Le Marché couvert, un monument à part entière

Outre le marché hebdomadaire du vendredi, de nombreuses animations, souvent de grande qualité, occupent également cette magnifique halle comme, par exemple, les ” Puces vendômoises ” qui réinvestissent les lieux de l’automne au printemps, une fois par mois. Mais parmi ses usagers ou visiteurs d’un jour, combien prennent le temps d’admirer sa sobre et harmonieuse charpente métallique ? Sans doute très peu. D’ailleurs, si certains savent, à quelques années près, la date de son inauguration, personne ou presque n’en connaît sa véritable histoire. C’est ce que nous allons, une fois de plus, reprendre en détails et cela grâce aux archives communales.
Du choix de son emplacement
Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, le marché primitif de Vendôme s’est toujours tenu au carrefour engendré par les rues dénommées aujourd’hui : Guesnault, Renarderie, Saulnerie et Marie de Luxembourg. Nous en voulons pour preuve ce “marché vieux”, avec four et pressoir dépendant des seigneurs de Vendôme attesté dès 1341 à cet endroit. Lieu important de rencontres et d’échanges, ce marché très fréquenté s’est toujours déroulé en plein air sur un espace restreint, enserré entre les maisons. Appelé “place du Pilori” au XVIe siècle, il deviendra par la suite “place du marché aux Légumes”.
Mais il faudra attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour envisager la construction d’une halle proche, si possible, du lieu traditionnel du marché.
Un premier projet d’agrandissement de la place apparaît en 1876, mais la première étude concernant la construction d’une halle semble remonter au début de l’année 1888 et évoluera tout au long de cette même année. Au mois de mai 1889, les plans et les devis dressés par M Chautard, architecte de la ville, sont… acceptés, du moins dans l’immédiat. Un mois plus tard, une évaluation des ” immeubles ” à acquérir est lancée et concerne l’îlot dit du ” Derrière-le(au)-Comte “, appelé comme tel, nous dit-on, par allusion plus ou moins irrévérencieuse au dernier comte et premier duc de Vendôme, Charles de Bourbon, logeant au château dominant ce quartier. Situé alors entre l’ancienne rue du Pont-Neuf (emplacement du large trottoir actuel passant en partie sous les arcades et longeant la boulangerie, côté ouest) et une impasse (côté est) dont l’appellation reprend le nom du quartier, conduisant à un ancien lavoir, cet îlot de vieilles maisons réparties sur huit parcelles, s’étendait ainsi depuis l’étroite place du marché jusqu’au Loir.
Les enquêtes et les expropriations sont menées de juin 1890 jusque vers novembre 1892 date à laquelle les démolitions sont décidées et entreprises dans les mois qui suivent. Dans le même temps, le maire est autorisé à faire un emprunt de 41 000 F pour une durée de 30 ans afin d’indemniser les propriétaires expropriés et charge M Chautard de procéder à l’estimation des matériaux provenant de ces démolitions en vue d’une vente par adjudication publique.
Au printemps 1894, la petite place du marché fait l’objet d’un nivellement et de la pose de canalisations. Au mois d’octobre suivant, un pavage est posé à l’entrée de la dite place ; pour ce faire, on dépave l’impasse Saint-Michel qui deviendra privée (espace aujourd’hui compris entre le café et l’auberge de la Madeleine et qui conduisait au Moyen Âge aux murailles de la ville).
Les différents projets
C’est le 27 juin 1895, que la commission intéressée se réunie pour choisir enfin entre les trois projets sélectionnés d’une construction métallique :
– Le premier projet retenu émane d’une société métallique d’Amiens. Composée de huit fermes de fer sur colonnes de fonte avec couverture en tôle ondulée galvanisée et vitrerie en verre demi-double, cette halle couvre, y compris les saillies du toit, un espace de 35 m sur 18 m, soit 630 m2 ; son prix à forfait est de 12 600 F, non compris les dés en pierre servant de bases aux colonnes et maçonneries diverses.
– Le deuxième projet est proposé par M Michelin, constructeur à Paris. Après avoir déjà présenté une première étude jugée trop sommaire dans sa décoration et trop légère pour sa couverture, ce Monsieur propose un second projet plus satisfaisant et surtout plus robuste. Il comporte maintenant cinq fermes en fer reposant sur des colonnes en fonte. La toiture avec les saillies qu’elle fait sur ces colonnes couvre également 630 m2. La couverture est en tuiles de zinc sur parquet jointif, avec baguettes sur les joints. Le prix net s’élève à 19 000 F comprenant la peinture, le zinc de la couverture et quelques ouvrages d’ornementation. Ne reste à la ville que la charge des dés maçonnés et les massifs de fondation.
