Histoires localesArts et culture

Quand la Nationale 10 traversait encore Vendôme

Alors que le projet de restructuration de la rue du Faubourg Chartrain semble lancé, que sait-on de cette grande voie de circulation ? En effet, tracé véritable de la route Nationale N°10 venant de Paris, puis traversant le centre de la vieille ville avant de filer vers Tours, du moins jusqu’en décembre 1976, date de sa déviation, son histoire reste à découvrir.

Autrefois, appelée indifféremment «chemin secondaire de Saint-Jacques-de-Compostelle», ou encore «route d’Espagne», voire de «Paris-Bayonne», cette route, après bien des difficultés quant à sa réalisation définitive, finira par être dénommée «route royale», puis «route impériale de première classe n° 11» en 1811, avant de devenir «route Nationale n°10» en 1824.

Aussi loin…

Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, selon les ouvrages spécialisés, aucune voie romaine d’orientation nord-sud venant de Paris ne traversait alors Vendôme pour rejoindre Tours, à la différence d’autres «chemins de César» transversaux, de direction est-ouest, comme la voie Orléans-Le Mans (par Areines), voire le chemin de Meung-sur-Loire à Vendôme. Les Romains préféraient, de toute évidence, les tracés Paris-Châteaudun-Blois-Tours par la Beauce, ou encore Paris-Orléans-Tours par la vallée de la Loire.

Puis vint le temps des pèlerinages se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle. Placée sur le chemin secondaire de Chartres à Tours la chapelle Saint-Jacques dépendante de l’Hôtel-Dieu joua, nous le savons, un rôle important dans le repos des pèlerins. Il en fut ainsi durant tout le Moyen Âge jusqu’à ce que la dite chapelle échoua aux Oratoriens en 1623. D’où, également, les quelques bureaux de change établis dans la rue éponyme primitive (ici seulement entre les rues actuelles de l’Abbaye et Notre-Dame).

Déjà, en 1553, le guide des chemins de France nous indique l’itinéraire Châteaudun-Cloyes-Vendôme (passant alors par la Ville-aux-Clercs) comme étant l’une des voies conduisant les pèlerins en Espagne. De même que dans un arrêté du Parlement de Paris, en date du 26 juillet 1623, réglementant l’entreprise des coches et carrosses publics, il est bien mentionné Vendôme comme ville desservie depuis Paris.

Au XVIIIe siècle

Le temps passant, c’est vers 1750 que le roi Louis XV projette d’établir une route postale reliant Paris à Tours par Chartres, Châteaudun et Vendôme. La liaison Paris-Cloyes, plus ou moins praticable existant déjà, seul le tronçon Cloyes-Tours restait à construire.

Ainsi, débutèrent les travaux entre Cloyes et Vendôme. Pour ce faire, on s’efforça de suivre la vallée du Loir, en ligne directe si possible, non sans causer quelques destructions, comme en 1752, entre autres, sur la paroisse de Pezou où une chapelle vouée à Saint-Marc, qui se trouvait sur le tracé, fut détruite. Enfin, en 1770, Vendôme était atteinte et des maîtres de poste furent nommés cette même année à Pezou et dans la ville. On évitait maintenant La Ville-aux-Clercs et sa forêt peu sûre.

Mais cette nouvelle liaison vers Tours ne plut guère au duc d’Orléans qui, ayant d’importants intérêts financiers concernant la route Paris-Tours par Orléans, insista auprès du roi pour ne pas poursuivre au-delà de Vendôme tout en demandant de fortes indemnisations en cas de reprise. Les travaux furent donc arrêtés.

Après cinq années d’arrêt et bien que Turgot (1727-1781), alors contrôleur général des Finances (1774-1776), ordonnât la poursuite du chantier, Trudaine (1703-1769), intendant des Ponts et Chaussées, allait lui opposer, en 1775, le bon vouloir de Louis XV. Vendôme se trouvait maintenant dans un véritable cul de sac qui ne pouvait que lui nuire sur le plan commercial.

Il faudra attendre 1786 pour voir les travaux reprendre, cette fois, sur ordre de Louis XVI qui dut indemniser largement les parties opposées au projet.

Comble de malchance et pour la petite histoire, deux plus tard, en 1788, alors que la portion Vendôme-Tours se poursuivait, une fraude financière commise par un agent des Ponts-et-Chaussées était découverte : «…La continuation de la route étant mise en adjudication par sections, c’est ainsi qu’un agent se porta adjudicataire de l’une d’elles ; or, ayant lui-même dressé le devis de cette dite portion de route, il avait, en même temps caché que les travaux étaient déjà achevés aux 6/7e …Les protestations des autorités locales restèrent sans effet et l’agent protégé tacitement par ses pairs ne fut que déplacé…».

Au XIXe siècle

La Révolution allait de nouveau geler les travaux…Et pour longtemps. La ville s’impatientait.

Le 19 février 1801 (28 vendémiaire, an IX), le maire Buscheron (de) Boisrichard se plaignit auprès du sous-préfet : «La route n’est pas entièrement terminée ; Vendôme se trouvant isolée, la draperie, les tanneries et ganteries périclitent…». Quelques mois plus tard, le 20 juillet 1801 (1er thermidor, an IX), le rapport de l’avancement des travaux indiquait : «Route très avancée, 738 m de pavés, 39 km 10 de cailloutis, 6 km 3 de terrain naturel ; largeur 19 m 48 dont chaussée 4 m 87 ; cette route quoique assez fréquentée est pourtant par défaut de réparations depuis cinq ans extrêmement dégradée, particulièrement dans la partie au-dessus de Vendôme où elle est dans un état de ruine effrayante…».

