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Francis Héraud, un héros dans la tourmente

A l’heure où nous allons célébrer le 8-Mai les 73 ans de l’armistice de la Seconde Guerre mondiale, Francis Héraud, Vendômois reconnu pour son engagement en tant que professeur d’éducation physique, se souvient d’un autre engagement bien moins connu, précisément en Algérie, en 1941, au sortir de la défaite française. A 96 ans, ses souvenirs restent intacts sur la bataille de Tunisie d’abord, puis la campagne d’Italie et la reconquête de la France jusqu’au franchissement du Rhin dans la plaine de Wurtemberg. Récit.

 

Au lendemain d’une défaite triste et humiliante pour le jeune Francis, qui habitait Bourges à l’époque avec ses parents, avec un ami et correspondant, Gilbert Notaire, ils décident ensemble de rejoindre Marseille. Ils ont 19 ans et plusieurs choix : «rejoindre l’Angleterre ou s’engager physiquement pour continuer la lutte pour leur pays. Nous optons pour la deuxième solution, le passage en Angleterre étant trop onéreux pour notre bourse», se souvient Francis Héraud. Un premier engagement à Marseille, ville restée en zone libre, puis la traversée des Pyrénées et de l’Espagne, avant de passer Gibraltar grâce M. et Mme Morisset, rencontrés sur le trajet. Direction Oran, en Algérie, pour signer son engagement, le 28 mars 1941, cette fois pour le 67e Régiment d’artillerie algérien (67e RAA). Francis rejoint donc une poignée d’hommes qui, comme lui, défient le sort par leur seule volonté. Séparation avec son ami Gilbert qui lui intègre le 68e RAA. «Je le reverrai cinq ans après, à Paris. Il était devenu tailleur, mais désormais cul-de-jatte, il avait sauté sur une mine lors de la campagne de Tunisie.» Francis Héraud, sans expérience militaire mais avec enthousiasme, participe aux manœuvres du régiment et apprend son métier de soldat. En charge des transmissions, il dirige les tirs d’artillerie de ses camarades. «Il faut mener des missions d’observation, savoir où l’ennemi est installé, trouver des positions et des angles de tir. Ce qui nécessite de l’entraînement», précise-t-il. Un an et demi pour se former à l’art de la guerre. A la suite du débarquement allié en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, l’Allemagne et l’Italie envoient des renforts en Tunisie et les troupes du maréchal Rommel ont été battues à El Alamein. La contre-offensive en vue de chasser les Germano-Italiens d’Afrique peut commencer.

 

La campagne de Tunisie

Intégré au 2e groupe du 67e RAA, basé à Constantine, Francis Héraud, avec une fraction du 3e Régiment de Chasseurs d’Afrique, part dès novembre 1942 en direction de Sétif avec la mission de protéger le terrain d’aviation. Il rejoint au sud de l’Algérie Tebessa, le 20 novembre 1942, où le régiment positionne sa batterie face au sud-est. L’aviation ennemie, très active durant toute cette période, n’ébranle pas le moral. «Le front s’étale sur 140 km. Nous restons statiques en raison des intempéries. Beaucoup de pluie, ce qui rendait la circulation sur les pistes très difficile, parfois nous nous enfoncions jusqu’à 40 cm dans la boue», se rappelle Francis. En janvier, grâce à la précision des artilleurs, l’offensive des blindés ennemis est repoussée, ce qui permet aux tirailleurs des contre-attaques spectaculaires. Cette campagne de Tunisie est également une guerre d’usure. Ce qui est pris sur le terrain peut être repris le lendemain. L’offensive allemande du 30 janvier vient bousculer à nouveau les cartes. «Notre artillerie fait feu de toutes ses pièces et permet de ralentir l’ennemi. Les britanniques arrivent à temps pour rejeter l’ennemie vers le sud par une foudroyante attaque de blindés. Nous étions sur les hauteurs à tirer sans arrêt et nous avions la plaine de Foussane devant nous où a eu lieu le choc gigantesque. Nous étions aux premières loges pour voir la débandade de l’Afrika Korps », s’enthousiasme Francis, cité à l’ordre du régiment pour avoir avec son sang-froid et du cran, malgré le tir ennemi, fait fonctionner le poste de détachement de son unité les 28 et 29 avril 1943. Le 67e RAA participera à la prise d’arme de la ville de Tunis avant de rentrer à leur caserne de Constantine avec la joie de recevoir du matériel moderne des alliés, comme le canon de 105 des troupes américaines.

