Poitiers, 1356, le comte de Vendôme est aussi fait prisonnier

Tout comme le roi de France Jean II Le Bon, en début d’après-midi, le 19 septembre 1356, la désastreuse « bataille de Poitiers » à peine terminée, le comte de Vendôme, Jean VI, ainsi que son frère Simon, étaient également retenus prisonniers par les Anglais. Un événement peu connu, qui aura pourtant de graves conséquences sur notre histoire locale et sur le château de Vendôme en particulier. Voyons de quoi il s’agit !
La bataille
Après avoir ravagé le sud de la France, d’octobre à décembre 1355, et observé un répit hivernal, le prince de Galles (dit le Prince Noir), fils d’Édouard III, roi d’Angleterre, allait entreprendre une nouvelle expédition, mais plus au nord cette fois. Parti de Guyenne dès le 6 juillet 1356, nous le retrouvons, lui et son armée de 8 à 10.000 hommes, à Vierzon le 28 août, puis à Romorantin du 1er au 5 septembre avant d’occuper Tours du 7 au 11. Toutefois, jugeant la Loire infranchissable, il décidait de revenir en Guyenne. C’est ainsi qu’il gagnait Montbazon le 12 (septembre), La Haye (auj. Descartes) le 13, Châtellerault le 14, d’où il repartit le 17 pour se diriger vers Poitiers…
De son côté, le roi de France, Jean Le Bon, quoique ignorant tout du plan des Anglais, mais sachant le Prince Noir remontant vers le nord, décidait d’aller à sa rencontre. Rassemblant son armée (entre 15 et 30.000 hommes) du 1er au 6 septembre à Chartres, il arrivait à Orléans le 8. Puis, longeant la Loire, il passait à Blois avant de s’établir le 10 à Amboise.
Dès lors, ce fut une véritable course-poursuite qui allait s’engager entre le Prince Noir et le roi de France. Tandis que l’Anglais, on le sait, était à La Haye (13 septembre), Jean Le Bon arrivait le même jour à Loches. Le lendemain, ce dernier atteignait à son tour La Haye et le prince de Galles se positionnait pour trois jours à Châtellerault. Un laps de temps que le roi de France mit à profit pour rejoindre Chauvigny, le 15, prêt à fondre sur son ennemi … Et le 19 septembre, non loin de Poitiers, dans la plaine de Maupertuis près de l’abbaye de Nouaillé, l’armée du Prince Noir allait ainsi se heurter à celle de Jean Le Bon. Après d’ultimes et vaines négociations, l’affrontement devint inévitable. On sait ce qu’il en advint. Les archers anglais décimèrent la chevalerie française et le roi de France fut fait prisonnier ainsi qu’un très grand nombre de ses chevaliers dont le comte de Vendôme et son frère, entre autres.
Le comte de Vendôme
Pour l’heure, le comté était dirigé par Jean VI, succédant à son père Bouchard VI, de 1354 à 1365. Non seulement, il héritait du comté de Vendôme, mais il devenait également seigneur de Castres (Tarn) par sa grand-mère paternelle, Eléonore de Montfort, épouse de son aïeul Jean V.
Aîné d’une fratrie de six enfants, il eut pour frères cadets, notamment, Pierre et Simon.
Comme son père, Jean VI s’attacha et demeura fidèle au roi de France. Tout d’abord à Philippe VI de Valois (1328-1350). Puis, dès 1350, après avoir été présent au sacre de Jean II Le Bon (1350-1364), à Reims, il fut choisi par ce dernier, avec Guy, le cardinal de Boulogne et Pierre, duc de Bourbon, pour traiter avec Charles le Mauvais, roi de Navarre.
En 1355, il commandait pour le roi une compagnie de huit chevaliers et de soixante-dix-neuf écuyers. Et, le 25 août 1356, Jean Le Bon, sans doute pour le remercier de sa fidélité et des services rendus, devait alors ériger sa seigneurie de Castres et ses dépendances en comté suivant les us et coutumes du comté d’Anjou, là où précisément le comté de Vendôme était situé.
