A la merci d’Eole
Àu milieu d’une actualité bruyante où chaque continent ou région du monde a son lot de malheurs et de catastrophes, début septembre, sans bruit ou presque, sauf celui du vent qui s’engouffre dans les voiles et du cliquetis des drisses métalliques sur les mâts, Anémos a débarqué dans le port de New-York après une quinzaine de jours de navigation. Ce plus grand voilier-cargo de conception française, 1 100 tonnes de marchandises transportées, a parcouru son premier voyage transatlantique entre Le Havre et « la ville qui ne dort jamais » de la côte est des États-Unis en émettant moins de CO2 qu’un navire traditionnel. Une grande satisfaction pour ses constructeurs et la société à l’origine de ce projet, la compagnie bretonne TransOceanic Wind Transport (TOWT), qui est pionnière du retour de la marine marchande à voile.
Fondée en 2011, TOWT est le premier transporteur français de marchandises à la voile. Même si la coque des navires a été fabriquée en Roumanie et au Vietnam, le navire a été finalisé, mâts et aménagements intérieurs sur les chantiers Piriou à Concarneau. Un deuxième navire du nom d’Artemis, frère jumeau du premier, a quitté en septembre le Vietnam pour rallier la Bretagne. Six autres navires d’ici à 2027 devraient rejoindre la compagnie. D’une longueur de 81 mètres, deux mâts de 55 mètres de haut pour une voilure de 3 000m2, le navire transporte sa marchandise en ne produisant que 2g de CO2 par kilomètre soit dix fois moins qu’un porte-conteneur standard et peut atteindre des vitesses supérieures à 19 km/h.
Beaucoup de vent en haute mer et aujourd’hui grâce aux satellites, ce vent peut rester prévisible, ce qui fait que la navigation à la voile sera de plus en plus fiable. Ce premier voyage a permis à l’armateur de se familiariser avec ce tout nouveau vaisseau et il est prévu une douzaine d’aller-retours par an avec une énergie gratuite et largement disponible. Même si ce transport reste plus coûteux qu’un transport au fuel, ce mode décarboné a obligatoirement de l’avenir qui plus est si l’on rajoute dans la comparaison, la pollution sonore énorme des cargos classiques. Ce premier voyage s’est fait avec des marchandises bien françaises, soit du champagne, du cognac ou des confitures et pour le retour, l’Anémos passe par la Colombie et revient au Havre avec les cales chargées de café.
95% du commerce mondial se fait par voie maritime et se développe à grande échelle. La demande de navires achetés par les armateurs est exponentielle et aujourd’hui leur nombre est estimé à plus de 60 000, tout confondu, du cargo classique en passant par le tanker pour le pétrole ou le porte-conteneur qui relie la Chine à l’Europe. Ce type de navigation au fuel restera encore majoritaire un petit moment pour les 11 milliards de tonnes de marchandises qui traversent chaque année les océans, mais on sent bien le frémissement d’un basculement vers un autre type de transport. Mais pour que la marine marchande approche les 100% durable, outre le changement de propulsion, nous n’aurons pas d’autre choix que de réduire le volume des échanges commerciaux mondiaux. Et là, c’est un problème économique qui primera toujours sur l’écologie, tout au moins pour l’instant…