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Janvier / mars 1709 : le «grand Hyver»

Voici tout juste trois siècles, la France subissait un hiver d’une rigueur exceptionnelle. Dans tout le royaume, il gela à pierre fendre. La Seine fut prise par les glaces et le Rhône charria des glaçons sur plusieurs mètres de hauteur. La terre glacée causa la perte de la totalité des récoltes de l’année. Remarquable par l’intensité extraordinaire du froid et surtout par sa durée, cet hiver eut également des effets désastreux sur l’homme, les animaux et les arbres. Mendiants et brigands sévirent en bandes organisées obligeant la troupe à intervenir… Le Vendômois ne fut pas épargné.

 

Une dure épreuve
Cette année-là, en effet, notre région subit, elle aussi, tous les malheurs occasionnés par ce terrible hiver, sans doute le plus désastreux de tous ceux connus jusqu’à nos jours.
Cela commença le 6 janvier pour se terminer à la fin mars, alternant gels et dégels qui firent périr les céréales et tous les arbres fruitiers ou non. Cet hiver, d’une intensité extrême, fut bientôt suivi d’une épouvantable famine. Pour survivre, «le peu de blé encore disponible fut mélangé au chiendent ; on mangea du pain de fougère mélangé à de l’avoine ou du son ; on dévora diverses racines bouillies ; on se nourrit de potages faits avec du gui et des orties. Les fossés, le long des chemins, étaient jonchés de cadavres morts de faim…». Neige Porte St Georges
Par recoupement des différents documents locaux consultés, nous pouvons reconstituer, pour notre Vendômois, cette mémorable période hivernale : la gelée prit donc subitement dans la nuit du 5 au 6 janvier avec « une intensité dont on n’avait pas d’autres exemples de mémoire d’homme ». Cette vague de froid dura trois semaines soit jusqu’au 27 janvier environ. Les températures les plus basses furent signalées les 13 et 14 de ce mois causant de nombreux décès comme cette inhumation à Saint-Bienheuré « d’un enfant de huit ans trouvé mort de la gelée au Poirier-Rondeau proche le Bois-la-Barbe ».

 

Puis vint le redoux engendrant un dégel provisoire jusqu’au 9 février (samedi du Carnaval) date à laquelle reprit le froid «qui sévit avec la même rigueur jusqu’à la fin du mois», soit encore trois longues semaines. En fait, cette seconde période ne semble pas aussi rude que la première, du moins à Paris, si l’on en croit le savant Arago.
Un retour offensif du froid se fit encore sentir du 10 au 15 mars accompagné cette fois de chutes de neige, apparemment les premières signalées. En effet, si dès le 6 janvier au matin, le pays chartrain fut recouvert par un manteau neigeux d’une trentaine de centimètres, aucun texte n’indique ni ne confirme ce fait pour notre ville. Mais on peut toutefois penser qu’il en fut bien ainsi.
Enfin, des gelées tardives, fin avril et début mai, ravagèrent définitivement les vignes.
À Vendôme, les températures oscillèrent vraisemblablement entre – 15° et – 20° la plupart du temps si l’on se réfère aux historiens du climat, car aucun relevé ne semble avoir été effectué dans notre pays ou du moins n’est mentionné dans les archives. Bien que le thermomètre à alcool de Mariani (1654) existât déjà, mais peu fiable et surtout peu usité, il faudra attendre celui de Réaumur, en 1740, pour obtenir des résultats plus probants.

 

Un précieux témoignage
C’est celui du curé Maignan de la paroisse Saint-Bienheuré : « Dans cette année 1709 est arrivé un hiver terrible qui a gelé tous les blés de ce pays. Tous les grands noyers et une grande quantité d’arbres fruitiers, poiriers, pommiers, amandiers, abricotiers, pêchers sont morts, de telle sorte que les vignes ont été aussi gelées jusque dans les racines et regelées au printemps, ce qui a fait une cherté universelle des blés, du vin et des fruits… Quantité de puits furent gelés même… Par arrêt des Messieurs du Parlement des aumônes générales furent faites pour soulager les indigents…Au dégel est mort quantité de personnes et même de personnes qui n’avaient point souffert de disette, plus à proportion de riches que de pauvres… ».
Les conséquences immédiates et celles qui suivirent furent effectivement des plus calamiteuses. Toujours selon le curé Maignan, les récoltes de 1708 étant déjà nettement insuffisantes pour couvrir les besoins de l’année présente (1709), la misère apparut aussitôt. Tous les cours d’eau étant gelés, les moulins s’arrêtèrent de tourner et la farine vint à manquer. Le prix des céréales doubla du 1er février au 14 avril ; le pain de neuf livres passa de 8 sous à 23 sous, soit trois fois plus ; le 15 juin, il était à 35 sous. D’une façon générale, tous les prix indiqués dans les diverses chroniques augmentèrent du double au quintuple.

