Au château de Vendôme, quand la tour de Poitiers se souvient
Alors que la tour maîtresse du château de Vendôme, après cette première tranche de travaux dont elle vient de faire l’objet, est susceptible de nous révéler de nouvelles connaissances tant sur le plan archéologique qu’architectural, voire historique, je m’intéresserai, plus spécialement, comme annoncé dans le titre, aux quelques anecdotes et légendes souvent peu connues qui l’entourent.
Et d’abord, pourquoi cette appellation ?
Si l’on se réfère à l’abbé Simon, chanoine de la collégiale Saint-Georges, l’un de nos premiers historiens du Vendômois, on peut lire dans son manuscrit rédigé vers 1780 : «Le château est environné de fossés très profonds et de murailles très élevées et flanquées de six tours dont la plus haute s’appelle la tour de Poitiers, parce qu’Agnès de Poitiers, femme de Geoffroy Martel, la fit élever…». De toute évidence, une assertion écrite en toute bonne foi, selon les connaissances du moment et à partir, sans doute, d’une longue transmission orale sans contrôle historique.
Alors forts de cette hypothèse, nos érudits, au cours du XIXe siècle vont développer à leur convenance l’argumentation et nous expliquer qu’effectivement : «Geoffroy Martel, comte de Vendôme ayant fait prisonnier Guillaume IV, comte de Poitiers, à la bataille de Montcontour en 1033, le ramena en son château pour l’enfermer dans cette fameuse tour durant trois longues années…» Mais si l’événement est vrai, fut-il réellement retenu prisonnier dans la dite tour ?
Car, hélas pour nous, il y a très peu de chance qu’une tour de ce type fût déjà construite au XIe siècle, mais bien plutôt élevée, du moins dans son état primitif, seulement sous Philippe Auguste…Aux alentours de 1180. En attendant, toutefois, les nouvelles conclusions des archéologues actuellement à l’ouvrage.
Et comme ces suppositions ne satisfaisaient personne, une troisième hypothèse émise fin XIXe siècle, nous entraîne, cette fois, en 1356, à la bataille de Poitiers, sachant : «Que le comte Jean VI y avait combattu par obligation vassalique aux côtés du roi de France Jean Le Bon et que fait prisonnier durant trois années, il aurait entrepris à son retour de remettre en état les défenses de la ville et du château, dont notre tour en question…» Mais de là à lui décerner le nom de Poitiers en souvenir d’un tel désastre pour le royaume, cela peut paraître incongru.
Au final, c’est peut-être l’abbé Simon qui détient la seule et simple explication plausible. Attribuée avec conviction et par pure tradition, depuis des siècles, à Agnès de Poitiers, sans en connaître véritablement son histoire ni sa datation, notre tour en gardera encore longtemps ce qualificatif, aujourd’hui nullement justifié mais qui lui va si bien.
Puis vint la période révolutionnaire…
Plus précisément le samedi14 juillet 1798.
Ainsi pour commémorer dignement cette fête, la tour de Poitiers fut-elle mise à contribution ; «propre à figurer le repaire de la tyrannie», elle servit de bastille. Le drapeau blanc, symbole de la Royauté flotta même au dessus d’elle. La tour défendue par une pièce d’artillerie et quelques soldats représentant les satellites du despotisme fut attaquée des deux côtés par les Chasseurs de la 30e demi-brigade et prise d’assaut. Puis investie, le drapeau tricolore remplaça bientôt le drapeau blanc aux cris de vive la République. Dans le feu de l’action, au bruit du canon, un premier mannequin décoré des insignes des différents ordres fut détruit et l’on tira à balles sur un second mannequin représentant cette fois l’image du gouverneur de la bastille, sa tête servant de cible.
Pour la petite histoire, le meilleur tireur, le citoyen Aucher, reçut comme premier prix une paire de pistolets d’arçon, après que le citoyen Beaufeu, professeur au collège, eût prononcé son discours d’usage.