 

La campagne d’Italie

Francis Héraud Six mois se sont écoulés durant lesquels Francis et ses camarades ont pu se reposer et s’entraîner intensément à ce nouveau matériel. Traversant sous le soleil le nord de l’Algérie, de l’Ouest à l’Est, de Constantine à Oran, six mois à marcher, tirer et attendre les ordres de mouvements. Après s’être glorieusement comporté face à des unités aguerries et supérieurement équipées, le 67e RAA, qui avait intégré la toute nouvelle 3e Division d’infanterie algérienne (3e DIA), embarque en décembre 1943 pour l’Italie avec le corps expéditionnaire français du général Juin. Francis rejoint le 20 décembre la zone des opérations. La mission est d’atteindre la transversale de San Elia-Atina. Au contact direct avec la ligne défensive allemande, dite «ligne Gustave», le massif du Monna Casale, culminant à 1395 m, se présente à eux. Des combats excessivement durs pour les tirailleurs de la division. Malgré la boue, la fatigue, l’artillerie suit l’infanterie. La ligne ennemie est enfoncée, mais les 25, 26 et 27 janvier 1944 restent des jours sanglants sur les crêtes du Belvedere et toujours sous une pluie incessante. Sous les contre-attaques violentes, les troupes s’enterrent dans la cuvette de Ceretto où s’entasse l’artillerie sous l’accumulation des tirs ennemis pendant tout février 1944. «Mi-mars, nous avons été relevés et l’on a pu se reposer dans la région de Teano-Fontanelle en bivouac sous les oliviers. L’occasion de remettre notre matériel en état », détaille le combattant.
Le 11 mai, la grande attaque est déclenchée pour anéantir totalement la défense allemande. La ligne Gustave est franchie grâce à la trouée de Castelforte et Francis reçoit sa deuxième citation pour avoir déroulé une ligne de liaisons téléphoniques dans la zone bombardée, n’hésitant pas à traverser un champ de mines. Il recevra la Croix de guerre avec étoile de bronze le 26 juillet 1944. Le 4 juin, Rome est délivré et les éléments français, dont le 67e RAA s’illustrent à Sienne tout le mois de juin jusqu’à sa libération le 2 juillet.

 

La campagne de France

Francis Héraud Les troupes massées à Naples après la victoire sur Sienne se préparent. «En montant à bord du bateau, on se doutait bien de la destination, même si rien n’avait été précisé. La Tunisie, l’Italie n’avaient été que des étapes successives. Nous attendions cela depuis des années, tous ces efforts pour ce but ultime», s’émeut Francis Héraud, poursuivant sa formidable épopée. Il débarque le 25 août 1944 à Saint-Tropez et participe immédiatement aux durs combats pour délivrer Toulon et Marseille. Immédiatement, la 3e DIA s’élance vers le nord par une marche forcée, les Allemands faisant subir de lourdes pertes par l’action de leur infanterie. Grenoble, Chambéry, Aix-les-Bains, Gex, Saint-Claude, les populations enthousiastes forment une haie ininterrompue, souligne Francis Héraud. «Il fallait nous méfier car, au milieu de cette liesse, une contre-attaque pouvait survenir.» A la fin septembre, arrivés dans les Vosges, les Allemands s’étaient réorganisés et immobilisèrent l’armée française durant tout l’hiver. Le mauvais temps, la neige, les champs de mines paralysent l’offensive, surtout face à de nouvelles divisions ennemies venues de Norvège. «Je me souviens précisément avoir croisé lors d’une patrouille un détachement allemand. Nous avions comme consigne de ne pas provoquer l’ennemi, de faire un peu semblant de ne pas les voir… La patrouille passe et, en se retournant, l’officier sort de sa poche un mouchoir blanc tout en s’exprimant en français pour se livrer. A ce moment-là, les Allemands ne demandaient qu’à se rendre, nous étions début 1945, la guerre use», s’amuse Francis, promu brigadier-chef en octobre 44. En janvier, il participe à la libération de Strasbourg, ville symbole. Puis franchissement du Rhin en mars 1945. Faisant preuve d’une énergie incontestable, les dernières forces sont jetées dans la bataille. Le commandement allemand fait même appel à des adolescents, les enrôlant de force. Francis ira jusqu’à Stuttgart en avril.

 

Considéré comme ayant satisfait à ses obligations militaires, Francis Héraud est démobilisé le 15 octobre 1945 avec le grade de Maréchal des Logis, mais il continuera d’accomplir régulièrement des périodes volontaires d’instruction à l’Ecole d’application d’artillerie et finira lieutenant de réserve en 1953. Décoré de la Légion d’honneur le 8 mai 1966 pour ses seules actions militaires, Francis Héraud porte un patronyme qui le résume bien. Un héros modeste qui pourtant, comme ses camarades vivants ou morts au combat, ont façonné ce que nous sommes aujourd’hui. Ce sacrifice, ne l’oublions jamais.

Alexandre Fleury

Il est partout ! Assemblées générales, événements sportifs et culturels, reportages, interviews, portraits… à lui seul, il rédige la moitié des articles du journal. C’est la figure tutélaire de la rédaction et il répond toujours avec le sourire aux très nombreuses sollicitations. Une valeur sûre, qui écume le Vendômois par monts et par vaux et connaît le territoire par cœur.

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