– Le troisième projet est présenté par M Guillot-Pelletier, constructeur à Orléans. Ce projet, le plus élégant de tous ceux qui ont été soumis jusqu’à présent à la commission, s’organise autour d’une nef principale de 10 m de largeur sur 27 m de longueur flanquée sur ses quatre faces d’une galerie d’accotement de 4 m de largeur. Au moyen des chenaux du pourtour, ses dimensions hors-œuvre passent ainsi à 35,50 m sur 18,50 m, soit une surface couverte totale de 656 m2. La hauteur de la nef est de 9,80 m au faîtage qui est recouvert par un lanterneau vitré, lequel porte la hauteur totale de l’édifice à 10,80 m. La saillie de la nef surplombant les toits inférieurs des galeries est, sur tout le pourtour, garnie de persiennes en verre.
Dans une lettre jointe en date du 8 juin (1895), M Guillot-Pelletier estime à environ 4,5 tonnes le poids des fers et fonte et en fixe le prix à 20 000 F mis en place y compris une couche de minium ; les trous de scellement et les maçonneries de toute nature étant à la charge de la ville ainsi que les frais d’octroi. Rappelant au passage qu’il ne se charge que de la fourniture et de la pose des parties métalliques, il donne toutefois une évaluation des autres travaux, à savoir : couverture en ardoises sur parquet de sapin : 5 000 F – peinture et vitrerie : 2 500 F, soit un total de 27 500 F.
Pour mémoire, un quatrième projet formulé par M Beaudouin, entrepreneur de serrurerie à Paris avait été rejeté d’entrée. Bien que le prix fût assez élevé, il était pourtant inférieur aux trois autres sur le rapport élégance mais ne paraissait pas établi dans des conditions acceptables.
Du choix de la construction
La commission considérant ” Que les deux premiers projets ne parviennent pas à couvrir la surface minimale demandée de 630 m2 qu’au moyen de fortes saillies du toit à partir des colonnes de supports, de 1,50 m pour le premier, de 2 m pour le second,
” Que si cette circonstance n’a pas d’inconvénient majeur tant que le marché couvert restera ouvert sur les côtés, il n’en serait pas ainsi dans le cas où la ville viendrait à vouloir clore ce marché, car cette clôture ne pouvant se faire que dans la ligne des colonnes, la surface disponible s’en trouverait considérablement diminuée.
“Que le projet de la Société d’Amiens est d’une construction trop simple et dépourvue d’élégance,
“Que le troisième projet présente au contraire un aspect très satisfaisant dans ses diverses parties comme dans son ensemble, un caractère d’élégance très convenable pour un édifice au centre ville,
“A été unanimement d’avis de donner sa préférence à ce dernier projet bien que son adoption doive entraîner une dépense plus forte.
Dès lors, M le maire prie M Guillot-Pelletier de se charger de l’ensemble des travaux, de la construction métallique, couverture, peinture, vitrerie et tous accessoires, exception faite pour les dés des colonnes et les maçonneries. Il lui demande en outre d’indiquer par des dessins cotés et un devis descriptif les conditions détaillées de la construction et surtout de faire ses propositions définitives quant aux prix des travaux que la commission trouve cependant trop élevé.
Le mardi 9 juillet (1895), M Brandt, ingénieur de M Guillot-Pelletier, confirme que celui-ci se charge de l’ensemble des travaux autres que la maçonnerie et remet les dessins et devis demandés. Le prix de 27 500 F est diminué de 1 000 F et l’entreprise consent à payer les droits d’octroi sur les matériaux de construction, travaux qui seront exécutés dans un délai de quatre mois à compter du jour d’ouverture du chantier.
L’ensemble du rapport, comprenant la construction proprement dite (26500 F, après rabais), l’installation des dés, terrassements, maçonnerie (4390 F) et les autres dépenses envisagées (19 110 F), soit un total de 50 000 F, est adopté par 15 voix et 2 abstentions. Un emprunt de la même somme est donc contracté au Crédit Foncier de France.
Les travaux semblent débuter fin 1895 ; à partir d’avril 1896 l’eau et le gaz sont amenés et le dallage mis en place. Dans sa séance du 21 mai (1896), le conseil délibère sur le projet de l’inauguration du nouveau Marché couvert et le 4 août suivant vote les crédits nécessaires à cette manifestation. Le 12 septembre, l’éclairage au gaz est installé sous la halle.
L’inauguration officielle a lieu le 11 octobre 1896 sous une pluie battante en présence de MM Belot, maire, Guillemot, adjoint, accompagnés de M le sous-préfet Gelinet, du sénateur Tassin, du député Bozérian et du receveur particulier des Finances René Pesson. La réception définitive des travaux est programmée pour mai 1897 seulement, il y aura bientôt 110 ans.
