Une cicatrice française
Le 21 février 1895, le navire Le Saint-Nazaire quittait le port de Saint-Martin-en-Ré avec à son bord Alfred Dreyfus. Accusé à tort de haute trahison par son état-major, le jeune capitaine d’artillerie, citoyen français et juif alsacien, est condamné par le tribunal militaire en décembre 1894 à la dégradation en public puis à la déportation au bagne, en Guyane, sur la triste Île du Diable. En effet, une simple vague ressemblance d’écriture sur le bordereau bleu récupéré à l’ambassade d’Allemagne par une femme de ménage employée comme espionne, va déboucher sur une des plus importantes erreurs judiciaires françaises, une machination et un acharnement démentiel. Quand on lit les rapports et les journaux, le crime d’état ne fait aucun doute, l’antisémitisme en cette fin du XIXe siècle est hallucinante dans l’armée, l’aristocratie, la bourgeoisie et les journaux comme La Libre Parole où Edouard Drumont éructe toute sa haine.
Nous sommes bien devant, ce que l’on pourrait parler aujourd’hui d’une fake news relayée par les réseaux sociaux, où la présomption d’innocence avant le jugement n’a pas été respectée. Ce qui deviendra « l’affaire Dreyfus » a eu un écho considérable dans la presse française, son nom devient le nom d’un juif qui a trahi. Le problème est réglé avec de faux témoignages dans les colonnes des quotidiens et de manière très orientée, la preuve est faîte que les Juifs ne pensent qu’à la trahison.
Pendant plus de quatre années, sur cette île inhospitalière et isolée du bagne, en partie boisée mais ne permettant pas d’y vivre, surveillé en permanence, affamé, battu et ferré chaque soir à son lit, Alfred Dreyfus a pu entendre ces paroles à l’arrivée au bagne :«Ici ce n’est pas tout à fait l’enfer mais c’est déjà le purgatoire, bienvenue au bagne». L’idée est bien d’exclure, voire d’éliminer de façon inhumaine. Et quand Pascal Praud, journaliste à CNews ose poser la question ignoble d’une réouverture possible des bagnes à Gérald Darmanin, actuel Garde des Sceaux, la réponse de celui-ci est plutôt, à juste titre, cinglante «on ne répond pas à la barbarie par la barbarie».
130 ans plus tard, on a encore aujourd’hui à apprendre de l’affaire Dreyfus. En effet, à l’exemple du colonel Paul Gaujac, chef du Service historique de l’Armée de terre qui fut limogé après un article très tendancieux paru en 1994 avec des relents antidreyfusards ou la plaie encore ouverte également de cette statue de l’artiste Tim « Hommage au capitaine Dreyfus » qui a connu une errance dans la capitale et qui aurait dû être installée dans la cour de l’Ecole Militaire. On voit bien qu’il y a encore des réticences significatives.
«La réhabilitation d’Alfred Dreyfus, c’est la victoire de la République, la victoire de l’unité de la France, le refus du racisme et de l’antisémitisme, la défense des Droits de l’Homme, la primauté de la justice. Toutes ces valeurs font aujourd’hui partie de notre héritage. Elles peuvent nous sembler acquises mais il nous faut être toujours extrêmement vigilant. Le combat contre les forces obscures, l’injustice, l’intolérance, la haine n’est jamais définitivement gagnée » prononçait Jacques Chirac lors du centenaire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus le 12 juillet 2006. Hélas, une déclaration et une attention encore plus d’actualité aujourd’hui…