Quoique peu carrossable, la route était néanmoins desservie par la poste aux chevaux. Elle passait, dans un premier temps, par Huisseau (en-Beauce) pour redescendre sur l’arrière du parc du château du Plessis fortia et regagner l’actuelle route nationale au lieu-dit La Rose, alors relais de poste avant de devenir le siège de la gendarmerie de Saint-Amand, puis bâtiment privé.

Hélas, en 1806, les travaux n’avaient guère progressé depuis 1801 : «Pavés 1 km 45, empierrements et cailloux, 41 km 02, terrain naturel, 1 km 69».

Autre conséquence, le dimanche 30 octobre 1808, l’empereur Napoléon, lors de son deuxième passage à Vendôme, se rendant en Espagne accompagné du maréchal Duroc, devait se plaindre au maître de poste de Châteaurenault (orthographe respectée) du mauvais état de la route entre les deux villes : « …Pendant le souper, l’empereur fit venir le maire pour savoir la raison de la mauvaise tenue de la route de Vendôme. Le maire ayant répondu qu’elle provenait de la négligence ou retard apportés par les ingénieurs du département de Loir-et-Cher, mais que la route à partir de Châteaurenault jusqu’à Tours était dans un meilleur état par la surveillance du préfet d’Indre-et-Loire, Napoléon écrivit, sur le champ et donna les ordres les plus sévères aux administrateurs de Blois pour qu’en retour de Bayonne, la route de Châteaurenault à Vendôme fût, sinon achevée, au moins dans un état de réparation plus satisfaisant… ». C’est ainsi, qu’après avoir donné des ordres à l’administration blésoise, la route fut enfin terminée en 1809.

Par la suite, peut-être aux alentours de 1811, la route achevée mais toujours peu entretenue ne passa plus par Huisseau et prit son tracé actuel ; le relais de la Rose fut transféré près d’un kilomètre plus au sud au lieu-dit «la Poste» (en bordure de la deux fois deux voies entre les Bréviaires et Villethiou).

Plus curieux, dans un rapport des Ponts et Chaussées, daté du 26 août 1826, on peut lire  : «Quoique cette route soit de première classe, elle n’est pas très fréquentée. Celle n° 152 de Briare à Angers l’est environ quatre fois plus dans le département, tant par les voitures de poste et les diligences…».

Et dans Vendôme

Le tracé de cette route royale puis nationale passait officiellement par la rue du faubourg Chartrain, l’ancien chemin de Chartres encore non asphalté en 1932, la rue du Change pavée dans sa totalité, l’ancienne rue de l’Écrevisse (contournant par le nord l’ancienne église Saint-Martin), place Saint-Martin (en avant du clocher, là où s’arrêtaient les diligences avant 1857), rue Renarderie, place du Marché, rue Saulnerie (d’avant 1940), pour regagner la rue Poterie, la Porte Saint-Georges (avec son relais au n°1 rue des Écoles) et la rue du faubourg Saint-Lubin.

Un second tracé (non officiel), sans doute dû à l’étroitesse de la rue de l’Écrevisse, voulait que cette route nationale passe par la place d’Armes (aujourd’hui de la République), la rue Guesnault, la rue Saulnerie pour reprendre la rue Poterie.

Avec l’arrivée de l’automobile, on privilégia par la suite de passer par le Mail et la rue Poterie, mais toujours sous la porte Saint-Georges, causant, dans les années 1950, d’importants embouteillages.

En marge de l’Histoire

Une imposante «borne Michelin» située en avant de l’ancien monument aux Morts, carrefour actuel des Rochambelles, indiquait jusque dans les années 1950, la N10, direction Blois-Tours, voire Saint-Calais-Le Mans, dans un sens et Châteaudun-Orléans dans l’autre, avec à son pied, un agent de police faisant la circulation.

Une seconde borne kilométrique Michelin spécifique aux Nationales (dessus rouge), encore visible faubourg Chartrain, indique cette fois Châteaudun 38 km, Vendôme 1 km (jusqu’à la mairie porte Saint-Georges) et Vendôme Loir-et-Cher 24 km, soit la distance de la ville à la limite du département de l’Eure-et-Loir.
Garages à l’enseigne des différentes marques automobiles et pompes à essence jalonnaient également l’itinéraire urbain.

Note 1 : Seule la portion Paris-Tours sera, ici, prise en compte.
Note 2 : En mai de cette même année 1903, Vendôme voyait arriver depuis la côte de Bel Air, dans un nuage de poussière, la meurtrière course automobile Paris-Madrid (remerciements à M Patrick Loyau).
Références bibliographiques :

  • Prudhomme André, Histoire des routes de Loir-et-Cher, création et évolution (1470-1870, les routes principales, Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher, tome 50, Vendôme, PUF, 1995.
  • Une création tourangelle, La poste aux chevaux, collection généalogique de Touraine, Tours, mars 2002.
  • Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, Journal de Jean Clément, année 1869.
  • Recherches et étude personnelles, dossiers Les routes du Vendômois.

Référence iconographique :

  • Borne Michelin, Nationale 10 Paris-Bayonne, carrefour actuel des Rochambelles, coll. Images et Sons en Vendômois.

Le Petit Vendômois

Mensuel gratuit depuis 32 ans, tiré à 28 000 exemplaires, le Petit Vendômois se veut proche de ses lecteurs, familier et convivial, sérieux sans se prendre au sérieux, ambitieux sans prétention…à l’image du Vendômois. Dans ses colonnes, on y trouve le Vendômois de toujours: celui d’hier, celui d’aujourd’hui, celui de demain (agenda, spectacles, concerts, expositions, fêtes et manifestations diverses, informations, échos, histoires et curiosités).

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page