Après l’auto et l’espace, la nouvelle conquête d’Elon Musk se porte sur le réseau social Twitter aux 217 millions d’utilisateurs quotidiens. Entrepreneur libertarien du fait de sa défense d’une liberté totale d’expression à la mode américaine, l’homme le plus riche de la planète a passé un accord définitif avec le conseil d’administration de l’oiseau bleu pour 44 milliards de dollars. Outre ce volet économique, même si Twitter fait office de nain face au 2 milliards d’utilisateurs de facebook, ce rachat comporte une importante dimension politique, le monde de l’argent aime s’acheter de l’influence et le moyen de faire passer ses idées. En son temps, Bouygues s’était bien offert TF1 et un réseau de téléphone.
Avec 80 millions d’abonnés à son compte Twitter, Elon Musk entend restaurer la liberté de parole sur les réseaux, absolutiste de la liberté d’expression, dans les limites de la loi comme il l’a plaidé dans un communiqué le 25 avril. Or Elon Musk ne voit que la conception américaine très extensible de la liberté d’expression, le fameux 1er amendement et son «freedom of speech» qui enjoint le congrès de ne pas voter de loi qui la restreigne.
Cependant, sa marge de manœuvre en faveur d’une expression sans contrainte sera limitée hors des frontières américaines. En effet, l’Union Européenne vient de trouver un accord sur le Digital Service Act qui imposera aux plateformes de retirer immédiatement tout contenu illicite et devra suspendre les utilisateurs qui violent fréquemment la loi. Les réseaux ont développé des conditions générales d’utilisation mondiales car il est quasiment impossible de proposer des services différents dans 200 pays en fonction de leurs lois, ce qui est à modérer au Sénégal ne l’est pas forcément en Inde. Elon Musk, par son idéologie et ses convictions, retournera 15 ans en arrière avec zéro réflexion sur la modération, au temps où des forums de discussion comme Reddits hébergeaient au départ des néonazis ou des photos d’adolescentes dénudées. Tous les réseaux sociaux ont progressivement mis en place des politiques de plus en plus élaborées de modération des contenus et de lutte contre les abus. Les contraintes sont nécessaires pour construire la vie libre en société et, comme le soulignait la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la liberté est définie par un cadre à respecter, et non par des frontières à ne pas dépasser.
De plus, les réseaux sociaux ont à satisfaire deux clients, les utilisateurs et les annonceurs qui les font vivre n’échappant pas au travers reproché de tout temps à la presse, ce lien possible entre les annonceurs publicitaires et les contenus. Faire flotter sur Twitter le drapeau de la liberté d’expression totale et absolue pourrait susciter des résistances et avoir des conséquences économiques sur l’entreprise. Deux éléments compliqués que devra donc prendre en compte Elon Musk, celui de sa responsabilité sociétale pour un débat civilisé et celui de son modèle économique.
Alexandre FLEURY