 

Une famine sans précédent
Sur l’ensemble de la France et dans la région en particulier, la famine sévit principalement de juillet 1709 à juillet 1710 et la mortalité fut effarante. Dans la plupart des villes et villages, on «y meurt en tas ; on les enterre trois à trois, quatre à quatre ; on trouve les morts dans les jardins et sur les chemins ; les animaux meurent dans les étables».
Concernant le pays chartrain et le Vendômois, le Nouvel advis important sur les misères du temps (imprimé à Paris en 1709/1710), rapporte : « …Sans parler d’Illiers et des environs de Chartres, où il est déjà mort plus de trois cents personnes de faim, du Vendômois, on écrit de Montoire, du mois d’avril (1710) qu’outre les extrémités qu’on souffre là comme ailleurs, le désespoir a rendu le brigandage si commun que personne ne s’en croit couvert ; que depuis peu, huit hommes ont massacré une femme pour avoir un pain qu’elle portait et qu’un homme pour défendre le sien, en a tué un autre qui venait le lui prendre, et que, sur les grands chemins, il y a des gens masqués qui volent…».
Autre témoignage, un ecclésiastique d’une paroisse de Paris, écrit à son tour, le 10 mai 1710 : « …J’ai parcouru depuis trois semaines la Beauce, le Blésois, la Touraine, le Chartrain et le Vendômois… Entrant aujourd’hui à Vendôme, j’ai été assiégé par cinq à six cents pauvres qui ont les visages livides… Dans les faubourg de cette ville, on voit des gens couchés par terre qui expirent ainsi sur le pavé, n’ayant pas même de la paille pour mettre sous leur tête, ni un morceau de pain…».

 

En Bas-Vendômois
À Montoire, le froid commença à se manifester le jour des Rois, tout comme à Vendôme d’ailleurs, sur les 6 ou 7 heures du matin. Il fut « si brusque qu’il surprit tout le monde et si intense pendant dix- sept jours que l’on ne pouvait s’échauffer ni jour ni nuit. Les blés et froments gelèrent de telle sorte qu’il ne resta rien dans les champs. Les vignes gelèrent jusqu’à deux ou trois doigts sous terre malgré la neige. Les noyers et les amandiers (alors très nombreux dans la région) gelèrent jusqu’à la racine, de même tous les poiriers, les pommiers et les guigniers…La rivière (le Loir) gela sur près de quatre pieds d’épaisseur… » Ce dernier chiffre est manifestement exagéré car cela correspondrait à plus de 1,20 m de glace ; à l’inverse, faut-il comprendre quatre pouces auquel cas nous n’aurions plus que 10 centimètres de glace ; plus raisonnablement, par – 20°, l’épaisseur moyenne peut tourner autour de 30 centimètres.
Du côté de Tréhet, le constat est le même… « Mais jamais il n’y eut tant d’impôts ni jamais tant de vols ».
Quant aux Hayes, selon le curé, « le gel des noyers, des châtaigniers et des arbres fruitiers causa une perte encore plus importante que ne le fût la disette des grains ».

À cette catastrophe naturelle devait s’ajouter la guerre de succession d’Espagne (1701-1714) qui entraîna un surcroît d’impôts et de taxes. Le 11 septembre 1709, la bataille de Malpaquet contre les coalisés (Anglais-Autrichiens), à elle seule, provoquait dix mille morts supplémentaires. Les populations ne pouvant plus faire face, de nombreuses révoltes éclatèrent un peu partout en France.

Jean-Claude Pasquier

Sources : Bulletins de la Société archéologique du Vendômois (années 1874 – 1883 – 1898) ; Bulletin n° 13 du Bas-Vendômois ; archives personnelles (locales et départementales).
Photographies : hiver 1987 à Vendôme (collection G. Soyer).

Article paru dans notre édition de janvier 2009

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