…Suivie par quelques anecdotes plus contemporaines
Comme celle rapportée dans cette délibération du conseil municipal de Vendôme en date du 9 mai 1903, où le sieur C. B., au nom de la commission des Bâtiments, déclarait que cette dernière avait pris l’initiative d’examiner dans quelles conditions il serait possible d’accéder à l’intérieur de la tour de Poitiers ; car contrairement aux renseignements donnés par les guides touristiques de l’époque, il était alors matériellement impossible de parvenir à son sommet.
Après un sérieux examen en présence d’un architecte, la commission reconnut, en effet, qu’il était possible de construire un escalier et de reconstituer les planchers intermédiaires pour permettre au public d’y pénétrer. Aussi, sautant sur l’occasion, ne lâchant nullement prise, le journal «Le Progrès», ennemi juré du «Carillon» s’acharna-t-il sur ce pauvre adjoint qu’il ridiculisa avec une certaine délectation : «Il s’agit là d’une récente invention proposée au conseil municipal par l’inénarrable 2e adjoint. Afin de créer des ressources à la ville – elle en a besoin – l’illuminé marchand de calicot (référence au métier du conseiller) avait, en effet, imaginé d’installer sur la «Montagne» un escalier aboutissant à la plateforme de la tour. Un concierge serait même logé au pied de l’ouvrage fortifié et serait chargé de demander aux ascensionnistes un droit de 0,50 f par personne.»
«On nous a encore assuré que pour augmenter les ressources municipales, ce Monsieur aurait l’intention de faire établir, toujours aux frais de la ville, un gigantesque télescope qui permettrait aux visiteurs d’apercevoir la « lune » de Bel Air (ici le carrefour) et les toits des châteaux de Villeporcher (Saint-Ouen) et de la Gaudinière (La Ville-aux-Clercs) ».
«Cette invention burlesque a été accueillie par le public avec un formidable éclat de rire, concluait le journal, et dans nos rues on pouvait entendre : Avez-vous entendu parler du tapis roulant à C. B. ? Ne riez pas contribuables, le fruit de l’imagination de notre adjoint va encore vous coûter 1 000 f».
Car effectivement, deux planchers et un escalier en bois intérieurs ont bien été réalisés cette année-là (1903), d’où ces dépenses annoncées. Un autre escalier métallique extérieur (encore en place dans les années 1960), collé au mur de la courtine attenante, permettant d’accéder au premier niveau de la tour par l’intermédiaire d’une ouverture établie dans l’embrasure d’une ancienne meurtrière, a, lui aussi, été construit. Mais l’histoire ne dit pas si les Vendômois ont pu, dès lors, pénétrer à l’intérieur.
Encore mieux
Non seulement un escalier avait donc été envisagé, comme rapporté ci-dessus, mais pour éviter la montée au château jugée depuis la fin du XIXe siècle, trop pénible pour nombre de Vendômois, un nouveau projet fut alors lancé : celui, tenez-vous bien, d’un téléphérique reliant le chevet de l’église Saint-Martin, place d’armes (aujourd’hui place de la République) à la tour de Poitiers… Une nouvelle qui fit dans l’immédiat sensation.
Scepticisme pour certains, franche rigolade pour d’autres, cette annonce des plus farfelues mais bien réelle fut, en fait, dès le lendemain vite éventée. Car ce projet audacieux n’était autre qu’un canular publié par un journal local… précisément un 1er avril.
Toujours plus fort
Certes, si la vue depuis sa terrasse sommitale, à 360 degrés, est inégalable sur la vallée et la ville de Vendôme, M Duchemin de la Chesnaye père, érudit de la seconde moitié du XVIIIe siècle, premier quart du siècle suivant (soit vers 1750/1825), n’hésita pas à affirmer dans son manuscrit se rapportant notamment au château : «…De la terrasse de la tour de Poitiers on a vue sur le clocher de Chartres à 20 lieues, puis quelques pages plus loin…sur ceux de la cathédrale de Blois à 7 lieues…». Compte tenu du relief environnant de la vallée, qui dit mieux ?
Mais quelque peu controversé quant à ses affirmations, n’a-t-on pas écrit concernant cet érudit : «qu’il s’attachait plus à rapporter les légendes sans valeur qu’à contrôler les bruits qu’il recueillait».
