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S’il te plaît, dessine-moi un silex…

Il a connu le linotype, le papier couché, le montage à la main, Alain Orthlieb, graphiste-illustrateur, s’est reconverti à l’écriture et à la bande dessinée. Portrait à grands traits d’un artiste empreint d’humilité.

Alain OrthliebIl a déboulé en Loir-et-Cher en 1976, à Cellé, à quelques encablures de Vendôme. Et pour ce dessinateur hors-pair, pas de hasard si l’affaire s’est jouée au compas. Une carte de France en mains et un choix à tracer dans un rayon de 200 kilomètres autour de Paris : Centre, Normandie, Picardie ? Ça sera le Vendômois. Un de ses arrière-grands-pères avait déjà posé ses crayons dans le coin, du côté de la Sologne.

Au début des années 1970, Alain Orthlieb œuvrait en qualité de graphiste-illustrateur dans la capitale. Et la maison de Cellé se voulait comme une respiration, une page blanche, sorte d’échappatoire aux turbulences urbaines. Le hasard l’avait conduit à poser ses cartons dans le bouillant XIe arrondisement, à deux pas de la rédaction de Charlie Hebdo, le nid de dessinateurs de presse décimés en janvier 2015. Tout près aussi du Bataclan…

A la tête d’un studio indépendant, il travaillait alors pour le compte d’agences de communication, lesquelles lui confiaient leurs commandes pour de prestigieuses maisons, comme Air France ou encore Volkswagen. En parallèle, plus d’une centaine de couvertures à illustrer pour des maisons d’édition, là où il revêtira déjà ses habits d’auteur chez ER Jeunesse.

De Franquin à Corto Maltese

En 2006, tombe la retraite. Il saute définitivement le pas pour la maison de Cellé. Envie de chlorophylle, de campagne, d’horizons, de retour à la terre, de temps pour écrire et se nourrir encore d’histoire et de culture. Avec une appétence certaine pour la BD –le «9e art»–, la Préhistoire et la littérature, il s’attelle à l’écriture de son premier roman, Mémoire de pierre (1). L’ouvrage livre un récit contemporain en alternance avec la période préhistorique. Pierre Cassignol, adolescent d’aujourd’hui, retrouve par hasard une flèche de silex. S’ensuit une remontée fulgurante à travers les âges et une rencontre avec Sénoé, un garçon du même âge, celui-là même qui a perdu cet outil il y a 6000 ans. Sorte de témoignage posthume éclairant cette époque charnière où l’homme bascule du statut de cueilleur-chasseur à l’agriculture et à la sédentarité. Naissent ainsi les premières contraintes : la délimitation de frontières, les aléas du climat, des temps de semences, des récoltes…
Mais, au désir d’écriture, s’ajoutent des velleités de dessinateur, un projet qui taraude Alain Orthlieb depuis l’enfance.

«La BD, c’est presque de l’écriture ! Et les chemins de croix dans les églises, c’est aussi de la bande dessinée ! Au même titre que les tapisseries de la reine Mathilde à Bayeux ou Le Livre des morts en Egypte…», s’enflamme l’érudit.

Alain OrthliebDévorant Franquin à l’adolescence, Hugo Pratt, Giraud, Loisel… souvent au détriment des devoirs scolaires, «ce qui me coûtait très cher sur mes notes en histoire», s’amuse l’auteur, qui s’est bien rattrapé depuis. Mémoire de pierre sera ainsi décliné dans une version enrichie sous forme de bande dessinée, La Dent de l’ours (2). Les planches ne sont pas sans rappeler le trait de Corto Maltese, précision, finesse, cadrage, soins du détail, des ombres, dégradé des couleurs. De la belle ouvrage. Un travail exécuté d’abord au feutre, puis à l’aquarelle, et finalisé avec des logiciels informatiques, XPress, Illustrator, Photoshop, qu’il maîtrise parfaitement de par son métier.

De la Préhistoire au Vél d’Hiv

L’ancien élève de l’Ecole des arts appliqués donne ainsi à voir sa sensibilité, livre son engouement pour l’épopée historique et sa tendresse de l’enfance.
Fidèle à sa démarche, pêle-mêlant roman et BD, il publie ensuite A jeudi, sauf s’il pleut (2), suivi de son pendant, Cale séche pour le Phénix, en cours de finalisation et déposé en maisons d’éditions. L’histoire poignante d’un écolier qui préférait l’amitié à l’obéissance, là où, en 1942, protéger un clandestin était déjà un délit. Une plaque apposée, qu’il découvre sur la porte d’une école à la mémoire des enfants victimes de la rafle du Vél d’Hiv, sera le point de départ du story-board pour l’auteur. Avec, à nouveau en fil rouge, les destins croisés de jeunes garçons, l’un juif polonais, disparu le jour de la rafle, l’autre en quête de le retrouver.

En préparation : Yap-Yap et la fleur rouge, un bond de 500000 ans en arrière, avec la cruciale découverte du feu pour l’humanité, toujours sous le prisme de l’enfance ; Les Vertiges du temps, un recueil de sept nouvelles ; et un autre projet, chevillé au corps et plus personnel : l’illustration d’un manuscrit retrouvé de son grand-père, Serge-Henri Moreau, surnommé «le peintre des fortifs et de la zone», qui avait en son temps cotoyé Picasso ou Suzanne Valadon. Alain Orthlieb, déjà exposant à l’automne au Salon du livre, de la nouvelle et de la poésie de Vendôme, se rendra à la mi-mai au Salon du livre préhistorique de La Chapelle aux Saints, en Corrèze, afin d’y présenter ses deux premiers ouvrages, Mémoire de pierre et La Dent de l’ours.

Actif sur les réseaux sociaux, toujours au fait des technologies, de l’évolution du web et de la PAO, à 77 ans, l’écrivain a pourtant fait le choix de zapper le «8e art», tel qu’on qualifiait le petit écran à ses débuts, privilégiant les livres, passerelles de sagesse et de transmission vers la connaissance et les arts.

«A la maison, nous n’avons pas la télé. J’ai toujours préféré raconter de belles histoires à mes enfants, et aujourd’hui à mes petits-enfants.»

Ses œuvres pour tous en témoignent, à partager de 7 à 77 ans.

(1) Editions Baudelaire, 2011 (réédité en 2014).
(2) Editions Hugues de Queyssac (2016).

Jean-Michel Véry

Journaliste à Politis, à Europe 1, au Petit Vendomois, rédacteur "tourisme" à Néoplanète, pigiste au Figaro et à l'Optimun.

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