La bonne aventure ô gué !
Molière, Georges Brassens, Henri Dès et…Toutes les nounous de France l’ont fredonné. Cet air connu de tous aurait ses origines au Gué-du-Loir.
Je suis un petit garçon
De belle figure
Qui aime bien les bonbons
Et les confitures
Si vous voulez m’en donner
Je saurai bien les manger
La bonne aventure Oh Gai !
La bonne aventure !
Vous l’avez bien en tête, cette comptine serinée à la petite école ? Et bien, sachez qu’elle trouve son origine dans le Vendômois, qu’elle est tout simplement détournée d’un couplet plus ancien né sur le territoire de Mazangé… Au Gué du Loir.
Ici, le manoir de Bonaventure veilla très tôt sur un passage large et peu profond de la rivière des poètes. Un gué situé sur l’une des routes antiques de Paris à Tours mais aussi – pour les riverains – permettant de rejoindre le château de Rochambeau ou l’important village vigneron de Thoré-la-Rochette sur la rive gauche du Loir. D’abord occupé par des moines templiers puis des Franciscains qui dédièrent leur chapelle à saint Bonaventure (Italien du XIIIe siècle), le lieu s’enrichit du beau logis que l’on connaît au début de la Renaissance française. C’est à partir de là qu’arrive notre chanson…
Vers 1533, Nicolas Girard de Salmet, médecin personnel de François Ier après avoir été celui de Louis XII, acquiert ce manoir idéalement situé au milieu de terres riches, à proximité de Vendôme. Il n’y vit pas en permanence et le mettra ensuite à disposition d’Antoine de Bourbon, duc de cette ville qui séjourne ici quand la Cour s’installe à Blois et Amboise. Le futur père d’Henri IV aurait profité – dit la petite histoire – de la tranquillité du lieu pour y faire des fêtes bien accompagnées et arrosées… Auxquelles Ronsard lui-même aurait assisté, ou dont il aurait eu vent.
Les fredaines du roi de Navarre
C’est la seconde hypothèse que retiendra Paul de Musset, le frère d’Alfred, en contant la genèse de cette chanson (car sa famille fut propriétaire du lieu pendant plus de trois cents ans). Voici ce qu’il écrit sans ambages :
«Pour se distraire des ennuis de la représentation, [Antoine] quittait souvent la Cour, et se rendait à la Bonaventure, où il donnait asile à des donzelles encore moins vertueuses que les filles d’honneur de la reine Catherine. Le secret de ces parties de plaisir fut mal gardé ; le bruit en vint aux oreilles du poète Ronsard [qui] fit sur les fredaines du roi de Navarre une chanson dont le refrain était La Bonaventure au gué. L’air en a été conservé par les nourrices.»
Chanson qui fait le buzz à l’époque, sans doute, puisqu’un compliment en forme de parodie circule vers 1773, dédié à Henry III, alors roi de Pologne :
C’est le roy que j’aime au gué
C’est le roy lui-même.
Et puis… Molière la reprend en partie un siècle plus tard dans la bouche d’Alceste (Le Misanthrope, Acte I, scène II), l’introduisant ainsi :
Et je prise bien moins tout ce que l’on admire
Qu’une vieille chanson que je m’en vais vous dire :
Si le roi m’avait donné
Paris sa grand’ville
Et qu’il me fallut quitter
L’amour de mamie
Je dirais au roi Henry
reprenez votre Paris,
J’aime mieux mamie au gué
J’aime mieux mamie !
… Voilà ce que peut dire un cœur vraiment épris.
« Au gué » ou « Oh gai » ?
Bien sûr, l’usage et les interprètes ont transformé librement le refrain et celui de Molière ne peut dater que du couronnement du Vert-Galant, plus de trente ans après la disparition de son père Antoine de Bourbon. Difficile de savoir si le lieu était cité dès le début, s’il a connu une vie parallèle selon les interprétations (dès le XVIe siècle, la famille Musset sépare le nom du domaine en deux mots pour le faire figurer dans sa devise : «Courtoisie, Bonne-Aventure aux preux».)
Mais cette bonne aventure – amoureuse? – n’a peut-être pas eu toutes les faveurs dès le départ en raison de l’infidélité qu’elle suggère.
Elle ramenait aussi aux diseuses de bonne aventure, genre de «bohémiennes» peu fréquentables. Mamie qui la remplace ici est tout à fait recommandable, au contraire, puisqu’il s’agit de la contraction de mon amie, très usitée en français ancien. La bonne aventure réapparaît en tout cas dans la comptine qui, cependant, remplace fréquemment la mise en situation d’’origine «au gué (du Loir)» par l’interjection «Ô gué», voire «Oh Gai», sans doute par souci de facilité et/ou de compréhension.
Depuis, Georges Brassens l’a chanté en concert, et Henri Dès l’a inscrit à son répertoire en 1980. Que de grands noms pour un petit refrain !
Pour la petite histoire, Le Gué du Loir fut, beaucoup plus tard, célébré par René-Guy Cadou dans son poème Les compagnons de la première heure… Mais nous y reviendrons !
Hervé Vaupuy