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Marion des chênes, amour secret de Ronsard

Un roman de Henri Boillot

(Suite du chapitre VIII : Où Marion reçoit une invitation bien à propos à l’heure du départ de Pierre et de Joachimr)

– Et encore, je ne dis pas la fin, mais on y parle aussi du «lit qui est témoin de mon seul vrai plaisir […] qui m’a causé goûter le mien désir…»

Une porte qui grince vient couper court à la conversation. Monsieur de la Chesnuère les salue et leur propose de déjeuner près du feu de la cuisine qui flambe depuis longtemps. Du pain, des œufs cuits en coque, des pommes, du fromage et du vin sont posés sur la table. La simplicité des propos échangés trahit l’impatience des uns et des autres de voir apparaître Marion : le père parce que c’est, pour lui, un rite, les deux hôtes pour se voir confirmer leur délicieuse sensation de la veille. A l’arrivée de la belle, Pierre se sent curieusement plus fort qu’il y a une douzaine d’heures ; il plonge son regard dans les yeux noirs pour y trouver la flamme devinée dans son rêve. Une clarté fugitive lui fait croire qu’ils étaient bien deux à vivre ce songe. De nouveau, il sent ses veines s’irriguer de chaleur. Lui seul voit l’esquisse d’un sourire de Marion dans sa direction. Echange furtif, car Monsieur de la Chesnuère tend brusquement une missive cachetée à sa fille :

– Un cavalier a porté ceci pour vous tôt ce matin. Il avait chevauché depuis la mi-nuit. Faut-il que ce soit important !

L’exclamation finale du père cache mal sa curiosité. Devant ses invités, il se retient néanmoins de questionner la jeune femme. Celle-ci, d’ailleurs, s’est éloignée de la table pour déplier la lettre et la parcourir près d’une fenêtre, à la lueur du jour naissant. Elle revient moins d’une minute plus tard, l’air malicieux, toute prête à garder son bonheur pour elle. Pierre et Joachim échangent un coup d’œil, imaginant que c’est là le poulet d’un galant. Pour une fille unique si bien faite, orpheline de mère, la chose ne serait pas surprenante ! De quoi refroidir toute espérance, en tout cas. C’est que les belles fleurs, si fraîches soient-elles, n’attendent jamais longtemps pour être cueillies.

Mais déjà, le chariot du fermier surgit dans la cour, tiré par un solide cheval du Perche. Tandis qu’on sert du vin au bonhomme, ils se préparent : manteau, ceinture et bourse, couvre-chefs, besaces. Marion – qui a rangé sa lettre – reste dans la pièce, sagement appuyée contre le chambranle de la porte d’entrée. Pierre a du mal à cacher son trouble d’un départ si précipité. Il a l’impression qu’il s’est trompé à son sujet, d’autant plus qu’elle ne semble nullement affectée par cette séparation définitive. Ils se hissent sur le banc, sous la toile tendue qui sert d’abri.

Pêchées la veille à la Chesnuère, les carpes, perches, anguilles, tanches iront fournir la table du seigneur de Lucé pour le carême. Elles vivent encore, enfermées dans deux barriques bien étanches, emplies d’eau dont on a refermé le couvercle. Ayant salué leur hôte et la demoiselle, Ronsard et Du Bellay prennent le chemin de Courdemanche. «Je pass’rons par le pont-Enchéri, not’maître.» lance le fermier par-dessus son épaule.
Pierre sourit à l’idée de ce pont vendu aux enchères autrefois et du mot d’amour qu’il évoque. Son esprit, déjà, vagabonde au-dessus des tourelles du château pour y chercher le doux visage, les yeux malicieux, la grâce d’une femme en herbe qu’il aimerait tant… chérir  ! Pendant que Joachim et le fermier parlent du domaine qui s’éloigne, le jeune poète sort avec soin de sa poche un papier noirci d’une encre fine, à l’écriture minuscule. Il relit cette «Ode à sa muse» laborieusement composée au bord du Loir. Il la porte avec lui pour la faire connaître, prendre l’avis de ceux qui savent la poésie. Joachim, sûrement, lui donnera le sien.