Entre temps, mais à une date inconnue, Jean VI prenait pour épouse Jeanne de Ponthieu, fille du comte d’Aumale Jean de Ponthieu et de Catherine d’Artois ; de cette union naquirent deux enfants : le futur comte de Vendôme Bouchard VII et Catherine par qui notre comté passera, par alliance, des Bourbon-La Marche dans la famille des Bourbon-Vendôme.
Puis, le 19 septembre 1356, ce fut le désastre de « Poitiers ».
« Prisonniers ou occire »
Capturer ou tuer semblent bien avoir été les consignes du côté anglais. Il faut dire que l’appât d’une rançon, le plus souvent exorbitante, motivait les vainqueurs et chacune des prises choisies était âprement disputée ; les chevaliers français tués étant autant de pertes financières dans la surenchère des récompenses.
Si pour certains grands seigneurs proches du roi et pour le roi lui-même, leurs « ravisseurs » anglais sont identifiés, pour le comte de Vendôme, nous ignorons dans quelles conditions exactes il fut pris et par qui. Mais, comme pour les comtes d’Étampes, de Sully, de Roucy, entre autres et un grand nombre d’autres chevaliers de haut rang, Jean VI fut fait prisonnier, à n’en pas douter, dans la seule perspective d’une forte rançon. Son frère Simon dit de Vendôme, époux de Jeanne Savary, Dame de Montbazon, le fut également et suivit, semble-t-il, le même destin, car nous les retrouvons, en effet, tous deux sur la même liste des grands prisonniers comprenant le roi et son fils Philippe. Quant à son autre frère Pierre, seule une certaine tradition le fait participer à la bataille bien qu’il n’apparaisse dans aucune chronique.
De même, si la capture de Jean Le Bon, ses séjours en Angleterre et ses difficultés à réunir sa rançon furent parfaitement étudiés, le sort de notre pauvre comte de Vendôme l’est, en revanche, beaucoup moins.
En Angleterre
Traités avec égard par Édouard III, comme le fut d’ailleurs toute la chevalerie française rescapée, Jean VI fut emmené en Angleterre, via Bordeaux où tous arrivèrent, Anglais vainqueurs et prisonniers Français, le 2 octobre (1356).
De sa captivité proprement dite, vraisemblablement à Londres, dans l’entourage immédiat ou non du roi, nous ignorons tout. Mais, à la lueur des rares écrits le concernant, nous le retrouvons indirectement, l’année suivante, après que le roi eût lui-même rejoint l’Angleterre en avril 1357, lorsqu’un sauf-conduit1, daté du 6 novembre 1357 et donné à Westminster, fut délivré à son écuyer. Était-ce pour revenir en France afin de réunir la rançon ? On peut le supposer.
Puis, le 1er juin 1358, toujours données à Westminster, des lettres de sauf-conduit furent délivrées, cette fois, au comte de Vendôme, prisonnier, pour…Aller dans le pays de France… On peut alors penser qu’il fût libéré sur parole pour rassembler lui-même sa rançon, avant de revenir en Angleterre comme promis ; un exemple de libération temporaire, sur l’honneur, qui n’est d’ailleurs pas rare dans l’Histoire. D’autant plus que le 30 décembre 1359, un troisième sauf-conduit fut encore délivré au messager du comte de Vendôme, prisonnier, pour aller dans le pays de France. Ainsi, Jean VI, après s’être de nouveau constitué prisonnier, c’était maintenant un proche représentant du comte qui, en son nom, fut pressenti pour aller en France, peut-être concernant toujours cette fameuse rançon. Une rançon qui, comme celle du roi Jean Le Bon, tardait à être payée faute de pouvoir la réunir en temps voulu, car trop élevée.
Enfin, par décision datée de Calais, le 24 octobre 1360, quittance2 fut donnée aux prisonniers pris à la bataille de Poitiers… dont le comte de Vendôme. Jean VI fut donc libéré, après quatre années de captivité, comme nombre de ses semblables. S’était-il acquitté de sa dette en totalité ? On peut en douter comme le laisse présager la suite. Toujours est-il qu’il revint en Vendômois et s’occupa, dès lors, de remettre en état les défenses de la ville.