Pour la petite histoire
Entre temps, M Chautard, architecte de la ville, quelque peu évincé du projet, rappelle dans une lettre adressée au maire, datée du 28 juin 1895 :
“Le 24 décembre 1888, j’ai été chargé par la ville de dresser des plans et devis d’un marché couvert. Ces plans ont été approuvés par le conseil municipal et le 12 juin 1891, j’ai fait un voyage à Paris pour expliquer à M Darmet, architecte rapporteur du Conseil Général des Bâtiments civils, l’ordonnance générale du projet afin de hâter son acceptation.
” Le 24 juin 1891, M Darmet m’informait que le projet était accepté ; je me suis donc empressé de vous le communiquer. Or j’ai appris hier (27 juin 1895)) que vous avez fait examiner d’autres projets par une commission.
“Considérant mon projet comme mis de côté je viens vous réclamer mes honoraires soit 1,50 % de…..
Après délibération, le conseil municipal autorise M le Maire à lui payer ses honoraires.
Bien qu’ouvert à tous vents dans un premier temps, le Marché uniquement couvert accueille, dans un confort relatif, les nombreux marchands de volailles et de légumes, les jours du marché. Mais d’importantes manifestations locales viendront bientôt occuper les lieux comme les grands bals populaires, les expositions florales, les concerts de musique ou encore la distribution des prix des écoles. Pour abriter de la brise les Vendômois lors de journées plutôt fraîches ou empêcher les badauds de resquiller, des toiles sont tendues sur le pourtour à mi-hauteur des piliers ; par la suite des panneaux démontables les remplaceront. Pour les spectacles gratuits et à la belle saison, seules de grandes plantes vertes en pots sont disposées en guise de protection.
En 1919, au sortir de la guerre, l’idée de créer un marché quotidien précisément sous la halle est proposée, mais n’aboutit pas.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans les mois qui suivent l’incendie de la ville, le Marché couvert accueille encore, dans des magasins provisoires en ” dur ” installés en urgence, une partie des commerçants sinistrés victimes du désastre de juin 1940 et ce jusque dans les années cinquante (1950). Pour ce faire, des murs sont montés entre les piliers porteurs. Par la suite d’immenses panneaux publicitaires du plus mauvais goût garnissent extérieurement une partie de ces murs qui perdurent encore une trentaine d’années.
Une restauration réussie
À partir de mai 1979, l’idée de rénover ce vétuste Marché couvert est lancée mettant tout le monde d’accord, mais en réalité, aucun véritable projet n’est arrêté. Pour les uns, il convient surtout d’abattre les affreux murs qui le ferment et redonner à la vieille halle son aspect primitif ; pour les autres, un ” parking ” souterrain sous ses fondations serait le bienvenu ; d’autres enfin préconisent la construction de boxes confortables pour y sédentariser un commerce journalier, reprenant ainsi un projet vieux de soixante ans.
Après bien des concertations, en avril 1980, M Marconnet, architecte de la ville, présente l’ensemble de son étude concernant la restauration de ce ” petit pavillon Baltard ” local. Le début des travaux prévus pour septembre de la même année, pour diverses raisons, est reporté au 15 février 1981 et le chantier doit durer six mois environ.
La charpente métallique décapée par sablage et repeinte reçoit une couverture d’ardoises et un lattage de bois de caravane très décoratif. Tandis qu’un dallage antidérapant est posé au sol, le mur d’allège périphérique est plaqué d’un revêtement extérieur en pierre de Pontijou et intérieurement de céramique. Les menuiseries du pourtour en aluminium reçoivent un vaste vitrage en glace donnant une très grande luminosité interne. Points d’eau et prises électriques sont installés.
L’espace environnant immédiat n’est pas oublié pour autant. L’ensemble est recouvert de pavés “starbloc” du meilleur effet et offre, ce qui n’est pas négligeable pour l’époque… quelques places supplémentaires de stationnement.
L’inauguration du Marché couvert, entièrement rénové, a lieu finalement le jeudi 17 décembre (1981). M. Voisin, sous-préfet, en compagnie de M. Robert Lasneau, maire, coupe le ruban tricolore en présence de l’architecte M. Marconnet et d’une foule d’élus et de Vendômois. Le lendemain, en fin de matinée, sous la pluie mêlée de neige, une seconde inauguration, mais cette fois en présence des commerçants non sédentaires et ceux du quartier, consacre le marché qui précède Noël sous l’élégante halle qui bien que merveilleusement rajeunie a su garder son aspect originel.
Jean-Claude Pasquier
Documents : Archives communales, Presse locale, illustrations : Images et Sons en Vendômois, collection privée.
Article paru dans notre édition de Janvier 2007