (fenêtres romanes avec moulures, les puissants contreforts étant sans doute postérieurs).

Partie nord, le bâtiment fut également partagé à partir du 19 avril 1791 entre 14 acheteurs, pas moins. Mais en 1818, ils ne furent plus que deux propriétaires : une certaine Marie-Marguerite-Suzanne Pépin et trois frères Marganne. En 1819, dans les mois qui suivirent la vente et pour séparer ces deux propriétaires, la construction d’une cloison en colombages qui s’élève jusqu’au comble est décidée. Un escalier commun avec portes, entre les deux lots, est achevé dans le même temps (1819). L’endroit servit d’entrepôt pour un négociant, puis de simple grenier.

Aujourd’hui, l’ensemble des greniers de la Trinité, à l’exception, peut-être, de la salle restaurée par l’association Résurgence, n’a plus rien à voir avec les greniers d’avant la période révolutionnaire. Morcelés, ils accueillent maintenant, dans leur ensemble, pas moins de dix-huit propriétés commerciales toutes indépendantes les unes des autres.

Et à partir des années 1980, pour sauvegarder l’extrémité nord de ces greniers, un grand chantier de restauration, sous l’égide de Résurgence, allait pouvoir commencer…

Références bibliographiques :
Gaël Simon, Espace et société à Vendôme du 11e au début du 19e siècle : fonctionnement et fabrique d’une ville…, thèse,
Université François Rabelais, 2015, Tours.
Résurgence en Vendômois, René Lepallec,
Les greniers de l’abbaye de Vendôme, 1981, 22 p.
Recherches et étude personnelles, dossier :
Les Grands Greniers de l’abbaye.

Iconographie :
J.C Pasquier, L’abbaye primitive de la Trinité, fin XIe, XIIe siècles,
plan reconstitué.
Vue cavalière de l’abbaye de la Trinité,
seconde moitié du XVIIe siècle, in Monasticon Gallicanum.

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