Les conséquences locales
À peine deux ans plus tard, en effet, un sauf-conduit donné à Westminster le 30 mars 1362 fut de nouveau remis au comte de Vendôme et à son frère (Simon) pour venir en Angleterre. À l’instar du roi de France, Jean VI, peut-être toujours redevable, ayant laissé ou non, sur place, des otages répondant de sa personne et de celle de son frère, se devait maintenant, avec ce dernier, de retourner en Angleterre. Était-ce pour, à nouveau, se constituer prisonniers, ne pouvant toujours pas réunir les fonds nécessaires à sa libération ou pour s’acquitter définitivement de sa dette ? Rien ne permet de le dire et de là, toutes les hypothèses sont permises.
Mais, on peut aussi imaginer que, suite au traité de Brétigny, signé le 8 mai 1360, il fit partie des otages qui permirent la délivrance du roi ; otages qui, libérés un temps sur parole, durent retourner en Angleterre jusqu’au paiement (partiel) de la rançon royale ; un retour forcé qui eut bien lieu pour un certain nombre de chevaliers.
Hélas, ce fut précisément ce moment (1362) que choisirent Gascons et Anglais pour s’emparer de Vendôme et du château, faisant prisonnières la comtesse Jeanne de Ponthieu (épouse de Jean VI) et sa fille Catherine, toutes deux mises aussi à forte rançon. Une troupe des Grandes Compagnies commandée par un certain Robert Marcault resta plusieurs mois en Vendômois vivant de pillages et autres exactions.
La durée de ce dernier séjour en Angleterre et les circonstances du retour de Jean VI en son comté de Vendôme ne nous sont pas davantage connues. Bien que, désormais, libres de toutes contraintes, il dut toutefois se résoudre à racheter son propre château, rançons comprises de son épouse et de sa fille, pour l’importante somme de 40.000 florins-or. Et pour ce faire, il dut vendre sa seigneurie de Réalmont en Albigeois.
Préférant de toute évidence son comté de Castres à celui de Vendôme qui ne lui rapporta, le plus souvent, que des déboires, Jean VI mourut à Montpellier, entre 1365 et 1368 (selon les sources) et fut inhumé aux Jacobins à Castres. Son épouse Jeanne de Ponthieu lui survécut jusqu’en 1376 ; c’est ainsi qu’en 1371, à la mort de son fils Bouchard VII, comte de Vendôme de 1365 à 1371, c’est elle qui fut chargée de la garde de sa petite fille Jeanne de Vendôme qui ne vivra que quelques mois.
Simon de Vendôme mourut pour le sûr après 1363 date de son testament et dut être inhumé, selon sa volonté, en la collégiale Saint-Georges du château ; mais nous n’en avons aucune trace.
Note 1 – Sauf-conduit : Permission donnée par une autorité militaire d’aller en un endroit, d’y séjourner pendant quelque temps et d’en revenir librement dans crainte d’être arrêté.
Note 2 – Donner quittance : tenir quitte ; ici l’autorité anglaise déclare que le prisonnier s’est acquitté envers elle, donc qu’il est maintenant libre.
Références :
Charles Métais, Études et documents, t. IV, 1891-1894 ; Bibliothèque de la Société archéologique du Vendômois.
Les chroniques de Sire Jean Froissart, livre I, p. 353 à 357, la bataille de Poitiers, manuscrit He 191, Fonds ancien de la bibliothèque de la CPV.
Georges Minois, Poitiers, 19 septembre 1356, le roi de France est fait prisonnier, le grand livre du mois, éditions Taillandier, février 2014.
Jean-Claude Pasquier, le château de Vendôme, une histoire douce-amère, éditions du Cherche-Lune, Vendôme, 2012.
Recherches et étude personnelles.
Iconographie : Comment le roi Jehan fut pris en la bataille de Poitiers, miniature d’un manuscrit des Chroniques de Jean Froissart (Musée Condé, Chantilly), La grande encyclopédie Larousse.