Décembre 1905 : la loi de séparation des Églises et de l’État. Prémices et conséquences immédiates en Vendômois.
Le 3 juillet 1905, la séparation des Églises et de l’État était votée à la Chambre des députés par 341 voix contre 213. Le 6 décembre suivant, par 281 voix contre 102, le Sénat adoptait cette loi qui était publiée au Journal officiel trois jours plus tard.
Selon cette loi de 1905,la République française ” garantissait la liberté de conscience et du culte mais elle ne reconnaissait, ne salariait ni ne subventionnait aucun culte “. Les églises, déclarées propriétés communales, furent confiées à des associations cultuelles, élues par les fidèles, qui en gardèrent la jouissance. Les manifestations extérieures comme les processions et les sonneries de cloches furent désormais réglementées par les conseils municipaux.
Son rapporteur Aristide Briand se défendait d’avoir voulu nuire au culte catholique ou à aucun autre : ” l’État, affirmait-il, n’est pas antireligieux, il est areligieux “.
Ainsi se trouvaient abolis les liens officiels qui avaient été définis par le concordat de 1801.
Les premiers effets d’un gouvernement anticlérical :
Cette Loi trouve son origine dans la détérioration des relations qui s’aggravèrent au cours des premières années du XXe siècle entre la politique anticléricale d’Émile Combes, nouvellement nommé Président du Conseil et ministre de l’Intérieur et des Cultes (1902-1905) et le pape Pie X.
Le 11 mai 1902, ce fut l’écrasante victoire électorale du ” Bloc des gauches ” formé par les Socialistes et les Radicaux. Le 1er juin, le Président Loubet appelait Combes au gouvernement. Destiné tout d’abord à la prêtrise, docteur en théologie, Combes rompit totalement par la suite avec le catholicisme. Bien plus, s’engageant dans la politique, il devint l’un des dirigeants du radicalisme prônant un anticléricalisme forcené. Ainsi, sans plus tarder, le 27 juin, il publiait un décret visant à la fermeture des écoles religieuses n’ayant pas fait l’objet d’une autorisation préalable. En France, 3125 écoles furent alors concernées.
À Vendôme, sur les trois écoles dirigées par les sœurs de la Providence venant de Ruillé (Sarthe), deux furent fermées : l’école de la rue Ferme (n° 3 et 5), installée en 1876 dans un bâtiment mis à la disposition des religieuses par le duc de Doudeauville et l’école établie au n° 22 de la rue de la Grève en 1887, dans une maison appartenant à M. Joseph Lemaire alors propriétaire des Petits Moulins (en aval du pont Saint-Georges et aujourd’hui disparus). La troisième, sise au n° 69 de la rue du Change (au fond de l’ancienne impasse des Vérons) et transférée en ce lieu en 1889, ne fut pas inquiétée et se dit même prête à accueillir tous les enfants nouvellement privés de l’enseignement catholique. Dans l’arrondissement, vingt-deux autres communes furent touchées directement par ces mesures très impopulaires.
Sa lutte contre l’Église valut à Combes des inimitiés de plus en plus nombreuses, à gauche comme à droite. Le 17 mars 1904, avec seulement onze voix de majorité, il obtenait de la Chambre des députés qu’elle interdise l’enseignement à toutes les congrégations religieuses. Les 2400 écoles catholiques encore en activité en France étaient touchées maintenant de plein fouet. Le 30 mars, sur son ordre, les crucifix étaient retirés des prétoires ; il interdisait en outre le concours d’agrégation aux prêtres. Le 7 juillet après sa ratification par le Sénat, au terme de quatre mois d’âpres discussions, la loi abrogeant la loi Falloux qui organisait l’enseignement dans les écoles religieuses fut publiée. Désormais cet enseignement était interdit à toutes les congrégations.
Dès le dimanche 10 juillet, le Journal officiel reprit les arrêtés de Combes prescrivant la fermeture des écoles ” congrégationistes ” bientôt relayé par tous les journaux locaux, avec plus ou moins de virulence ou d’intérêt, suivant leur sensibilité. La liste des établissements situés dans les premiers trente-neuf départements choisis dont le Loir-et-Cher et qui devaient impérativement fermer dans un délai expirant le 1er octobre (1904) fut ainsi portée à la connaissance du public. À Vendôme, l’école située 24 rue de l’Islette (aujourd’hui école Saint-Joseph), les sœurs du Saint-Cœur-de-Marie, faubourg Chartrain et les bénédictines de Notre-Dame-du-Calvaire (Les Tilleuls, rue du Puits) étaient du nombre. À Montoire, l’école de la rue Saint-Laurent était également concernée.
Le 29 juillet 1904, les relations diplomatiques avec le Saint-Siège furent rompues. Combes souhaitait utiliser le Concordat de 1801 pour accroître l’autorité de l’État sur le clergé français et soustraire celui-ci à l’influence de la papauté.
Bien que les écoles religieuses fussent déjà pratiquement toutes fermées, cette loi de juillet 1904 n’entra en vigueur que le 3 janvier 1905. Le 19 du même mois, Combes démissionnait de la présidence du Conseil rattrapé par le scandale des ” fiches ” (fiches confidentielles sur les opinions des officiers de l’armée qui étaient ensuite transmises au ministre de la Guerre).
