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Le maréchal de Rochambeau : quand Washington inaugure à son tour sa statue

C’est suite à l’inauguration réussie de la statue du maréchal de Rochambeau place Saint-Martin, le 4 juin 1900, et les excellents rapports franco-américains qui en découlent, but essentiel avancé par M Royau initiateur du projet, que l’idée d’ériger un nouveau monument à la gloire du grand militaire, mais cette fois aux États-Unis, prend forme. Le journal le «Carillon» et les  archives locales nous en restituent l’histoire.
À l’heure, en effet, où l’arrivée de «l’Hermione» sur la côte ‘est’ américaine  a été accompagnée par une délégation vendômoise des Amis de Rochambeau, il est peut-être bon de rappeler cet épisode quelque peu oublié.

L’après inauguration vendômoise

Lorsqu’en 1898, un comité se forme à Vendôme dans le but de rendre un hommage aussi mérité que tardif à notre illustre compatriote Jean-Baptiste-Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, maréchal de France, ce même comité est loin de penser que son projet rencontrerait dans un premier temps une certaine opposition.
«Aujourd’hui  (janvier 1901) que l’apaisement est fait, déclare le Carillon, nous ne rappellerons pas toutes les lettres encore présentes à toutes les mémoires, que ce comité eut à soutenir. S’inspirant de la devise bien faire et laisser dire, il vit bientôt ses efforts, comme on le sait, couronnés de succès.
En deux années à peine, fut donc érigé le beau monument de la place Saint-Martin qui, en immortalisant par le bronze les traits du vaillant maréchal qui fit tant pour la cause de la justice et de la liberté, mit en avant le talent de deux Vendômois, MM Fernand Hamar et Ernest Boué.
L’inauguration du monument précédant d’un mois les cérémonies données à Paris en l’honneur de Washington et de Lafayette, valut à la ville de Vendôme l’insigne honneur de recevoir officiellement l’éminent représentant de la République des Etats-Unis en France, le général Horace Porter.

Les Américains n’oublièrent pas l’accueil chaleureux fait à leur ambassadeur, aussi, depuis cette époque, aucune solennité franco-américaine n’eut lieu à Paris sans que des invitations fussent envoyées à Vendôme».
En effet, la statue de Washington, offerte à la France par les Américains, était inaugurée place Iéna, à Paris, le mardi 3 juillet 1900, tandis que le monument Lafayette, encore en staff  en attendant d’être fondu ultérieurement, était à son tour inauguré le lendemain mercredi 4, place du Carrousel.

statue-Rochambeau-WashingtonUne statue américaine

Alors que le comité vendômois croit sa tâche terminée, mais l’élan étant donné, c’est dans le pays même qui est le berceau de la liberté que la mémoire de notre valeureux soldat va maintenant recevoir un éclatant hommage.
Si l’on se reporte au Carillon, c’est «grâce au patriotisme de deux Français éminents, M Cambon, ambassadeur de France aux États-Unis et M Boeufvé, attaché à la même ambassade, et grâce aussi au haut personnage du général Porter, que l’édification d’une statue de Rochambeau dans la capitale des Etats-Unis sera bientôt un fait accompli».
M Boeufvé, que M Cambon a délégué à cet effet, réussit ainsi à grouper autour du projet un grand nombre de députés et de sénateurs américains et dans une séance de nuit, le 21 février 1901, le Congrès vote un crédit de 7 500 dollars (37 000 francs d’alors) pour la reproduction du monument de Vendôme augmenté de bas-reliefs allégoriques dus également au ciseau de M Hamar. La plupart des journaux des deux pays s’empressent d’enregistrer le vote du Congrès tout en constatant que les rapports entre la France et les États-Unis sont de plus en plus cordiaux.
Une souscription supplémentaire de 1 000 dollars du duc de Liaubat vient s’ajouter à la somme votée et déjà disponible pour l’érection du futur monument. D’autres souscriptions, rapportent encore ces journaux, sont imminentes. Ainsi, début mars (1901), le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts accorde à M Le Myre de Vilers, président d’honneur du comité Rochambeau, une subvention de 1 300 francs.
M Hamar, toujours selon la presse, doit même se rendre en Amérique pour étudier sur place ce nouveau et bienvenu projet.

Un projet qui avance

Fin septembre (1901), le Carillon  rend compte : «M Boeufvé, consul général, est arrivé à Vendôme lundi 23 septembre à 4 heures 30 du soir. A l’Hôtel de Ville où il a été conduit, il fut reçu par le maire M Guillemot, MM Bourgoin et Adrien Hamar, oncle du sculpteur, adjoints, puis il s’est rendu chez M Royau, vice-secrétaire du comité et après une visite sommaire de la ville, il est reparti pour le château de Rochambeau où il a été l’hôte de Madame la marquise de Rochambeau jusqu’au lendemain soir à 5 heures 23.
Selon M Boeufvé, la date qui sera proposée à l’approbation du gouvernement américain est le 24 mai 1902, jour anniversaire de l’entrée de Rochambeau dans l’armée française.
De grandes fêtes auront lieu à Washington à cette occasion.