IX – Séance de pose

Où une certaine Mona Lisa inspire un jeune peintre manceau

La pluie est venue laver la courette de l’atelier de Denizot. Le ciel est toujours sombre et l’intérieur de la pièce bien gris. Mais les pluies de mars sont courtes et le peintre espère un prompt retour de la lumière. Anne d’Assé s’en est inquiétée devant lui, prête à reporter la séance de pose. Il l’a rassurée, l’invitant à s’asseoir près de la chaufferette pour converser dans l’attente. Sa robe rouge réchauffe l’espace tandis que sa chevelure blonde l’illumine ; pour un peu, Nicolas se contenterait de cette seule palette de couleur. «J’ai ma clarté», se dit-il gaiement à voix basse, en tirant la chandelle de son coffre. La langue déliée par une décoction qu’il vient de lui servir, le joli modèle raconte qu’elle attend pour demain son amie, la fille d’un gentilhomme de la campagne à dix lieues au sud du Mans.

– Je l’ai invitée à passer quelques jours, nous nous voyons si peu et je la crois si seule… Elle est orpheline de mère, la pauvre  !

Tout en préparant son chevalet et ses couleurs, le peintre et poète jette un coup d’œil par les fenêtres. Un rayon de soleil fait briller l’un des pans du toit d’ardoises de la demeure qui lui fait face. La lumière, à présent, inonde les pavés de la cour, pénètre du même coup, plus diffuse, dans l’atelier. «C’est le moment», décide Nicolas qui place la jeune femme sur le fauteuil. Il a couvert celui-ci de la pièce de laine tissée de fils dorés empruntée au Pilier aux clefs ; ainsi, les tons de la partie inférieure du tableau dialogueront avec à la belle chevelure du modèle. Il a glissé dans les mains d’Anne un petit missel qu’il serre toujours ici, et scellé la chandelle sur un coffre du côté le plus sombre. Les nuances, ainsi, seront riches et variées.

Alors qu’il a tracé les premiers contours du buste, des bruits de pas se font entendre dehors, chassant les pigeons de ville qui commençaient leur repas du vieux pain. On cogne, il ouvre : c’est Jacques Peletier. D’un seul regard dans les yeux amusés du secrétaire de l’évêque, Nicolas comprend qu’il est venu sans raison véritable, juste pour surprendre l’artiste et son modèle.

– Quel vent t’amène à nouveau, l’ami ? lui demande-t-il cependant pour faire illusion.

– Je tenais à te soumettre le dernier vers de mon épitaphe avant de le faire lire à monseigneur Du Bellay, répond Jacques d’un trait. Je veux être sûr d’user des bonnes formes de phrases !

Disant ces derniers mots, il n’a cessé de poser les yeux sur Anne. Il finit par lui sourire, réalisant l’insistance avec laquelle il la regardait. Nicolas s’approche, lui prend le papier de la main et s’approche d’une des fenêtres. Il relit les vers destinés à la lecture publique, à l’heure où le cercueil descendra dans son tombeau de la chapelle Notre-Dame. Peletier a finalement complété le texte par une dernière rime :

…Faisant à tous, forts à lui seul ennui :
Las c’est Langey, passant l’ignores-tu ?
Telles valeurs oncques ne furent qu’en lui.

Son ami approuve sans enthousiasme.

– La chute était sous-entendue dans les vers qui précèdent, mais enfin le couplet est joli. Il plaira au clergé et aux princes qui ont appris à lire avec Marot ! À part cela, où en es-tu de tes préparatifs concernant le futur prêtre venu du Vendômois ?

– La petite tonsure lui sera donnée mardi à Touvoie par l’évêque en personne. Il a décidé de prendre du repos loin de la ville, au lendemain des obsèques de son frère ; il faut avouer que Le Mans est bien agité ces jours-ci et que l’air est peu sain quand il y a trop de foule. Monseigneur veut donner un repas et prendre du bon temps à causer des guerres d’Italie avec le père, Loys de Ronsard, qui s’y battit aux côtés du roi.

À suivre…

Le Petit Vendômois

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