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Les Accroupis de Vendôme, une «sacrée» affaire…

En 1913, il y a 105 ans, l’affaire des Accroupis de Vendôme fut un beau Clochemerle politico-religieux, opposant cléricaux et anticléricaux.
Elle fut à l’origine de la loi sur les Monuments historiques.

 

Accroupis de Vendôme La tour Saint-Martin, vestige de l’église du XVe siècle, a été au centre de l’affaire dite «Des Accroupis de Vendôme» en 1913, huit ans après le vote de la loi de séparation des Églises et de l’État. Vendôme a élu en 1912 une majorité radicale, anticléricale. Pour bien comprendre cette curieuse histoire, citons Jacqueline Lalouette, historienne, qui explique dans La libre pensée en France 1848-1940 (éd. Albin Michel) : «Le plus souvent, c’était l’utilisation des cloches, ou les moyens d’accéder au clocher qui suscitaient les conflits. Parfois c’était l’édifice lui-même qui se trouvait au centre des conflits, soit qu’il n’intéressât pas assez les républicains, soit qu’il les intéressât trop : pas assez, et ils voulaient le détruire ou, tout au moins, le laisser s’écrouler ; trop, et ils voulaient s’en emparer. […] En ces temps où seule une minorité de gens éclairés étaient conscients de la valeur du patrimoine, la conjonction de l’indifférence du legs du passé et de l’anticléricalisme s’avérait redoutable.»

 

Des latrines publiques dans… la tour Saint-Martin !

Le décor est planté et l’intrigue peut se jouer. Il existait à cette époque des urinoirs publics près de la tour Saint-Martin. Mais ils étaient peu pratiques et malodorants. La municipalité anticléricale, emmenée par le maire Philippe Frain, décide alors de créer en 1913 des latrines publiques à l’intérieur de la tour Saint-Martin. L’opposition, dirigée par le conservateur Philippe Royau, crie au sacrilège ! Le maire annonce que la couverture des fosses d’aisance seront constituées d’anciennes dalles funéraires récemment relevées et que l’inauguration officielle serait prévue le… Vendredi saint ! Enfer et damnation ! L’un des conseillers radicaux, M. Péricat, lance même une phrase digne de l’excommunication : «Nous élevons en terrain béni un temple au dieu de la digestion.» Des pétitions sont lancées, des libelles publiés contre le «maire 2» (sic). Le premier édile a cette réponse qui a le don – si l’on peut dire – «d’asseoir» définitivement la polémique : «J’emmerde la moitié de la population !»

 

La presse locale s’empare du problème. Le journal socialiste Le Progrès de Loir-et-Cher s’enthousiasme pour le projet. «La Camelot royale s’agite avec fureur et nous assistons depuis quelques semaines à une véritable levée de goupillons contre la majorité républicaine du conseil qui a commis le crime de résister à M. Royau, le grand barnum de la troupe sacrée.» Mais Le Patriote Vendômois, journal conservateur, y est bien sûr fermement opposé. «C’est la victoire des barbares sur la civilisation. Des barbares qui détruisent ou qui salissent tout ce qu’ils sont incapables de comprendre, c’est-à-dire ce qui est beau. Sauvages ! Sauvages ! Le terme n’est pas trop fort.»

 

Pendant ce temps-là, dans la presse nationale… Accroupis de Vendôme

L’affaire n’en reste pas là et prend une dimension nationale. L’écrivain Maurice Barrès, député et grande figure de la droite, publie un article choc dans L’Écho de Paris du 19 mars 1913 intitulé : Les accroupis de Vendôme. À la fin de son papier, il s’adresse à son chien : «Oh mon honnête compagnon, […] toi, du moins lorsque tu t’accroupis, tu n’as jamais pensé faire d’une fonction naturelle une insulte à rien de sacré. Mais, pour eux, c’est le moyen d’humilier le signe des plus hautes pensées de l’espèce […] En vérité, la dernière des puces de tes poils est plus soumise à l’ordre universel, respecte mieux les lois et convenances de la vie. En un mot participe d’une moralité plus vraie qu’ils ne font. Un Vendredi Saint, la pierre d’une tombe, un terrain sacré. […] Ah, mon bon chien, les malheureux. » La presse nationale reprend l’information. Dans La Libre Parole du 11 avril, on peut voir un montage de photographies avec la tour Saint-Martin, les latrines dernier cri et Philippe Frain le maire.

 

… Et à la Chambre des députés

Maurice Barrès, clichés à l’appui, porte l’affaire devant la Chambre des députés. L’émoi est profond. Le Ministère des Beaux-Arts prend conscience de l’importance de préserver le patrimoine. Il classe le monument vendômois le 25 mars 1913. Cette affaire est à l’origine de la loi sur les Monuments historiques du 31 décembre 1913. Elle vint combler une lacune non envisagée par la loi de 1905. Mais cette drôle d’histoire aura laissé des traces, comme le reconnaît le journal républicain modéré à l’époque Le Carillon de Vendôme. «Tous ces faits n’en consacrent que mieux la renommée qui nous est faite. On nous appelle les “Accroupis de Vendôme” et vraiment il n’y a pas lieu de tirer vanité de ce résultat.»

 

L’inauguration des latrines publiques eut tout de même lieu. Et puis la guerre 1914-1918 passa par là. Après la «grande boucherie», la question n’était plus de savoir si l’on était anticlérical ou pas, mais si l’on était vivant ou mort. Une municipalité plus modérée fit détruire l’ouvrage.

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