Le monument fera le pendant au monument de Lafayette érigé face à la Maison Blanche, mais pour cette raison les proportions primitivement adoptées ont dû être considérablement augmentées ; la statue quoique de même modèle  aura environ 3,50 mètres de hauteur, soit 80 cm de plus que celle de la place Saint-Martin ; le piédestal plus important sera ornée d’allégories en bronze représentant la France débarquant en Amérique, tenant d’une main les drapeaux des deux pays, l’autre main brandissant un glaive défend l’aigle américain».
Le samedi 23 novembre, M Cambon se rend à l’atelier du sculpteur Hamar qui met alors la dernière main à son œuvre. Il y est reçu par M Noret, délégué du comité parisien et M Royau du comité de Vendôme. MM Parent, architecte et Masdelage, marbrier, sont également présents.

M Cambon, quoique ne doutant pas un seul instant du talent de l’artiste, déclare au journal :

«Qu’il était loin de s’attendre à voir une œuvre aussi parfaite ; la figure allégorique de la France débarquant aux Etats-Unis pour y implanter la liberté est, en effet, remarquablement belle. Ce sera certainement le plus beau monument de Washington ; il donnera aux Américains une haute idée du goût de nos artistes français».

Quelques jours auparavant, M Bartholdi, l’éminent statuaire, membre du comité Rochambeau, était venu, lui aussi, visiter l’atelier de Fernand Hamar. Le célèbre auteur de la statue colossale de la Liberté éclairant le Monde et du Lion de Belfort et de tant d’autres chefs-d’œuvre, avait vivement félicité le jeune sculpteur vendômois.

Et le journal le Carillon de conclure pour cette année : «Le matin même (23 novembre 1901), le plâtre de la statue de la place Saint-Martin qui avait été très remarqué au dernier salon vient d’être enlevé de l’atelier de M Hamar par les soins de M le général de la Noë, directeur du musée de l’armée pour être transporté à l’Hôtel des Invalides où il figurera dans la salle Turenne par autorisation spéciale de M le ministre de la Guerre.
M Hamar a l’intention d’exposer au salon 1902 le plâtre du futur monument de Rochambeau à Washington ; il mesurera exactement 9,50 mètres de hauteur totale.
La maquette de la façade principale du piédestal de la place Saint-Martin, exécutée par M Varennes de Tours d’après les dessins de M Boué et offerte au musée de Vendôme par M le comte de Rochambeau, vient d’être mise en place dans le grand escalier».

Une commémoration Franco-américaine

Presque deux ans jour pour jour après l’inauguration de la statue de Rochambeau, à Vendôme, le 4 juin 1900, c’est au tour des États-Unis, à Washington, samedi 24 mai 1902, d’inaugurer la sienne.
Pour la presse locale, c’est encore l’occasion de grandes démonstrations d’amitié entre les deux peuples ; l’idée première d’ériger une statue à la mémoire du vainqueur de Yorktown, lancée par M Royau dès 1898, a en cela pleinement réussi.
Le président Roosevelt prononce un discours fort remarqué ainsi que l’ambassadeur de France, M Cambon et le général Bruyère, chef de la mission française. Les troupes américaines et les marins français sont passés en revue.

À Paris, ce même samedi soir, en commémoration des fêtes de Washington, à l’hôtel Continental, a lieu, sous la présidence de M Guillemot, maire de Vendôme, un grand banquet en l’honneur de la colonie américaine de France. M Henri Vignaud chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis remplace le général Porter, alors à Washington. M Herbette, conseiller d’État, plusieurs députés, des artistes, MM Coupa et Adrien Hamar, tous deux conseillers municipaux, délégués de la ville, y assistent ainsi que des membres de la famille Lafayette, Rochambeau et de Grasse.
Parallèlement, à Vendôme cette fois, et toujours ce même samedi, le monument du Maréchal est paré de quatre mâts portant les couleurs franco-américaines et reliés entre eux par des guirlandes lumineuses. La musique municipale fait entendre à plusieurs reprises le chant de la Marseillaise et le Hail Colombia ; puis se joignant à la fanfare du 20e Chasseurs, elles animent, par une joyeuse retraite aux flambeaux, les principales rues du centre-ville.

Le dimanche, un concert place Saint-Martin, au pied de la statue et un grand bal, en soirée,  sous le marché couvert magnifiquement décoré, réunissent une foule énorme.

Sources : Journal le  Carillon, Fonds ancien de la bibliothèque de la Communauté du Pays Vendômois.
Bulletin du Bas-Vendômois (chronique centenaire, J C Pasquier) n° 9, année 2001, publié par l’association des Amis de Trôo.
Iconographie : Images et Sons en Vendômois.

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