La loi de 1905 et les inventaires
Ce fut à Maurice Rouvier, le successeur de Combes, qu’il appartint de régler le problème religieux. Dans son programme présenté à la Chamb
Le 20 janvier 1906, les fonctionnaires de l’Enregistrement et des Domaines commencèrent à dresser les inventaires du mobilier des églises en France comme en Vendômois ce qui engendra de nombreux incidents en France, creusant un peu plus chaque jour le fossé entre les catholiques et le régime. Le 11 février 1906, le pape, dans une encyclique, condamnait formellement cette loi acceptée sans difficulté, en revanche, par les Protestants et les Israélites. Début mars, à Meslay, le percepteur se vit fermer la porte de l’église. Après les sommations d’usage restées vaines, il se retira. À Naveil, les choses se passèrent le mieux du monde. À Couture, cela se fit en famille. Par contre à Vendôme, les inventaires donnèrent lieu à de regrettables incidents.
À la Madeleine
Fixé au lundi 5 février (1906), l’inventaire prescrit par la loi de séparation devait se passer sans incident, mais l’intransigeance de quelques catholiques plus fougueux qu’éclairés, selon le “Carillon”, en décida autrement. À 9 heures donc, M Pottier, sous-inspecteur de l’Enregistrement, accompagné du brigadier-chef de police Graillot, se présenta au presbytère de la Madeleine pour dresser l’inventaire de la mense curiale (biens du prêtre). M le curé s’excusant de ne pouvoir le recevoir chez lui, le pria de se rendre à la sacristie, ce que consentit volontiers M Pottier. Là, M Chanteaud, président du conseil de Fabrique et M. le curé Pasquier lurent chacun une protestation qui fut portée au procès-verbal. Malgré ces deux interventions, l’inventaire de la mense put se dérouler normalement sur fond de chants religieux venus du chœur de l’église.
Mais lorsque M Pottier revint à 14 heures pour dresser cette fois l’inventaire des biens de la Fabrique, il trouva porte close. Se retirant sans autre formalité, il en référa au sous-préfet et à ses supérieurs. Dans l’église, une soixantaine de personnes dont une quinzaine de femmes, sans tenir compte de l’autorité du curé ni de celle du conseil (de Fabrique) avait cru devoir fermer toutes les portes. À l’extérieur, l’événement se passa dans l’indifférence générale.
L’inventaire fut ainsi reporté au lundi 19 février, en début d’après-midi, mais cette fois des mesures furent prises pour que force reste à la loi. L’église de la Madeleine restée ouverte jusqu’après la messe du matin fut alors fermée et ses abords étroitement surveillés par les agents de police et plusieurs brigades de gendarmerie. Un détachement du 20e Chasseurs à cheval fut même cantonné dans l’hôpital pour prêter main forte en cas de besoin. M Ranc des Adrets, sous-préfet, en uniforme, arriva un peu avant 14 heures, accompagné du capitaine de gendarmerie et du commissaire de police. Quelque deux cents personnes retenues par les barrages établis dans les rues avoisinantes attendaient dans une joyeuse ambiance alliant moquerie et curiosité. À l’heure dite, le commissaire frappa vainement trois fois à la porte principale de l’église enjoignant d’ouvrir au nom de la loi. Après la troisième sommation, un quart d’heure fut accordé pour la remise des clés. Le délai expiré, le serrurier réquisitionné fut sommé de crocheter la serrure qui résista. On dut avoir recours à cinq sapeurs-pompiers qui à l’aide d’un pied de biche firent sauter la gâche tout en endommageant fortement la porte.
La même soixantaine de personnes et quelques prêtres massés derrière le curé Pasquier et M Chanteaud, président du conseil de Fabrique, tentèrent de s’interposer. Ce dernier, très ému, les larmes aux yeux, essaya vainement de calmer le jeu afin d’éviter la moindre violence. Mais bientôt, conspué par ses propres manifestants aux cris de ” traître ! Sale président ! “, il se retira très accablé. M le curé lut une déclaration affirmant que les catholiques étaient ici chez eux, que les objets du culte étaient leur propriété et que ni l’État, ni la commune n’avaient aucun droit sur les biens qu’on venait inventorier. Lecture faite, M Perrot, receveur de l’Enregistrement procéda à l’inventaire tandis qu’une poignée de manifestants chantaient le ” Parce Domine ” entonné par un prêtre.
À la Trinité :
Prévu ce même lundi 19 février, l’inventaire de la Trinité eut lieu à 15 heures. Le quartier Rochambeau fut consigné et des barrages de gendarmes furent établis dans les cours de l’ancienne abbaye. Les autorités venant de la Madeleine, accompagnées de M Pottier, sous-inspecteur de l’Enregistrement, arrivèrent bientôt. Mais aux causes semblables, les mêmes effets. Après l’ultime sommation, le serrurier de service fut prié d’ouvrir la porte du bas-côté sud afin de ne pas abîmer, éventuellement, les magnifiques vantaux des portes de la nef. Mais une fois de plus, la porte résista, la clé ayant été intentionnellement laissée à l’intérieur. La pesée exercée par les pompiers n’aboutissant pas, c’est à la hache qu’ils en vinrent à bout.
M. le curé Goujon et M. Sampayo, président du conseil de Fabrique encadrant une soixantaine de manifestants, dont plusieurs se trouvaient déjà à la Madeleine, tentèrent, là encore, de calmer les esprits. Une protestation assez virulente, à la limite de la bienséance, fut lue par M le curé et M Sampayo n’empêchant nullement l’inventaire de se faire, soutenu par des chants liturgiques. Dans la sacristie, on dut avoir recours au serrurier, une fois de plus, pour ouvrir les placards.
Dans la soirée, les curieux vinrent nombreux examiner la porte endommagée de l’église, blâmant parfois les manifestants pour leur résistance bien inutile.
Iconographie : Images et Sons en Vendômois.
Article paru dans le Petit Vendômois de Janvier 2006