Et même en temps de guerre
De par son importance, sa puissance et surtout sa hauteur, bien que difficile d’accès, la tour, en effet, fut également mise à contribution plusieurs fois durant les conflits.
Ainsi, en 1815, les Prussiens auraient établi sur sa plateforme un poste de guet et un signal qui devait être allumé en cas d’alerte et correspondre à d’autres postes jusqu’à la Loire qui en était éloignée de sept lieues.
De même, lors de la Seconde Guerre mondiale, un poste d’observation allemand avec mitrailleuse aurait également été établi sur la terrasse alors ceinte d’une rambarde en bois sur laquelle était peinte la direction des routes convergeant sur Vendôme, sorte de garde-fou mis en place suite à la chute mortelle d’un factionnaire, nous assure-t-on.
Enfin, dès le 11 août 1944, à peine l’occupant déguerpi, les drapeaux, Français, Anglais et Américains remplaçant le drapeau nazi, apportés par MM Dujardin, Guiard et un troisième volontaire originaire de Montoire, furent hissés sur le «lanternon» par le jeune André David (1). Ces trois drapeaux avaient été confectionnés par Mmes Dujardin et Crinières avec la complicité de Mme Guiard et cachés chez cette dernière dans le berceau de son fils Michel et sous le matelas de son propre lit1.
Quant aux légendes elles existent aussi
Plus rares, la première de ces légendes, selon la croyance populaire, concerne une certaine Dame Blanche qui hanterait toutes les nuits notre tour. Entités surnaturelles, fantômes, fées ou déesses que sais-je encore, cette Dame, loin d’être une exception, se retrouve en effet dans nombre de châteaux de France ou de l’étranger mais dont l’origine reste le plus souvent inconnue. À moins que, localement, il ne s’agisse ici que de chouettes effraies surnommées également «dames blanches» et qui, à plusieurs reprises, élirent domicile dans ces vieilles pierres.
Mais outre la présence d’une Dame blanche, voici un autre récit, collecté également auprès d’un ancien guide du château, se rapportant, cette fois, à un «vrai» fantôme, prisonnier de la tour ; poème des plus simplistes cherchant avant tout la rime et dont voici le texte :
Je suis le fantôme du château,
Par tous les temps, pluie, neige ou bien brume,
Du donjon, je hante les créneaux,
Et bien souvent j’attrape un gros rhume…
Je m’appelle Guillaume
Et voilà mon royaume,
Oui, je suis le fantôme
Du château de Vendôme.
Tous les dimanches et jours de fêtes
Alors que minuit sonne l’heure,
Chaînes aux pieds et drap blanc sur la tête,
Je fais peur aux nombreux visiteurs…
Je m’appelle Guillaume
Je n’en fais pas un atome
Oui je suis le fantôme
Du château de Vendôme.
Les chouettes de tout le voisinage,
Les chouettes, et puis les hiboux aussi
Accompagne mon remue-ménage
De leur hululement joli.
Au château de Vendôme
Je suis vraiment at home
Car je suis le fantôme
Qu’on appelle Guillaume.
Manifestement ce récit écrit soi-disant par un Écossais Jan Rosol (parfait inconnu), quasi inédit, fait allusion au comte de Poitiers, Guillaume IV d’Aquitaine, retenu prisonnier, en 1033, dans cette même tour.
Quant à sa fonction supposée de prison, la tour avait encore été savamment mise en scène par un ancien guide lors des visites payantes du château (donc avant 1990). Car ce brave homme, n’y croyant certainement pas lui-même, savait y faire pour intéresser les rares visiteurs. Pour lui, pas de doute, la tour possédait bien, selon le public du moment, tantôt un cul de basse-fosse tantôt une oubliette dans lesquels des moines de l’abbaye de la Trinité y furent même précipités, ne laissant comme uniques témoignages que leurs cordelières.
Légende quand tu nous tiens.
Références bibliographiques :
Recherches et étude personnelles, dossier château de Vendôme, synthèse des divers documents se rapportant au sujet traité.Témoignage oral.
Référence iconographique :
La tour de Poitiers avant restauration (collection particulière).