Arts et culturePatrimoine

La «Sainte Larme» de Vendôme !

Comment une larme qu’aurait versée le Christ aurait-elle pu arriver jusqu’à la Trinité où elle… coula des jours tranquilles jusqu’au début du XIXe siècle ? Le mystère fait partie de la légende.

Prenez-la comme une belle histoire, sans plus : on dit que Geoffroy, fondateur de la Trinité de Vendôme à l’âge de 24 ans, trouva le temps de se battre en dehors de France et vint en aide à Michel de Constantinople contre les Sarrasins de Sicile. Pour récompense, le comte de Vendôme se serait vu offrir la main d’une princesse (qu’il refusa !) et quelques autres trésors de joaillerie. «Comme il hésitait à faire un choix entre tant de richesses – raconte un historien local du XIXe siècle -, un clerc se pencha à son oreille et, lui désignant un petit morceau de cristal confondu avec des diamants de haut prix : voilà le trésor le plus estimable ; là est une larme que Jésus-Christ Lui-même versa sur le tombeau de Lazare».

Les pèlerins affluent

vendome ste larme2 330

Revenu à Vendôme, Geoffroy fait faire un premier reliquaire, qui sera remplacé plus tard par un autre en pierre : une superbe armoire de pierre sculptée de bas-reliefs contant la vie et la mort de Lazare, ami du Christ (détruite en 1803). La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et les pèlerins affluent, pour le plus grand bénéfice de la ville. La Sainte Larme est un atout supplémentaire sur les chemins de Saint-Martin-de-Tours puis, plus tard, sur ceux de Saint-Jacques-de-Compostelle. L’engouement est tel que les comtes de Vendôme en feront leur cri d’armes et de ralliement pendant tout le Moyen Age : «Sainte Larme de Vendôme !» comme on criait «Montjoye Saint-Denis !» dans les armées du roi. Certains jours – dit-on – l’église est trop petite pour accueillir la foule des pèlerins.

Comme il s’entend bien avec son vassal, le baron «1er de Chemillé» en Anjou, le comte divise la larme, lui en donnant la moitié pour la chapelle de son château, avant que celle-ci ne soit transférée à la collégiale Saint-Léonard de Chemillé au XIIIe siècle. Elle y est toujours vénérée de nos jours ! Ceci n’enlève rien, à l’époque, à l’attrait de la relique vendômoise. «Plusieurs châsses d’une orfèvrerie raffinée protégeaient l’ultime reliquaire – explique Jean-Robert Masson – un petit fuseau garni d’or dont les extrémités étaient reliées par une chaîne d’or retenant deux bagues serties de diamants.» On décrit également la Sainte Larme comme «toujours tremblant dans ce petit vaisseau, de couleur d’eau et azurée».

Vénération gourmande

Mais à l’aube du XVIIIe siècle, des voix se font entendre qui contestent l’authenticité du « joyau » christique. A commencer par l’abbé Thiers, curé de Vibraye – un voisin ! – qui accuse les Bénédictins de Vendôme d’avoir forgé la légende. D’autres lui emboîtent le pas, tel ce prêtre lyonnais qui s’interroge à juste titre : « Pourquoi seules les églises de France en détiendraient ? ». Et d’avancer lui-même l’explication : les « larmes » auraient toutes coulé d’une statue du Christ de l’église Saint-Pierre-le-Puellier en la ville d’Orléans en 989.

C’est un Rochambeau, pourtant, qui osera l’explication scientifique au début du XIXe siècle : «il s’agit d’un cristal de quartz transparent, dont l’intérieur renferme une goutte d’eau mobile. Ce phénomène naturel n’est pas rare et se retrouve souvent dans les collections minéralogiques.» Entre temps la Sainte Larme avait perdu son reliquaire et ses artifices, récupérés par la Monnaie de Paris. Un employé du District l’avait remis en son simple fuseau à des fidèles qui la rendirent à l’évêque d’Orléans sous Napoléon Bonaparte. La dernière trace est celle d’un cardinal, légat du pape, qui préféra la laisser s’évaporer, jugeant sans doute que la larme avait fait couler assez d’encre.

Depuis, la relique a réapparu… Tout sucre et chocolat. La pâtisserie de la place Saint-Martin à Vendôme en fit une spécialité : Bouard d’abord, qui l’imagina de chocolat praliné recouvert d’une coque de sucre royal, appréciée du président Giscard et de la romancière Irène Frain ; Rodolphe, ensuite, puis Bordas aujourd’hui, qui ne s’en départirent pas. Vénération gourmande !

Sources : J . de Pétigny (1849), Honoré de Sainte-Marie (1720), J.-B. Thiers (1699), Achille de Rochambeau (1874) in Guide du val de Loire mystérieux sous la direction de Jean-Robert Masson (Tchou éditeur, 1968)

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page